Emeutes de Sefrou septembre 2007

Les émeutes de Sefrou montrent le désarroi du « Maroc inutile »

13/11/2007 |

Cerise Maréchaud |

(De Casablanca) Inflation, mauvaise répartition des richesses, joug du pouvoir local, accès difficile à l’information: les soulèvements populaires se multiplient dans le Maroc profond.

Sefrou, petite ville du Moyen Atlas (200 km à l’est de Rabat) a soudainement été bousculée, le 23 septembre, par des affrontements sans précédent entre quelque 2 500 habitants et les forces de l’ordre, faisant au total plus de 300 blessés, et une quarantaine de prisonniers. Les images prises ce jour-là montrent des voitures incendiées, des bâtiments publics saccagés, des cris de colère couverts par les hurlements de sirènes. (Voir la vidéo.)

Tout avait pourtant commencé par un sit-in pacifique contre la cherté de la vie. Face à la colère populaire de Sefrou, le gouvernement marocain s’est d’ailleurs réuni en urgence pour annuler la hausse (de 30%) du prix du pain qui venait d’être décidée, au lendemain des élections législatives du 7 septembre et à la veille du mois de Ramadan.

La protestation enfle dans un pays qui revendique sa modernisation

En 1981 à Casablanca, puis à Marrakech et dans le Rif trois ans plus tard, c’est aussi le prix du pain qui avait fait descendre dans la rue des milliers de manifestants, parmi lesquels une sévère répression avait fait des centaines de morts.

On en est loin. Mais depuis près de trois ans, les cas de protestation populaire et de désobéissance civile se multiplient et se radicalisent dans le royaume. Des mouvements que le pouvoir au mieux ignore, au pire réprime violemment. Voilà qui fait tache sur l’image de bonne gouvernance, de modernité et de progrès social que le royaume s’efforce de mettre en avant.

Depuis peu, des habitants de Ben Smim, un village du Moyen Atlas, sont poursuivis pour avoir protesté contre la privatisation de la source d’eau locale. Auparavant, à Tamassint (près de Al Hoceima, dans le nord), une marche de protestation contre les conditions de vie après le tremblement de terre de février 2004 s’était heurtée à la matraque policière. Idem à Tata, où des étudiants se sont soulevés au nom de l’accès à la santé, ou encore à Mfassis, près de Khouribga, où quelques habitants qui dénonçaient l’expropriation des terres agricoles par le tout puissant Office chérifien des phosphates (OCP) ont été accusés d’ »outrage aux forces publiques ».

Des conflits nouveaux, bien loin des luttes syndicales traditionnelles

Ben Smim, Tata, Mfassis, Tamassint, Bouaârfa… Des bleds perdus dans le « Maroc inutile », sans tradition de lutte, « où un petit ‘cheikh’ ou un ‘moqqadem’ (représentants de l’autorité locale) peuvent calmer toute une ville « , témoigne Hicham Houdaïfa, auteur de nombreux reportages sur ces nouvelles luttes sociales pour Le Journal hebdomadaire.

« On y voit surgir des mouvements d’un genre nouveau, peu ou pas organisés, explique Khadija Ryadi, présidente de l’Association marocaine des droits de l’homme (AMDH), en première ligne pour relayer ces dissidences malmenées. Malgré nos 73 sections locales, on n’arrive pas à tout suivre ».

Différents des confits syndicaux traditionnels -dont les plus importants sont aussi durement « cassés »-, ces nouveaux soulèvements populaires semblent revêtir une dimension davantage existentielle. Il y a bien sûr l’ »aggravation de la misère, la mauvaise répartition des richesses, le fossé qui s’agrandit entre Maroc ‘utile’ et Maroc ‘inutile’. Il n’y a pas de vraies réformes, les gens ne sont pas dupes des effets d’annonce », estime Khadija Ryadi:

« Certaines régions ont connu plusieurs années successives de sécheresse et la caisse étatique de compensation ne marche presque plus, complète Hicham Houdaïfa. Dans le Rif et l’Oriental, des tribus rebelles ont aussi subi les punitions collectives de l’ancien régime. »

« Ces soulèvements sont ceux de populations livrées à elles-mêmes face au Makhzen (le pouvoir marocain), témoigne Souad Guennoun, photographe et militante de Attac-Maroc. A Sefrou, ça a commencé à dégénérer quand une femme a été giflée par un flic ».

Ce qui unit ces soulèvements isolés: « la ‘hogra’, ce mélange d’injustice et de mépris qui pousse des gens à sortir leur carte d’identité et la piétiner », témoigne Hicham Houdaïfa. A Bouaârfa, dans l’Oriental, voilà deux ans que les habitants menacent les autorités d’exode collectif vers l’Algérie, provocation sensible s’il en est.

Des révoltes, mais pas de révolution: le roi reste intouchable

« On se mobilise plus dans certains coins reculés que dans les grandes villes, où « les gens sont pieds et poings liés par le coût de la vie, croulent sous les crédits, ont perdu la notion de bien commun, craignent en tout gardien d’immeuble un flic potentiel et ne peuvent payer les transports pour aller manifester », avance Souad Guennoun. Peut-on pour autant parler d’une prise de conscience politique des masses? « Disons d’une petite marge de parole, et de l’importance de la lutte commune », estime Khadija Ryadi.

Mais ces révoltes contre le système ne s’accompagnent pas de revendications politiques d’envergure, encore moins de velléités révolutionnaires. Surtout, le roi est invariablement considéré comme intouchable, loin au-dessus de la mêlée discréditée des partis, ministres, autorités locales et forces de l’ordre.

« Il est très respecté, perçu comme le seul détenteur du pouvoir mais surtout le protecteur. C’est ‘Sidna’ (Notre Majesté, avec une connotation paternaliste), témoigne Hicham Houdaïfa. Dans chaque manifestation, les gens brandissent des portraits du roi ».

Un gage sincère de loyauté, mais aussi un « talisman » contre la répression, « un bouclier qui les préserverait contre les gourdins », souligne le chroniqueur Khalid Jamaï dans Le Journal hebdomadaire (16 au 22 juin 2007).

Pourtant, les accusations de « lèse-majesté » servent souvent de prétexte à de lourdes peines: depuis la dispersion violente de manifestations de diplômés chômeurs le 1er mai, de nombreux « détenus d’opinion » purgent des peines allant jusqu’à quatre ans ferme pour « atteinte aux valeurs sacrées du Royaume ».

Le Ras-le-bol de Sefrou

Maroc hebdo International

26 septembre 2007

Une vague de protestations contre la hausse des prix balaye le Maroc. À Sefrou, ville au pied du Moyen-Atlas, elle est la plus dévastatrice. 150 blessés et 40 arrestations.

Loubna Bernichi

Un cadeau empoisonné pour Driss Jettou. Le rêve d’un départ paisible est à jamais brisé. À quelques jours de la fin de son mandat, le Premier ministre sortant est confronté à la pire situation de ces cinq ans de primature.

Des soulèvements populaires violents contre la hausse des prix des matières de base au Maroc. Les premiers depuis le début du règne du Roi Mohammed VI. Le théâtre de ses troubles: Sefrou. Une ville millénaire au pied du Moyen Atlas à 850 d’attitude connue pour sa fête des cerises, célébrée au début du mois de juin de chaque année. Apparemment, dans cette tranquille localité verdoyante, le coeur n’est plus à la joie. Harassés par des années de sécheresse, un taux de chômage élevé et la hausse des prix, ses 70.000 habitants, la plupart d’entre eux vivent de l’agriculture, ne se contentent plus de marmonner leur mécontentement mais le crient. Sefrou se révolte.

Bilan: 150 blessés, dont 22 grièvement, selon des estimations vraisemblables, plusieurs biens publics et privés saccagés et une quarantaine d’arrestations. La MAP, agence de presse officielle, se limitera à rapporter les importants dégâts causés par cette «marche non autorisée» et des citations du gouverneur de la Province de Sefrou, Mohamed Allouche.

À l’origine de ces vives manifestations, un appel de l’Association marocaine des Droits humains (AMDH) section Sefrou et d’une association locale de protection du consommateur à l’organisation d’un Sit-in pacifique le 23 septembre 2007.

Ce jour-là, à 10 h 00, des centaines de personnes, de tous âges et de tous bords, se donnent rendez-vous à la place de Bab El Merabaâ, à 300 m du siège de la Préfecture. Comme signe de protestation, quelques-uns brandissent des morceaux de pain, des lingots de lait et des pancartes portant leurs revendications. Au fil des minutes, et à mesure que leur nombre augmente, les manifestants avancent vers le siège de la Préfecture de la ville. Les autorités locales leur bloquent le passage avec des barrières métalliques. La situation devient de plus en plus incontrôlable. Les slogans de plus en plus forts. La foule réclame au gouverneur et aux autorités concernées d’ouvrir le dialogue.

Malgré les appels au calme des organisateurs, dépassés par les événements, des individus tentent de sauter les barrières métalliques pour atteindre le siège de la Préfecture. S’ensuit une bousculade. Un policier blesse accidentellement une femme enceinte avec son talkie-walkie, un autre policier échange des mots virulents avec un jeune manifestant. Ces incidents en entraînent d’autres. La foule gronde. Le ton monte d’un cran. Des jets de pierre touchent le siège de la Préfecture. Des fenêtres volent en éclats. La police riposte. Le rassemblement se disperse. Des groupes de rebelles se dirigent vers différents quartiers de Sefrou. Bensefar, Selaoui, Habbouna, Makassim, Siti Messaouda, l’Ancienne Medina… se transforment en champs de batailles.

Les émeutiers barricadent les rues avec des pneus enflammés et de grosses pierres pour empêcher les voitures de police de passer avant de s’attaquer aux édifices de l’Etat.

La 4ème annexe administrative du quartier Habbouna est incendiée. Le siège du 5ème arrondissement de Bensefar est saccagé. La bibliothèque de l’établissement scolaire Bir Anzarane est pillée puis brûlée. Le centre hospitalier du quartier Slaoui n’est pas épargné ni la caserne des Forces auxiliaires, ni le bureau de la poste ni une agence d’Itissalat Al Maghrib et encore moins une agence bancaire de la BMCE.

Dans leur folie dévastatrice, ils essayent d’enfoncer les portes de la prison municipale. D’abord avec un tractopelle, engin de chantier, propriété de la commune utilisé par les policiers pour enlever les digues de pierre. Ensuite, en essayant de les exploser à l’aide d’une grande bonbonne de gaz et trois autres petites.

Sans résultat. Les portes sont blindées. Enragés par cet échec, ils se retournent contre le tractopelle qui n’est plus qu’une carcasse fumante. La maison du directeur de la prison est assaillie. Mais, les manifestants n’arrivent pas à accéder à l’intérieur.

Deux voitures de fonctions sont renversées puis calcinées, ainsi que trois autres de particuliers. Les forces de l’ordre, malgré l’arrivée des renforts d’Ifrane et de Fès, n’ont pas réussi à arrêter les troubles. Les jeunes révoltés, armés de branches d’arbre, de barres métalliques et de grosses pierres, n’hésitent pas à provoquer des affrontements directs avec eux. Une centaine d’agents de sécurité sont blessés. A l’appel de la prière d’Al Maghreb, les rues désertes de Sefrou donnent l’impression que la ville est en guerre. Les voitures de police sont stationnées à tous les coins. Des pneus brûlants dégagent une odeur insoutenable et envoient une fumée noire vers le ciel. Les squelettes de voitures se consument encore. Des documents officiels, actes de naissance, certificats de résidences, sont éparpillés par terre. Un guichet automatique, éventré, livre son dernier souffle. Les débris de verres couvrent la chaussée. Sefrou est dans un état de désolation indescriptible. Aucune n’âme ne rôde dans ses artères ni dans ses boulevards. Pourquoi cette ville tranquille s’est-elle soulevée soudainement?

Beaucoup répondent que le ras-le-bol est général. Les émeutes du 23 septembre n’en sont que la conséquence inéluctable. Déjà, une semaine avant, 500 femmes du village El Bhalil, avoisinant à Sefrou, ont marché à pied vers la ville pour protester contre la cherté de la vie. Mais, les gendarmes leur ont barré le passage.

Une vague de protestation balaye le Maroc. À Khénifra, les habitants des villages proches ont aussi contesté, à la mi-septembre, la hausse des prix et demandé la scolarisation de leurs enfants, l’accès aux soins, à l’eau potable et à l’électricité. Pour toute réponse à leur revendication, la bastonnade et l’arrestation et la condamnation d’une dizaine d’entre eux. D’autres marches de protestations dans plusieurs villes, Marrakech, Casablanca…, ont été annulées à la dernière minute. Celle de Rabat, tenue le 25 septembre 2007, s’est déroulée sans incident majeur.

Pour éviter que la situation ne dégénère, comme c’était le cas en 1981, une centaine de morts et des milliers de blessés, Driss Jettou a concédé un petit geste avant de partir: La hausse du prix de pain n’aura pas lieu. Faut-il applaudir?

QUE C’EST-IL PASSE A SEFROU DIMANCHE?

citoyenhmida

Manifestation….Vandalisme…Oui..Mais pourquoi à Sefrou?

Dimanche la ville de Sefrou a connu des moments difficiles : une marche de protestation contre la vie chère s’est transfromée en manifestation qui a dégénéré en actes de vandalisme contre les biens publics ( même un hopital a été caillassé) et les biens privés (voitures brulées).

Les affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre ont été très durs : deux responsables ont été bléssés, ce qui n’est pas courant dans ce genre d’événements.

Que ces événements se soient produits justement à Sefrou me pose porblème. Pourquoi Sefrou précisément? La vie y serait-elle plus chère que dans d’autres villes du royaume? Les habitants de Sefrou seraient plus pauvres que ceux d’autres villes? L’économie de cette ville a-t-elle été frappée dernièrement par une catastrophe que nous ignorons? Les habitants de Sefrou seraient-ils plus sensibles à la misère que les laissés-pour-compte des bidonvilles de Casablanca?

Pourquoi justement cette manifestation le lendemain des déclarations du gouvernement sur les mesures concernant la révision à la baisse du prix du pain et le contrôle des prix des autres produits?

Les déclarations officielles sont tronquées, incomplètes, teintes de cette la,ngue de bois tout à fait normale.

Les informations à la télévision ne nous apprennent pas plus et reprennent bien entendu les impresssions des citoyens évidément scandalisés par de tels événements.

Les articles des journaux ne nous éclarent pas plus, quand ils ne sont pas totalement lénifiants sinon délirants.

Les marocains ont besoin de savoir ce qui s’est réellement passé à Sefrou et pourquoi cela s’est produit justement à Sefrou !

Sinon toutes les probalités sont ouvertes et tous les scénarios sont énvisageables, de la provocation, à la manipulation en passant par une relle et profonde crise sociale que les autorités veulent occulter et qui risque de toucher tout le pays!

~ par Alain Bertho sur 2 juillet 2008.