Les mobilisations face aux figures contemporaines de l’Etat

Séminaire 2014-2015

  • 7 novembre 2014  Sylvains Lazarus, anthropologue, université de Paris 8
  • 14 novembre 2014 Alain Bertho, anthropologue, Université de Paris 8
  • 19 décembre 2014 Serge Wolikow , Historien, Université de Bourgogne
  • 23 janvier 2015 Michel Agier, anthropologue, EHESS
  • 20 février 2015  Christian Ingrao, Historien, Institut d’histoire du temps présent
  • 17 avril 2015  Pierre Noel Giraud, économiste, Ecole des Mines
  • 22 mai 2015  Maurrizzio Lazzarato, sociologue

Le contemporain

Il y a deux ans, pour son premier numéro (2012), la revue Mondes contemporains demandait à une dizaine d’anthropologues de trancher sur l’anthropologie face au contemporain, en regard de la démarche problématique et des catégories qui sont les siennes. Ce qui était tout à fait remarquable, c’est qu’il y avait autant de positions que d’auteurs. Voici donc une question, celle du contemporain, extraordinairement controversée. Aussi serait-il utile de se demander pourquoi cette dernière est à ce point sujet à divergences, notamment en pratiquant la méthode même de l’enquête, c’est-à-dire en analysant quelques propositions, et ce qui – à la fois – les singularise, les divise et les fait dialoguer.

De fait cette interrogation sur le contemporain n’est pas, à proprement parler, disciplinaire. Elle n’est pas spécifiquement historiographique, sociologique, philosophique ou relevant de l’économie. On voit apparaître des notions et des catégories telles que l’actuel, les temps actuels, la périodisation, avec ce débat sur le continu et le discontinu, ou cette autre question : comment parler de situations empiriques de mobilisation ou de conflits, singulières, ressenties comme nouvelles (Printemps tunisien, mouvement des lycéens au Chili, guerre en Ukraine…) mais encore prises dans un lexique et des catégories que l’on sait anciens ?

Ne faut-il pas affronter la recherche de catégories nouvelles, de catégories contemporaines, même si cette recherche consiste à dire qu’on les cherche, et qu’elles ne sont pas encore là. Mais est-ce une figure universitaire tenable, que soutenir que ce qu’on sait, c’est qu’on ne sait pas encore ? Il faut sans doute un courage et une humilité que l’arrogance suffisante de l’institution déconseille vivement.

Alain Bertho : La révolution n’est plus ce qu’elle était

La politique des 19° et 20° siècles est inséparable de l’idée de Révolution. Ce sont des projets révolutionnaires qui en ont décliné ses figures : République, Socialisme, Communisme, Libération Nationale, voire révolution Nationale. Elle s’épuise en 1968 dans la clôture d’un cycle. Nous en cherchons désespérément la présence dans les soubresauts du monde contemporain. Cette figure moderne de la politique a fait de la question du pouvoir l’opérateur central de la mobilisation matérielle et intellectuelle qui s’effectue en son nom. L’Etat étant, dans ce paradigme, la clef de l’unité du social (son cerveau aurait dit Durkheim), Poser une question politique c’est poser une question concernant l’architecture du social et son devenir. C’est donc poser la question du pouvoir.

Les mobilisations de ces quinze dernières années au moins n’ont pas de telles stratégies de pouvoir. En ce sens, ni les émeutes et affrontements locaux, ni les explosions de colère collective, ni les mouvements d’ampleur régionale ou nationale auxquels nous assistons ne sont des processus révolutionnaires potentiels au sens moderne du terme. Le soulèvement tunisien, les Indignés espagnols ou grecs, les mouvements brésilien et turc de 2013 s’en prennent au pouvoir mais ne formulent pas d’alternative au pouvoir existant. L’idée qu’un « bon gouvernement » soit possible n’a plus de consistance subjective. La clôture du communisme, comme la corruption et la financiarisation des Etats contemporains ne laissent aucun espace à une telle perspective.

Les mobilisations collectives font face à cette nouveauté dont il nous faut mesurer l’ampleur. Les principes qu’elles peuvent porter sur l’organisation de la vie collective n’ont plus d’énoncés programmatiques. La constitution d’une puissance subjective collective convoque en des termes neufs les questions nationales ou confessionnelles. Pour le meilleur et pour le pire. Il y a donc urgence à tenter de lire ce qu’est devenu l’Etat aujourd’hui. C’est bien sûr dans l’analyse de situations concrètes que nous pourrons identifier des processus de destruction de l’Etat par la guerre et l’émergence de ses alternatives religieuses au Moyen orient (Irak), en Afrique, l’incapacité des Etats à assurer la survie des populations, le rôle de la dette dans la gouvernementalité en Europe ou en Amérique, l’incapacité de mobilisations nationalistes à fonder un Etat pour tous (Ukraine).

Sylvain LAZARUS : Les mouvements populaires seraient-ils voués à l’échec s’ils ne disposent pas de stratégie sur la question du pouvoir et de l’Etat ?

Les séminaires des années précédentes ont produit quelques précieux enseignements. Nombre de mobilisations populaires, tout en étant critiques à l’endroit des gouvernements en place, ne proposent pas d’alternative en termes d’Etat et de gouvernement. Il y a là une rupture majeure : à proprement parler, contrairement aux usages journalistiques, il ne s’agit pas de révolution. Il n’y a aucune alternative proposée en termes d’Etat et de pouvoir. Les paradigmes de ces mouvements sont : chacun compte pour un et doit être respecté, fin des pratiques criminelles et corruptrices du pouvoir.

La catégorie de révolution était inséparable de celle du socialisme comme Etat alternatif à l’Etat du capital, même s’il y a eu chevauchement, dans la deuxième partie du 20ème siècle, entre socialisme, libération, et indépendance nationale. Un élément incontournable des débats sur le contemporain est de prendre position sur la péremption de l’Etat socialiste, de la lutte des classes, de la dictature du prolétariat. Non pas du tout au sens où ça n’aurait jamais dû avoir lieu, mais au sens où quelque chose a été cherché et n’a pas été trouvé. Ce qui se joue là : quelle est l’analyse que l’on fait, qu’est-ce qu’il y a à apprendre de l’expérience historique, en l’occurrence l’effondrement de l’URSS en 1991, et le passage de la Chine au socialisme de marché ?

Les mouvements populaires seraient-ils voués à l’échec s’ils ne disposent pas de programme et de stratégie sur la question du pouvoir et de l’Etat ? Il faut réfléchir autrement que les entristes et les possibilistes, et se poser la question : et si le propos des mouvements populaires était d’infléchir la question du pouvoir et de l’Etat de l’extérieur, en séparation ou, selon mon expression, à distance de l’Etat ?


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