Emeutes : réforme judiciaire en Chine – septembre 2009

Consignes de souplesse aux juges intermédiaires. Réflexions sur la démocratie


(5 septembre 2009)   •  François Danjou

Il y a quelques jours la Cour Suprême et le Quotidien du Peuple ont annoncé que 235 juges chinois des niveaux du comté et de la province recevront une formation spéciale pour juger les inculpations liées aux « incidents de masse ». L’article du Quotidien du Peuple signalait également un rapport faisant état des soucis du pouvoir après une série d’incidents violents survenus au cours des deux dernières années – dont les émeutes au Xinjiang et au Tibet – et impliquant d’importantes foules de mécontents.

Le rapport précisait qu’à côté des émeutes ethniques, les protestations violentes, se soldant souvent par d’importantes déprédations, des blessés et des morts, avaient le plus souvent pour origine les faillites d’entreprises, les mises au chômage, la destruction des vieux quartiers d’habitation et les expropriations de terres dans les zones rurales.

Dans un contexte général où la justice est suspecte de connivences avec les milieux d’affaires et les cadres locaux, l’attention portée par le pouvoir central aux tribunaux intermédiaires et à leur manière de juger les prévenus appréhendés lors des révoltes populaires semble signaler une inquiétude du Bureau Politique, dont l’obsession première reste la stabilité sociale et politique du pays. Elle fait suite aux consignes données aux forces de police après le 17e Congrès, recommandant de tout faire pour que les « incidents de masse » ne dégénèrent pas.

Les rapports et les articles signalant la multiplication des « incidents de masse » et les risques qu’ils véhiculent ne sont pas une nouveauté. Ils s’accompagnent souvent de propositions de solutions plus ou moins originales. En décembre dernier, Yu Jianrong, Directeur du Centre de recherche sur les problèmes sociaux à l’Académie des Sciences Sociales, publiait un long article dans le quotidien économique et financier « Caijing », intitulé : « Les Incidents de masse éclatent dans toute la Chine, mais les causes sont variables, la menace contre le pouvoir central est limitée et les solutions sont à portée de main ».

Pour le Dr Yu, dans 80% des cas, les violences éclatent chaque fois que des parties spoliées de leurs droits sont trop faibles pour obtenir gain de cause auprès des tribunaux – entendez par là sans connexions politiques et sans pouvoir de corruption -, et que le parti pris de la justice en faveur des cadres corrompus ou des hommes d’affaires véreux est trop flagrant. Notons qu’en filigrane de cette analyse transparaît l’intérêt pour l’état de droit. Pour répondre à ceux qui spéculent sur une remise en cause du régime, le Dr Yu ajoute cependant que la capacité de mobilisation à grande échelle de ces incidents reste limitée du fait de la dispersion de la société en de multiples groupes d’intérêts, dont la cohésion est aléatoire.

La conclusion de l’article qui, à l’instar du titre, se voulait rassurante, mettait cependant le doigt sur un des serpents de mer de la politique intérieure chinoise. Tout en reconnaissant que le pouvoir de contrôle conféré aux électeurs par le vote pourrait inciter les cadres à plus de probité et à plus d’éthique, les élites politiques, dont la conscience juridique et l’intérêt pour un état droit progressent depuis la mort de Mao, hésitent cependant encore à faire l’expérience, au-delà du niveau local, d’un véritable système électif, autorisant la concurrence politique d’autres partis que nombre d’intellectuels chinois tentent cependant de promouvoir.

Le Dr. YU relève que la plupart des protestations exprimaient non pas une revendication politique de changement de régime, mais plutôt une quête de justice et de moralité, dans un contexte où les cadres locaux avaient souvent perdu la confiance de leurs administrés. S’exprimant depuis l’intérieur du système et se défendant sagement de vouloir copier l’Occident ou remettre en cause le régime, il plaide prudemment pour la vieille formule d’une « démocratie à l’intérieur du Parti », dont l’idée véhicule peut-être plus de frustrations que d’espoirs. Le fait que le Bureau Politique ait entrepris de chapitrer les juges pour les inciter à plus d’impartialité et de clémence témoigne certes d’une prise de conscience. Il n’en exprime pas moins les contradictions inhérentes à un système qui rejette obstinément tout contrôle et toute remise en cause qui ne viendraient pas du sérail politique du Parti.

Des juges formés pour mieux gérer les troubles sociaux en Chine

02/09/09

La Chine a prévu de former quelque 3.500 juges pour leur permettre de faire face aux troubles sociaux qui se multiplient dans le pays, ont rapporté mercredi les médias officiels. Un premier groupe de 235 juges, sur un total de 3.500 affectés à des tribunaux intermédiaires ou de plus petite instance dans tout le pays, a commencé à recevoir cette formation à Pékin cette semaine, ont annoncé le Quotidien du Peuple et l’agence officielle Chine nouvelle.

Cette démarche constitue un nouveau signe de la préoccupation croissante des autorités chinoises devant l’augmentation des conflits sociaux, qu’il s’agisse des manifestations contre des abus de cadres corrompus, des expropriations, ou même des émeutes ethniques de juillet au Xinjiang (nord-ouest) ou au Tibet (sud-ouest) l’an dernier.

Ces troubles sont répertoriés en Chine sous l’appellation d »incidents de masse » et se comptent par dizaines de milliers chaque année.

La semaine dernière, l’Assemblée nationale populaire (Parlement) a adopté une loi qui donne à la police armée populaire (PAP) « de nouvelles responsabilités avec une autorisation légale pour répondre aux émeutes, aux attaques terroristes et autres urgences de sécurité publique ».

« La formation va se concentrer sur les moyens de faire face aux incidents urgents et aux incidents de masse », a dit le Quotidien du Peuple, organe du Parti communiste chinois, sans fournir de précisions. La Chine craint notamment que la crise économique actuelle, avec la fermeture d’entreprises, les faillites et la hausse du chômage n’entraîne une hausse des troubles sociaux.

« Actuellement, les incidents de masse concernent des affaires tels la démolition de maisons, le relogement de citoyens ou les expropriations de terres, mais les faillites augmentent dans le secteur des affaires et savoir y faire face est difficile », explique le quotidien.

Les actions de protestation sont aussi souvent déclenchées par des jugements en justice perçus par les plaignants et leurs proches comme épargnant ou protégeant les puissants ou ceux qui disposent de relations. Les juges vont également apprendre à mieux « gérer l’opinion publique et les médias », indique le journal.(belga/chds)

~ par Alain Bertho sur 7 septembre 2009.

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