Blocus lycéens avril 2008
Pression policière au lycée du Kremlin-Bicêtre
STÉPHANIE BINET
QUOTIDIEN : mercredi 16 avril 2008
Devant le lycée Darius-Milhaud au Kremlin-Bicêtre dans le Val-de-Marne, comme dans d’autres lycées de la région parisienne, le même scénario se répète depuis une semaine. Un blocus est organisé, laissant des centaines d’élèves sur le trottoir. Des policiers, matraques en main, sont postés non loin de l’entrée, face aux élèves. «On pourrait croire qu’ils sont là pour encadrer le mouvement, nous protéger des casseurs, mais en fait, on a plus l’impression qu’ils sont là pour nous charger», explique David, du lycée Léon-Blum à Créteil, lors d’une des manifestations parisiennes. Tous les matins devant le lycée Darius-Milhaud, le face-à-face dure les deux ou trois premières heures de la matinée. «J’espère que vers midi, ils vont avoir faim et qu’ils vont rentrer chez eux», râle un officier.
Les deux équipages du commissariat du Kremlin ont été appelés par la direction de l’établissement «pour éviter les débordements», disent-ils, éteindre une poubelle qui brûle, calmer les automobilistes qui s’énervent contre les attroupements d’ados qui les empêchent de circuler. «Comparé au CPE, ce n’est pas très organisé comme manifestation, du coup, on ne sait pas à qui s’adresser», se plaint l’un des policiers.
«Criminalisation». Violette Diaz, professeur d’allemand, constate aussi que le traitement de ces manifestations est bien différent de celles contre le CPE : «Au moindre blocus, la direction du lycée appelle la police.»
Les parents d’élèves, les professeurs, et les sept élèves interpellés mardi 8 avril devant le lycée après une charge de la police ont le même sentiment. «Ils cherchent à criminaliser le mouvement lycéen, à intimider les meneurs», avançaient-ils en chœur vendredi lors d’une réunion à Villejuif organisé par les parents. Aidé par des professeurs syndicalistes, ils veulent créer un comité de soutien pour des élèves de terminale et de seconde mis en examen après une nuit de garde à vue pour «outrages, violences aggravées, et refus d’obtempérer». La semaine dernière, une jeune fille a été hospitalisée après un tir de flashball, et treize autres élèves ont été arrêtés.
Brûlures. Tanguy, 17 ans en terminale S, a encore les traces du gaz lacrymogène qui lui a brûlé l’arrière du crâne et le visage. Il fait partie des élèves qui essaient de sensibiliser les autres aux suppressions de postes dans son lycée: «Mardi dernier, à 11 heures, j’essayais juste de disperser les secondes qui se faisaient charger par la police.»
Look de rocker, Ali, 16 ans, n’était même pas devant le lycée, il allait se chercher un sandwich quand il a été arrêté par la BAC avec des copains: «Ils nous ont visés avec un flashball, nous ont demandé de nous mettre à terre, ce que je n’ai pas fait dans la seconde. Il fallait que j’ajuste mon pantalon pour pouvoir m’allonger. Du coup, j’ai pris un coup de pied dans le dos, des coups de poing.» Son arcade saigne, et Ali suit les policiers dans la fourgonnette, pensant aller chez le médecin comme ils l’ont promis. Il est placé en garde à vue comme les six autres, et ne verra un docteur qu’en fin de journée. Leur salive est prélevée pour le fichier national des empreintes génétiques, ce qui terrifie leurs parents: «J’ai peur, avoue le père de Tanguy, que dans quelques années on lui ressorte.» La mère d’Ali, universitaire, a pris un avocat, et est allée rendre visite à l’Inspection générale de la police nationale, «la police des polices»: «Ils m’ont très bien reçu, eux. Nos enfants étaient en garde à vue, on était morts d’inquiétude. Certains parents, comme ceux d’Omar, n’ont pas été prévenus, et personne n’a été informé de leur transfert au tribunal de Créteil. Ce sont quand même des mineurs!» Cette stratégie semble efficace. Tanguy, mis en examen, n’ira plus manifester.
Un lycée débloqué à coup de gaz lacrymogènes
Samedi, au lycée Gustave Eiffel de Gagny, en Seine Saint-Denis, des lycéens ont organisé un blocus de leur établissement, pour protester contre la suppression de postes de professeurs. Les CRS ont brisé leur action, en recourant à des gaz lacrymogènes. Les lycéens dénoncent d’autres violences
Voici le témoignage d’enseignants présents ce samedi matin, Micheline Desponds et Stéphanie Jourdain:
« Ce matin, vers 7h30, quelques élèves ont démarré un blocus du lycée. Le nombre d’élèves massés chemin de la Renardière a augmenté jusqu’à 8h30. Ce blocus laissait, plus ou moins, passer les professeurs et les élèves souhaitant aller en cours. Des policiers de la ville de Gagny étaient présents. Vers 8h45, des professeurs ont pu discuter avec les élèves, leur proposant la tenue d’une AG lundi.
Vers 9h15, une deuxième brigade est arrivée (brigade départementale de sécurité). Ces policiers étaient casqués, armés (flash-ball et gaz lacrymogène). Ils ont directement chargé, en remontant le chemin de la Renardière afin de dissoudre le blocus ce qui a entraîné un mouvement de panique des élèves refluant vers le lycée. Il y a eu plusieurs allers et retours, plusieurs charges consécutives. De nombreux élèves ont été aspergés de gaz, un professeur a été molesté, des élèves ont reçu des flash-ball. Les pompiers ont dû intervenir. Un élève a été arrêté.
Tout ce ceci en dépit de la présence du proviseur et de quelques professeurs qui se sont interposés pour calmer la situation; ce qui était difficile compte-tenu de la violence des propos tenus par les membres de la brigade.
Vers 10h00, des professeurs ont réussi à convaincre les élèves de tous rentrer dans le lycée, tandis que la brigade se retirait. Une AG s’est tenue, sur les marches de l’escalier, à la suite de laquelle les élèves sont rentrés chez eux. Tous les présents ont été particulièrement choqués par la violence de cette répression injustifiée.
Les professeurs se sont réunis, en présence de quelques parents et élèves. Il a été décidé que les professeurs soient présents et se réunissent au lycée lundi dès 7h30. Des parents seront présents aussi.
M. le maire (et un adjoint) ainsi que l’inspecteur d’académie sont arrivés au lycée. La réunion s’est poursuivie en leur présence. A l’issue de cette réunion M. le proviseur et M. le proviseur adjoint se rendaient au commissariat pour récupérer notre élève. »
Deux élèves du lycée Utrillo de Stains victimes de l’arbitraire policier en fin de manif
Une cinquantaine de nos lycéens est partie en manif avec pour seul soutien un accompagnement jusque dans le métro de l’aller par un prof et le texte « au sujet des manifestations ».
Ils ont assuré avec responsabilité leur propre sécurité dans la manifestation, se repliant avec sagesse vers le métro dès l’arrivée à la fin du parcours, à peu près au moment où les « forces de l’ordre » nombreuses déployées autour de la manifestation commençait à lancer sur elle des gaz lacrymogènes.
Une majorité d’entre eux est rentrée sans encombre jusqu’au lycée, mais quelques élèves étaient dans un wagon du métro avec des policiers en civil et d’autres jeunes manifestants.
La suite des événements méritera un témoignage plus complet et direct de la part de ces élèves, voici déjà ce que j’ai pu recueillir :
A la station Vanneau, vers 16h30 environ, les policiers en civil ont soudainement stoppé la rame, saisi des manifestants qui étaient sagement en train de rentrer chez eux, les ont frappés, traînés hors du wagon, puis menottés, mis à terre et tabassés copieusement. Un des garçons ainsi frappés vomissait et perdait du sang. Plusieurs autres passagers se sont indignés de ces pratiques. Une de nos élèves a eu le réflexe de filmer avec un téléphone mobile. Une autre est sortie en demandant aux agresseurs de cesser, fussent-ils policiers, puis en demandant aux passagers de sortir avec elle pour s’interposer. Alors que les portes se refermaient, cette élève ainsi qu’une de ses camarades qui la tenait par le bras ont été tirées hors du wagon par les policiers, tandis qu’un autre était repoussé dans le wagon, qui a démarré.
Les deux jeunes filles, dont une seule est majeure, ont été placées en garde à vue au commissariat de la gare du Nord. Malgré de nombreuses interventions à l’initiative de quelques enseignants , ces deux lycéennes resteront gardées à vue jusqu’à demain mercredi 2 avril et l’avis du procureur de la république. Outre des représentants du SNES et de la CGT-Educ’Action du lycée, nous avons fait intervenir Elianne Assassi, sénatrice de Seine-Saint-Denis ; Jean-Paul Le Glou, maire adjoint de Stains ; Azzédine Taïbi, conseiller général ; Pierre Claustre, secrétaire académique du SNES et l’avocat du SNES. Nous avons téléphoné au proviseur du lycée qui n’a, ce soir, pas répondu.
Les deux élèves comparaîtront pour « outrage à agent ». Elle ont pu voir mardi soir un avocat commis d’office mais personne d’autre, ni enseignants ni parents qui se sont déplacés au commissariat.
Une fois de plus, la réponse donnée aux citoyens qui utilisent leur droit démocratique de manifester est la violence.Sans même savoir les raisons qui les ont amenés à choisir tel ou tel manifestant pour les interpeller, nous devons tous condamner pour leurs méthodes violentes et injustifiables les policiers qui sont intervenus à la station Vanneau. Les passagers du wagon, dont ces deux jeunes lycéennes revenants de manifester, ont eu raison de protester. « L’outrage à agent » qui leur est aujourd’hui reproché ne découle que de cette réaction humaine et citoyenne. C’est le droit de parler qui est entravé ce soir par ces comportements de police et demain par la justice si elles devaient être condamnées.
Je ne développe pas plus, il est du devoir des adultes du lycée UTRILLO, des lycéens, de tous ceux, syndicalistes et militants, qui se sentent concernés, de construire et d’animer dès maintenant un comité de soutien aux victimes de cette répression. Avec pour objectif de les accompagner et les soutenir dans les jours ou les semaines qui viennent, jusqu’à obtenir leur relaxe.
Stéphane, enseignant d’UTRILLO. L’En dehors, 7 avril 2008










