Emeutes et spéculation

Crise alimentaire: «Tant qu’il n’y avait pas d’émeutes, le monde occidental a fermé les yeux»

20minutes.fr

15 avril

Jean Ziegler, rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation et auteur de «L’Empire de la honte» (Poche), analyse la réactivité tardive des organisations internationales et gouvernements au sujet de la crise alimentaire liée à la flambée des matières premières

L’ONU, la Banque mondiale et le FMI ont multiplié les cris d’alarme ces derniers jours. Pourquoi seulement maintenant?

Parce que de nombreux pays sont en proie à des émeutes. Aussi longtemps que ce massacre de la faim ne produisait pas de désordres et ne mettait pas en péril la stabilité des gouvernements, le monde occidental, avec son «ethnocentrisme», a fermé les yeux. Pourtant, le rapport sur l’insécurité alimentaire de la FAO est chaque année plus alarmant. En 2008, il indiquait que la faim provoque la mort d’un enfant de moins de dix ans toutes les cinq secondes et que 854 millions de personnes sont gravement et en permanence sous-alimentées dans le monde.

Quelle est la marge de manœuvre pour agir désormais?

Il faudrait réduire fortement la dette des pays pauvres, investir dans le développement agricole de subsistance et arrêter la production de biocarburants. Le Fonds monétaire international (FMI) a une lourde responsabilité dans cette situation, dans la mesure où c’est lui qui administre le remboursement de la dette. Il a ainsi encouragé les pays concernés à développer les monocultures agricoles destinées à l’exportation afin de créer des richesses et de s’acquitter ainsi des intérêts de la dette.

Les mesures que vous préconisez sont longues à mettre en place, combien de temps encore peut durer la crise?

Si les prix restent à ce niveau-là, au moins cinq-six ans. Et si on ne fait rien, il faut s’attendre à des émeutes très violentes dans plus d’une trentaine de pays. L’opinion publique européenne a un rôle important à jouer. Il faut convaincre les ministres des Finances de faire pression sur le FMI et la banque mondiale.

Propos recueillis par Catherine Fournier

Jacques Diouf: « De nouvelles émeutes de la faim »

Dimanche 13 Avril 2008

Propos recueillis par Antoine MALO

Le Journal du Dimanche

Jacques Diouf, directeur général de la FAO, l’organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation, tire le signal d’alarme. Face à la crise alimentaire – « la plus grave depuis 15 ans« – qui frappe les pays les plus pauvres et où se sont déroulées des violentes manifestations, il prévient: la faim et la colère risquent de se propager.

Quelle est l’ampleur de la crise alimentaire actuelle?

C’est une crise très grave, sans doute la plus grave depuis une quinzaine d’années. Selon l’index FAO, les prix des produits alimentaires ont augmenté de 58 % en un an, de 131% pour les céréales.

A quoi l’attribuez-vous?

Le problème est que nous avons une conjonction de facteurs négatifs qui ont entraîné une hausse des prix. Dans plusieurs pays, les effets du changement climatique ont entraîné de mauvaises récoltes l’année dernière. Il y a eu la sécheresse en Australie mais aussi au Kazakhstan, des inondations en Asie, des ouragans en Amérique latine et un hiver exceptionnellement froid en Chine. A cela s’ajoute un épuisement des stocks. Parallèlement, il y a un accroissement de la demande dû à une augmentation de la population mondiale. Dans les pays émergents qui connaissent de forts taux de croissance, comme la Chine et l’Inde, la population consomme aussi plus de produits alimentaires. Enfin, la nouvelle demande en bioénergies a également joué. Jusqu’à présent, la production agricole était suffisante pour assurer l’alimentation humaine et animale. Désormais, des quantités importantes vont à la production des bioénergies.

« Les fonds spéculatifs ont participé à cette augmentation »

Faut-il justement limiter la production de biocarburants?

Il faut en discuter. C’est un problème complexe. Il faut voir quels sont les pays qui produisent ces biocarburants. Est-ce que ce sont des pays exportateurs ou importateurs de produits alimentaires? Existe-t-il des subventions et aides publiques pour ces productions? Lors du sommet des chefs d’Etat sur la sécurité alimentaire mondiale à Rome, en juin prochain, il faudra étudier l’impact de ces biocarburants.

La spéculation autour des produits agricoles explique-t-elle aussi cette hausse des prix?

Incontestablement, les fonds spéculatifs ont participé à cette augmentation. Ils jouent toujours sur les marchés à terme, que ce soient pour les aliments ou les métaux. Mais ils n’interviennent pas s’il n’y a pas d’opportunités. Leur intervention n’est donc pas une cause structurelle au problème.

Cette crise se limite-t-elle aux pays en voie de développement?

Mais c’est le monde entier qui est touché puisqu’il y a une globalisation des échanges de produits agricoles. Bien sûr, comme toujours, ce sont les pays en voie de développement qui souffrent le plus. Mais je ne serais pas surpris si les réactions populaires que l’on a pu observer en Afrique ou dans les Caraïbes s’étendaient prochainement à l’Asie. Il existe déjà de nombreuses tensions dans beaucoup de pays asiatiques, y compris ceux qui exportent des produits alimentaires.

« Il faut réfléchir à l’aide à apporter aux pays en voie de développement »

Cette situation est-elle amenée à durer?

Oui, car je ne vois pas de raisons objectives de diminution des prix. Certes, il devrait y avoir une augmentation de 4,6% de la production mondiale de produits agricoles cette année mais ce ne sera pas suffisant pour faire face à l’accroissement de la demande. Si nous ne prenons pas les mesures appropriées, il faut donc s’attendre à de nouvelles émeutes de la faim.

Et des déstabilisations politiques dans les pays touchés?

Oui, d’ailleurs nous considérons que le problème n’est plus économique mais politique et social. Au-delà même, cette crise menace la paix et la sécurité dans le monde. J’ose espérer qu’à l’occasion du sommet de Rome, qui est devenu un sommet d’urgence, les dirigeants internationaux prendront les mesures nécessaires pour faire baisser les prix. Sinon, il faut s’attendre à ce que les émeutes s’étendent et qu’elles se radicalisent dans les zones déjà touchées par les flambées de violence.

Comment faire pour sortir de cette crise?

Il y a des mesures à prendre à très court terme. D’abord, faire que ceux qui bénéficient de l’aide alimentaire, les enfants ou les habitants de pays en conflit, continuent à la recevoir. Mais, surtout, il faut s’attaquer au problème de l’offre. Il faut permettre aux agriculteurs d’accéder aux semences et aux engrais, dont les prix ont aussi fortement augmenté, pour la récolte prochaine. Sinon, nous devrons faire face à une situation encore plus grave qu’aujourd’hui. Il faut réfléchir à l’aide à apporter aux pays en voie de développement qui ont vu leur facture d’importation de produits alimentaires augmenter de 25% cette année. Comment aider également les pays qui ont été obligés de supprimer les taxes et droits de douane sur les produits importés pour ne pas répercuter la hausse des prix sur les consommateurs? Enfin, à plus long terme, il faut réfléchir aux moyens mis en oeuvre pour relancer la production mondiale.

Selon l’ONU, l’augmentation du coût de la nourriture menace la stabilité mondiale

Associated Press (AP)
08/04/2008 14h45

L’augmentation récente du nombre d’émeutes alimentaires est un signe avant-coureur qu’une hausse du coût de la nourriture pourrait provoquer des troubles et menacer la stabilité mondiale, prévient l’Organisation des nations unies (ONU).

Ajouté aux effets néfastes des changements climatiques et à l’explosion des coûts du carburant, c’est une «tempête parfaite» qui se prépare pour une bonne partie de la population mondiale, a déclaré le sous-secrétaire général de l’ONU pour l’aide humanitaire et les secours d’urgence, John Holmes.

Il a fait ces commentaires après deux jours d’émeutes en Égypte, où le prix de plusieurs produits a doublé depuis un an. Des émeutes alimentaires violentes sont aussi toujours en cours en Haïti, où les Casques bleus ont dû utiliser des balles de caoutchouc pour disperser les manifestants qui s’étaient assemblés, aujourd’hui, devant le palais présidentiel.

M. Holmes a déclaré que «le coût actuel des denrées est susceptible d’augmenter radicalement la fréquence et l’importance de l’insécurité alimentaire».

Il a ensuite rappelé que le nombre moyen de catastrophes naturelles a doublé depuis 20 ans, et que le coût du diesel – qui est utilisé pour transporter la nourriture – ne cesse d’augmenter, deux facteurs qui contribuent à la hausse des prix des aliments.

De son côté, le directeur adjoint du Programme alimentaire mondial de l’ONU, John Powell, a demandé aux pays développés de faire plus pour aider les pays en voie de développement.

Les pays aux prises avec des émeutes alimentaires ont besoin d’aide pour mettre en place des filets de sécurité sociaux, a-t-il dit.

Le ras-le-bol des pauvres

Radio canada.ca

8 avril 2008

Le prix du riz et de plusieurs denrées alimentaires de base a littéralement explosé au cours des derniers mois. De plus en plus d’observateurs craignent maintenant que ces hausses ne déclenchent des troubles sociaux dans les zones les plus pauvres de la planète.

Appelé à commenter les émeutes qui ont ébranlé Haïti au cours des derniers jours, le directeur du Programme alimentaire mondial (PAM) a estimé, lundi, que la hausse des prix des denrées alimentaires allait fort probablement entraîner de nouvelles tensions.

D’ailleurs, les responsables du PAM ont pu observer au cours des dernières semaines de nombreuses émeutes liées à la disponibilité des denrées de base au Burkina Faso, en Égypte, en Indonésie, en Côte d’Ivoire, en Mauritanie, au Mozambique et au Sénégal.

Une crise qui pourrait durer longtemps

Et ces troubles, qui menacent directement des gouvernements fragilisés par une population au ventre creux, ne semblent guère sur le point de s’éteindre.

En effet, le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, a estimé lors d’un point de presse, lundi, que l’actuelle crise n’est pas qu’un phénomène passager et, au contraire, devrait s’étendre sur plusieurs années.

Selon M. Zoellick, la flambée des prix des denrées risque même, en certains endroits du monde, notamment en Indonésie, d’annuler tous les gains faits au cours des dix dernières années sur le front de la lutte contre la pauvreté.

Et la faim, comme l’expliquent le PAM et la Banque mondiale, prend désormais un nouveau visage, la nourriture étant trop souvent disponible sur des étalages sans que personne puisse se permettre de l’acheter.

Des causes multiples

Les experts expliquent la présente crise par la conjoncture de plusieurs causes qui, mises bout à bout, déstabilisent le fragile équilibre alimentaire mondial.

Ainsi, on estime que la disparition de plusieurs terres agricoles en raison de l’urbanisation et de la désertification de certains territoires contribue en partie au problème. La demande accrue pour des produits animaux qui nécessitent des tonnes de grains contribue elle aussi, selon les experts, au problème. Et finalement, la conversion de millions d’hectares de cultures pour produire des biocarburants, comme en Indonésie, tend à nuire à l’équilibre alimentaire.

À ce propos, il est intéressant de noter qu’en 2008, près de 18 % de la production céréalière américaine servira à la production d’éthanol. Cette même production, selon un institut de recherche environnementale, le Earth Policy Institute, aurait pu nourrir au cours des deux dernières années quelque 250 millions de personnes.

L’Union européenne a d’ailleurs annoncé voilà quelques mois qu’elle allait revoir à la baisse ses plans pour promouvoir les biocarburants à base d’éthanol en raison de l’impact de cette nouvelle industrie verte sur l’agriculture traditionnelle et l’équilibre alimentaire.

Et à toutes ces causes s’ajoute, comme l’expliquait la semaine dernière au quotidien français Le Figaro un courtier en riz, l’impact néfaste sur les prix de la spéculation.

Les prix du riz, qui compose l’essentiel de l’alimentation de milliards d’habitants d’Asie et d’Afrique, ont enregistré des hausses vertigineuses depuis plusieurs mois et entraînent des pénuries dans de nombreux pays importateurs.

La semaine dernière, la tonne de riz a fait sur les marchés un bond de plus de 30 % pour s’établir à 760 $, soit le double de ce qu’elle coûtait au début de l’année. En cinq ans, le prix du riz a quadruplé.

Quand le prix du riz double

2 avril 2008

e cours du riz sur les marchés mondiaux (riz de catégorie moyenne et d’origine thaïlandaise), a presque doublé en seulement trois mois, passant de 360$ à 760$ la tonne métrique (prix du 27 Mars).

Il augmente rapidement car nous faisons face à des pénuries sévères, ainsi qu’à un manque d’effort au niveau international pour régler cette crise alimentaire grandissante.

L’Inde, la Chine, l’Indonésie et d’autres pays asiatiques se ruent sur la marchandise pour s’assurer des provisions. Le 29 mars, l’Inde a imposé un prix pour la vente à l’exportation de 1000$ la tonne, tentant ainsi d’encourager les marchands de riz à vendre sur le marché intérieur et à ne pas attendre que la vente à l’étranger atteigne de tels sommets. Mais cette mesure semble être déjà périmée. Les agriculteurs de Thaïlande, pays exportateur de riz, accumulent leurs stocks en espérant que le prix atteindra bientôt 1000$ la tonne. Ils manquent même à leurs engagements sur des contrats d’approvisionnement faits avec des négociants, qui à leur tour doivent dire à leurs acheteurs étrangers qu’ils n’ont pas pu rencontrer leurs fournisseurs.

Le 28 mars, un contrat a été engagé entre les gouvernements du Vietnam et des Philippines pour 1,5 million de tonnes de riz. Le Vietnam va devoir diminuer son quota d’exportation vers d’autres pays afin d’honorer le contrat passé avec les Philippines, comme preuve de bonne volonté envers un collègue membre de l’Association des nations de l’Asie du sud est (ASEAN). L’Iran et l’Indonésie ont besoin chacun d’un million de tonnes pour les mois prochains. L’Afrique, qui importe plus de 40% de sa consommation de riz, doit faire face à la pénurie d’approvisionnement.

« L’ensemble du marché peut se trouver paralysé. Qui va vendre du riz à 750$ la tonne, alors qu’il pense qu’il va atteindre 1000$ ? » a commenté le docteur Robert Zeigler, directeur général de l’Institut international de recherche sur le riz aux Philippines, dans un interview au Wall Street Journal. Zeigler s’est rendu à Washington DC en décembre 2006 pour donner une conférence à un club de presse nationale, sur la crise menaçante et sur la nécessité d’une mobilisation d’urgence pour la recherche, le développement et la productionagroalimentaire. Seul l’EIR en prit note et fit une interview avec le professeur Zeigler, tandis que le congrès ignora l’avertissement – au péril de la race humaine.

L’Asie menacée d’une crise alimentaire

02/04/2008 | |

Le prix du riz est à son plus haut niveau depuis vingt ans. Jeudi dernier, la tonne de riz a bondi de 31 % pour atteindre 760 dollars. Cette hausse menace l’Asie où chaque habitant en consomme 60 kg par an.

En 25 ans de métier, ce courtier en riz parisien n’a jamais vu ça: impossible depuis plusieurs semaines d’obtenirdeses vendeurs thaïlandais les quantités réclamées, et même des indications de prix ferme. «Ils préfèrent retenir leurs stocks en attentant que les prix grimpent», s’agace ce professionnel. Le raisonnement des vendeurs est simple : pourquoi vendre aujourd’hui alors que demain on pourra obtenir mieux. Jeudi, la tonne de riz a fait un bond de 31% à 760 dollars, soit un doublement depuis le début de l’année, soit un quadruplement sur cinq ans. «Tous les opérateurs craignent une pénurie de riz en 2008», s’alarme l’Office national interprofessionnel des grandes cultures (Onigc), dans son dernier bulletin mensuel.

Les conséquences ne sont pas encore visibles de ce côté de l’Atlantique. En dehors des Italiens, amateurs de risotto, et des Espagnols, champions de la paella, l’Européen est un consommateur moyen: 4,5 kg de riz blanc en moyenne par an.

Il en va autrement en Asie où chaque habitant consomme annuellement 60 kg de riz blanc. Un riz qui menace de manquer bientôt aux Philippines où près de 80% de la population en mange au petit déjeuner. À Manille, les stocks du pays sont tombés au plus bas depuisunquartdesiècle. Lepaysne peut pratiquement plus développer la surface de ses rizières, alors que sa consommation augmente au rythme de sa population qui galope à la vitesse de 1,8% par an.

La présidente philippine, Gloria Macapagal Arroyo, a lancé un véritable appel au secours au premier ministre vietnamien, Nguyen Tan Dung, afin d’obtenir une garantie d’approvisionnement. Manille cherche désespérément 500000 tonnes sur le marché international. Son premier fournisseur, le Vietnam, deuxième exportateur mondial, l’a averti, il y a quelques semaines, qu’il ne pourrait lui vendre qu’un million de tonnes cette année contre 1,4 million de tonnes l’année dernière. Face à ces appels, Hanoï s’est finalement engagé vendredi à livrer cette année 1,5million de tonnes.

Éviter le gaspillage

En attendant, le gouvernement philippin a incité les chaînes locales de fast-food à réduire de moitié le poids des barquettesderiz. Butdela manoeuvre: éviter le gaspillage des consommateursquinefinissent pas toujours leur portion. La mesure devrait permettre d’économiser plus de 1000 tonnes de la précieuse graine par jour. Gloria Macapagal Arroyo envisage également un gel des transformations des terres agricoles en habitation.

La hausse du prix du riz est prise dans la tourmente des autres céréales qui lui sont substituables. C’est ainsi que l’Égypte, échaudée par des mouvements sociaux contre la vie chère, vient d’annoncer la suspension de ses exportationsderizpoursixmoisà partirdu premier avril à début octobre afin de «subvenir aux besoins du marché local, le riz étant une denrée de base en Égypte et le principal substitut aux pâtes dont les prix ont augmenté récemment après la hausse des prix du blé sur le marché international», a expliqué vendredi un conseiller du ministre du Commerce, Mohammed Rachid.

La pénurie ne cesse de s’étendre depuis octobre

L’Inde, troisième exportateur mondial, victime d’inondations dans plusieurs États du pays, a donné le signal en décidant un embargo sur ses exportations de riz non basmati, variété parfumée dont le prix est hors de portée des pays africains. Depuis octobre, non seulement l’Inde n’exporte plus mais risque de devenir importatrice. Premières victimes, les pays du golfe Persique, où jusqu’à 80% de la population est immigrée d’origine indienne ou pakistanaise.

Ces immigrés se sont trouvés privés de riz en quelques jours. Début octobre, le riz a disparu des restaurants indiens, ainsi que des rayonnages des commerces. Les approvisionnements ont fini par reprendre mais plus chers. D’où les violences qui ont éclaté et qui ne se sont pas apaisées depuis dans les Émirats arables unis.

La grogne n’épargne pas l’Afrique. Les autorités sénégalaises ont interdit vendredi une manifestation prévue dimanche à Dakar à l’appel d’une association de consommateurs pour protester contre la hausse des prix, en particulier celle du riz. D’autre pays où le riz est devenu une denrée de base sont également touchés, comme le Cameroun, le Burkina Faso, ou la Guinée.

La hausse du prix du riz destabilise l’Asie

par Keith Bradsher, New York Times, 29 mars 2008

Réactions en chaine. L’accroissement de la demande, les déséquilibres du commerce mondial, la baisse du dollar, sans oublier la spéculation – comme aux plus beaux jours de l’Ancien Régime – concourent au renchérissement des aliments de base. Après l’Afrique de l’Ouest, secouée par des émeutes, puis l’Egypte, voici l’Asie à son tour en proie à la violence et aux troubles. La « règle » du marché, loin d’attribuer à chacun sa juste part comme le prétendent ses zélateurs, amplifie et aiguise les tensions mondiales, au gré des déréglements de forces devenues incontrôlables et irrationnelles. Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l’orage, prophétisait en son temps Jaures. Faudra-t-il revivre à nouveau une sanglante catharsis pour que cette leçon redevienne nôtre ?

La hausse des prix et une peur croissante de la disette ont amené certains des premiers producteurs mondiaux de riz à annoncer une limitation drastique de leurs exportations en la matière.

Le prix du riz, qui constitue un des composants de base du régime alimentaire de près de la moitié de la population mondiale, a presque doublé sur les marchés internationaux au cours des trois derniers mois. Le budget de millions de pauvres Asiatiques s’en est trouvé amputé d’autant tandis que grandissent les craintes de désordres civils.

Pénuries et hausses des prix de nombreux produits alimentaires ont généré ces derniers mois des tensions et mêmes des violences de par le monde. Depuis janvier, des milliers de soldats ont été déployés au Pakistan pour escorter les camions acheminant blé et farine. Des protestations ont éclaté en Indonésie du fait de la pénurie de pousses de soja, tandis que la Chine rétablissait le contrôle des prix de l’huile de cuisine, des céréales, de la viande, du lait et des œufs.

Des émeutes ont éclaté ces derniers mois, pour des raisons similaires, en Guinée, en Mauritanie, au Mexique, au Maroc, au Sénégal, en Ouzbékistan et au Yémen. Mais les décisions prises ces deux derniers jours par les nations exportatrices de riz – qui visent à garantir la satisfaction de leurs propres besoins grâce à leurs maigres disponibilités – ont mené les prix à de nouveaux sommets sur les marchés.

L’insécurité des nations importatrices s’en est trouvée renforcée, qui désespéraient déjà d’assurer leur approvisionnement. Mardi, le Président Philippin Gloria Macapagal Arroyo, craignant une aggravation de la pénurie de riz, a mission des enquêteurs gouvernementaux pour repérer les accapareurs.

Cette hausse du prix du riz promet d’accroître la pression sur les prix aux Etats-Unis, qui importent, selon l’Association des Producteurs de Riz des Etats-Unis, plus de 30 % du riz que les Américains consomment. L’an passé déjà, le prix du riz payé par le consommateur avait augmenté de plus de 8 %.

Mais les Etats-Unis ont la chance d’être également exportateurs de riz ; les pays pauvres comme la République du Sengal en Afrique de l’Ouest ou les Îles Salomon dans le Pacifique Sud dépendent lourdement des importations et doivent aujourd’hui composer avec des factures plus élevées.

Le gouvernement vietnamien a annoncé vendredi qu’il réduirait cette année ses exportations de riz de près d’un quart. Il espère qu’en conservant davantage de riz pour sa consommation intérieure, le pays limitera la hausse des prix. Le même jour, l’Inde a interdit l’exportation de toutes les qualités de riz, à l’exception des plus onéreuses. L’Egypte a annoncé jeudi un moratoire de six mois sur les exportations de riz à compter du 1er avril, et, mercredi le Cambodge a gelé les exportations de riz, à l’exception de celles intervenant dans le cadre de l’activité des agences gouvernementales.

Les gouvernements d’Asie et ceux de nombreux pays d’Afrique consommateurs de riz s’inquiètent de longue date du fait qu’une hausse substantielle des prix pourrait générer une réaction de colère chez les habitants des villes aux faibles revenus.

« Des troubles ne sont pas à exclure, spécialement parce que les populations les plus affectées sont pauvres, urbaines et regroupées, et qu’ils peuvent plus facilement s’organiser que ne pourraient le faire par exemple des fermiers pour protester contre des prix trop bas, » affirmait Nicholas W. Minot, chargé de recherche senior à l’Institut de Recherche en Politiques Alimentaires Internationales de Washington.

Différents facteurs contribuent à alimenter la hausse rapide des prix du riz. L’élévation du niveau de vie en Inde et en Chine s’est accompagnée d’une hausse de la demande. Dans le même temps, la sécheresse et d’autres problèmes climatiques ont réduit la production en Australie et ailleurs. De nombreux fermiers se tournent vers des productions plus rentables et réduisent les superficies agricoles affectées à la production de céréales. Urbanisation et industrialisation ont enfin réduit la quantité de terre consacrée à la riziculture.

Au Vietnam, un obscur virus a arrêté, depuis trois ans, la croissance jusque là continue des niveaux de production de riz.

Selon Sushil Pandey, économiste agronome à l’Institut International de Recherche sur le Riz de Manille, jusqu’à ces dernières années, les probabilités d’évolutions rapides des prix étaient neutralisées par la tendance de nombreux gouvernements à constituer de larges réserves de riz afin de garantir leur sécurité alimentaire.

Mais le maintien de ces stocks engendrait un coût. Les gouvernements les ont donc réduits au cours de la dernière décennie, alors que la consommation mondiale de riz tendait à dépasser la production.

Les quantités relativement faibles qui échangées par-delà les frontières, combinées à des réserves réduites, permettent aujourd’hui d’importantes variations des prix lors d’interruptions dans les approvisionnements.

Dans le même temps, les prix fixés sur le marché international du riz ont un impact de plus en plus sensible sur les prix pratiqués au sein des pays. Ceci s’est particulièrement vérifié à l’ère d’Internet et des téléphones mobiles, qui permet aux fermiers des régions les plus reculées de connaître les prix et d’apprécier la justesse de celui proposé par leurs propres acheteurs. Cette semaine, avant même que les gouvernements n’imposent ces restrictions, les compagnies de négoce des pays exportateurs étaient devenues réticentes à s’engager à de nouvelles livraisons et attendaient de constater le niveau jusqu’auquel les prix allaient monter. « Le marché ne manquait pas d’éléments ces dernières semaines pour décider d’un temps mort », explique Ben Savage, Directeur du Riz de la Jackson Son & Company, une firme londonienne de négoce en marchandises. La flambée des prix causent déjà des privations dans les pays en développement.

Sur un marché couvert délabré d’un vieux quartier de Hanoi, Cao Minh Huong, une vendeuse de poteries, affirme que la montée des prix alimentaires, spécialement de celui du riz, la contraignent à modifier ses habitudes. « Je dépense autant en nourriture, mais les quantités sont moindres ».

Au même titre que la hausse des prix d’autres produits alimentaires, comme le blé, le soja, le porc et l’huile de cuisson, celle du prix du riz alimentent également l’inflation dans les pays en développement. Le prix de vente au détail du riz a déjà progressé de 60 % ces derniers mois au Vietnam, en conséquence de la hausse des prix de gros, mais alimente l’inflation. Le Premier Ministre vietnamien Nguyen Tan Dung a annoncé mercredi que la première priorité du gouvernement était désormais de combattre l’inflation. Les prix à la consommation ont globalement progressé de 19 % par rapport à mars dernier. Le taux d’inflation a presque triplé au cours de l’année passée.

La plupart des pays fortement consommateurs de riz en produisent traditionnellement suffisamment pour satisfaire leurs propres besoins. Seuls 7 % de la production mondiale est échangée sur les marchés internationaux chaque année, selon les chiffres de la FAO.

Nguyen Van Bo, le président de l’Académie Vietnamienne des Sciences Agronomes, qui coordonne l’activité des instituts gouvernementaux de recherche agronomique, explique dans une interview que son gouvernement s’attend à ce que la hausse de la production se poursuive après 2010 malgré l’expansion rapide de l’urbanisation et de l’industrialisation au détriment de terres qui étaient jusqu’ici consacrées à la riziculture. Selon lui le gouvernement formera les fermiers à alterner la culture du maïs avec celle du riz afin de circonvenir les maladies comme le virus qui sévit actuellement.

Le Vietnam, l’Egypte et l’Inde ont tous trois limité leurs exportations de riz l’an passé, mais ces restrictions, bien moins drastiques, n’étaient intervenues que tardivement dans l’année, alors que de plus grandes quantités de riz avaient déjà été expédiées.

Le gouvernement thaïlandais, le premier exportateur de riz avant le Vietnam, n’a pas encore limité les quantités qu’il entend exporter. Mais un débat national y est mené sur le point de savoir si une telle décision ne serait pas opportune et, en pratique, selon Monsieur Savage, les exportateurs thaïlandais ont déjà cessé de signer des contrats de livraison.

Avant même que le Vietnam et l’Inde n’annoncent leurs décisions, les offres pour les qualités les plus courantes de riz thaïlandais de taille moyenne avait doublé cette année pour atteindre 735 $ la tonne. Le prix du riz Vietnamien de taille moyenne a presque doublé et atteint 700 $ la tonne. L’essentiel de cette augmentation est intervenue au cours des quatre dernières semaines. Les offres ont progressé de 50 $ vendredi.

Les gouvernements ont été réticents à encourager leurs fermiers à vendre leur riz à des prix bas, par crainte de les voir geler leurs stocks à des fins de spéculation ou de renoncer à en produire suffisamment. Vendredi, la Chine, virtuellement autosuffisante en riz, a relevé le prix minimum garanti aux fermiers pour le riz et le blé.

Le prix du riz gonfle de 30%

RFI

28/03/2008

En Asie, le prix du riz a augmenté de 30% en un jour, faisant craindre un soulèvement populaire. La hausse des prix du riz a commencé en janvier, alors que l’augmentation des autres matières premières s’est fait sentir beaucoup plus tôt. Depuis le début de l’année, les prix du riz ont quasiment doublé, passant de 380 dollars la tonne à plus de 750 dollars aujourd’hui, dopé par la forte demande d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient.

A l’origine de cette hausse vertigineuse, l’Egypte , le plus gros producteur du Proche-Orient, a suspendu la vente de son riz à l’étranger, pour une période de 6 mois, du 1er avril au début du mois d’octobre prochain.

Cette mesure qui vise à maintenir le riz à un prix raisonnable pour les consommateurs égyptiens, prive le marché mondial d’environ 1 million de tonnes de cette céréale. D’autant plus que la décision égyptienne fait suite à celle du Vietnam et de l’Inde, qui sont respectivement deuxième et troisième exportateurs de riz au monde. Le Cambodge a aussi décidé de ne plus exporter son riz.

Toutes ces restrictions réduisent d’un tiers les stocks de riz sur le marché international et contribuent davantage à la hausse des prix. Ce qui accroît les difficultés des pays importateurs à faibles revenus. Comme le Bangladesh, où le prix du riz a doublé en 1 an, alors que près de la moitié de sa population tentent de survivre avec moins d’un dollar par jour.

Le riz est aussi l’aliment de base de plusieurs pays en Afrique, notamment le Cameroun, le Sénégal et le Burkina Faso qui ont récemment souffert de mouvements sociaux liés à la hausse des prix des denrées alimentaires. Une situation qui fait craindre aussi des émeutes en Asie où cette céréale nourrit quotidiennement plus de deux milliards cinq cents millions d’habitants.

~ par Alain Bertho sur 9 avril 2008.