Carta settimanale : chroniques d’Alain Bertho 2008-2010

Billet de Alain Bertho dans l’hebdomadaire italien

Octobre 2010

114. Jeunesse populaire : plus de rage qu’en 2005 et 2006

Les affrontements qui ont marqués la mobilisation lycéenne contre la réforme des retraites se distinguent des deux séquences précédentes, l’opposition au CPE en 2006 et la protestation contre la réforme du lycée en 2008.

Le premier fait marquant, dans les villes populaires et les banlieues, est une conjonction entre une partie des lycéens et ceux qu’on nomme les “casseurs”. Quand des jeunes sont venus des quartiers pour en découdre avec la police, ils ont été suivis par nombre de lycéens. Ce partage de la rage s’ancre sans doute dans un vécu commun : tous ces jeunes subissent depuis des années contrôles au faciès, regards apeurés des adultes, discrimination…

Cette rencontre a permis une autre nouveauté : les jeunes sont sortis de leurs quartiers où se sont multipliés les affrontements depuis 2005, pour porter le conflit dans les centres-villes : c’est ce qu’on a vu à Lyon, à Dijon ou à Saint-Denis.

Mais ni d’un côté, ni de l’autre, on ne retrouve l’humour, voir l’allégresse qui avait marqué les périodes précédentes. Même lors des événements de 2005 les émeutes étaient aussi l’occasion de se retrouver dans une ambiance presque festive. Aujourd’hui, cette rage est devenue plus « grave » et ces jeunes affrontent la police sans peur, ni parole, ni humour.

Le contentieux entre la jeunesse populaire et l’Etat (et la politique) s’est donc considérablement alourdi en cinq ans Aucune force politique ne semble décidée à le prendre en compte. Tandis que la répression s’abat de façon très dure depuis 2005, aucun discours autre que disciplinaire ( à droite comme à gauche) ou moral (à gauche) n’a émergé. Ces jeunes sont toujours aussi seuls face au pouvoir.  Ils grandissent dans une relation à l’Etat qui est du registre de la guerre. Mais n’est-ce pas la guerre justement que revendique le chef de l’Etat Français.

113. Emeutes en chaine en Colombie.

Depuis trois mois, la Colombie connaît une vague d’affrontements civils exceptionnelle. Une dizaine par mois en moyenne sur les questions les plus diverses. Il s’agit d’abord de troubles universitaires. Les universités de Medellin, Neiva, Tunja, Pereira et d Cali ont connu des affrontements récurrents en août et septembre.

Les conflits sur la terre sont aussi récurrents, à Tierralta près de Cordoba en Août (3 blessés) et à Teorama en octobre (3 maisons brûlées et 7 blessés). Mais c’est d’abord la ville qui est le cadre de ces explosions de colère. Les expulsions se heurtent à de violentes résistances dans le quartier de Barrio Unidos de Bogota en septembre comme dans celui de Ségovia près d’Antioquia en octobre (3 blessés).

Comme partout en Amérique Latine, les services urbains dits « informels » sont une source fréquente de conflit : le commerce (Armenia en août, 3 blessés) mais surtout les mototaxis. Ces derniers sont à l’origine d’émeutes à Bucaramanga  et à Sincelejo en septembre ainsi qu’à Cereté en octobre où les autorités ont du imposer le couvre feu.

Les flambées peuvent concerner les questions les plus diverses : un mouvement social contre la vente d’une mine (Segovia encore, en septembre, 15 blessés), l’insuffisance des services de santé (Guaduas en août, 5 blessés), une tentative de lynchage d’un suspect après l’assassinat d’un pêcheur (Soledad en septembre).

Par deux fois, les échauffourées ont eu pour origine la résistance d’un quartier à une arrestation : à Ceballos près de Cartagena en septembre (1 mort) et à Calarca dans le département de Quindio en octobre.

Enfin, comme partout dans le monde, la population de La Plata (Huila) s’est soulevée le 12 octobre après la mort d’un jeune dans les locaux de la police, a pris d’assaut et a incendié la mairie.

112. Combats obscurs de la jeunesse

Qu’y a-t-il de commun entre Amiens, ville du nord de la France, chef lieu du département de la Somme, 130 000 habitants et Santa Rosa, capitale de la province de la Pampa en Argentine, 100 000 habitants. Rien a priori ne rapproche ces deux villes de province dont chacune ignore sûrement Jusqu’à l’existence de l’autre.

Dans la nuit du 9 au 10 octobre, selon des informations médiatiques fragmentaires, des incidents ont éclatés dans les quartiers populaires de la ville, notamment les quartiers nord. Des patrouilles de police ont été prises à parti. Huit voitures et une douzaine de poubelles ont été incendiées.

Les incidents ont commencé à 18h. Le calme est revenu dans les rues d’Amiens vers 3h du matin alors que 120 fonctionnaires de police avaient été dépêchés sur les lieux, de même qu’un hélicoptère. Les témoignages de policiers parlent de groupes d’émeutiers de 10 à 20 personnes.

Au même moment, des incidents entre des jeunes et la police se succèdent dans le quartier de Unanue et Rodriguez (« Plan 5000 ») de la ville argentine. El Diaro de la Pampa qui rapporte les événements reste assez laconique et ne dit rien de leur origine possible. Mais on n’en sait guère plus à Amiens, même si la nuit d’émeute sporadique a eu les honneurs de quelques lignes dans la presse nationale.

Samedi soir ordinaire ? Les tensions entre la jeunesse populaire et les police qui traversent le monde s’installent dans leur généralité et leur banalité. A quoi bon en chercher les causes ? Une autre mondialisation est entrain de se mettre en place, celle de la dissidence de la jeunesse.

En France, le gouvernement réfléchit sérieusement à l’intervention de l’armée dans les banlieues. Il devrait aussi réflechir à la poussée de violence qui accompagne l’entrée de plus jeunes, des lycéens, dans la mobilisation contre sa réforme des retraites.

111. Les squats en ligne de mire.

Il est loin le temps où les squatters d’Amsterdam étaient évalués à près de 20 000. Une ville dans la ville. Une force sociale, culturelle, politique. C’était il y a 25 ans… Aujourd’hui, selon une étude universitaire, ils ne sont plus que 1500 sur les 750 000 habitants. C’est encore trop dans une des villes les plus chères d’Europe.

Le mouvement squatter est un des dernier symbole encore en place de la fameuse tolérance des Pays Bas. Amsterdam fut le centre de ce mouvement dont le nom néerlandais, Kraken, signifie « rupture ». Ce fut un mouvement populaire après la seconde guerre mondiale, une forme de résistance à la pénurie de logement et à la spéculation immobilière. Par décision de la Cour suprême depuis 1971, l’occupation d’un bâtiment inutilisé n’est pas un délit.  Il était depuis longtemps admis qu’il ne fallait pas expulser les sans-abri occupant un bâtiment vide.

Mais le temps de la tolérance est fini et l’heure est à la reprise en main. D’autres piliers de la liberté hollandaise comme la prostitution légale ou les  lieux de vente libre de la marijuana ont déjà connu des restrictions ou des interdictions. Aujourd’hui une nouvelle loi sur le squat prévoit une répression sévère pouvant aller jusqu’à un an de prison.

C’est dans ce contexte que le maire de la ville Eberhard van der Laan annonce l’évacuation prochaine de 200 squats dans le cadre d’un plan destiné à améliorer l’image d’Amsterdam.

Le vendredi 1 octobre, ce sont 200 manifestants qui sont descendus dans la rue en scandant « les squats continueront« . La manifestation s’est vite envenimée. Les policiers ont reçu des pierres et riposté avec les gaz lacrymogènes, des voitures ont été renversées et brûlées.

Le temps de la tolérance est fini. Vient donc celui de la rente foncière, de la répression … et de l’émeute.

Septembre 2010

110. Bidonvilles : chronique d’une résistance globale.

Qu’y a-t-il de commun entre un quartier de Bogota, un quartier d’Alger, la banlieue de Manille, une ville du sud de la Bulgarie et Nakuru en ce mois de septembre 2010 ?

Le premier septembre c’est à Nakuru, au Kenya, que deux personnes tombent sous les balles de la police en résistant à l’expulsion de résidents d’un quartier populaire. Des familles qui vivaient là depuis 35 ans se voient opposer l’irrégularité de leur construction et le non paiement d’un loyer au propriétaire du terrain.

Le 21 septembre ce sont les habitants d’un immeuble du quartier Alcázares de Barrio Unidos, au nord de Bogotá qui résistent à la police venue « restituer l’immeuble » à son propriétaire. Le même jour à des milliers de kilomètres de là c’est à Hangberg (Le Cap) que les résidents empêchent par la force la destruction programmée de leur fragile bidonville. Toujours le même jour, à l’autre bout de l’Afrique, le quartier algérois de Diar Echems renouait avec les émeutes contre la lenteur et l’opacité des procédures de relogement des habitants du bidonville.

Cinq jours avant, à Yambol dans le sud de la Bulgarie, les familles Rroms qui vivaient depuis dix ans dans un ancien hôtel n’ont pas pu éviter leur violente expulsion au cours de laquelle un enfant a été grièvement blessé.

Mais c’est à Querzon city, dans la banlieue de manille qu’a eu lieu, en cette fin de mois de septembre, la bataille la plus spectaculaire contre la spéculation foncière. Ici, ce sont des milliers de familles qui sont accusées « d’installation illégale ». Il faut dire que les 29 hectares du quartier du  « Triangle Nord » attisent l’appétit de promoteurs qui y ont prévu un vaste complexe d’affaire. Les démolitions qui avaient commencé sont suspendues depuis les émeutes.

Dans les métropoles de la mondialisation, c’est partout la vie qui s’oppose à la « loi »… de la finance.

109. Los Angeles : le spectre de 1992

Des émeutes à Los Angeles ! Depuis l’affaire Rodney King en 1992, cette annonce est devenue mythique. En ce mois de septembre, le mythe a pris des allures de réalité.

Le 5 septembre, Manuel Jamines, un ouvrier du bâtiment guatémaltèque de 37 ans a été abattu par les agents du LAPD. Les circonstances précises de sa mort ne sont pas claires. Selon la police, il a été abattu alors qu’il menaçait un passant avec une arme blanche et ignorait les sommations des officiers. Selon d’autres témoins, Manuel Jamines était ivre, ne parlait pas l’anglais, n’était pas dangereux. L’officier de police mis en cause avait déjà ouvert le feu et blessé deux personnes lors de précédentes arrestations.

Sa suspension provisoire n’a pas suffi à calmer la colère des habitants du quartier de West Leg qui a connu trois nuits consécutives d’échauffourées, d’incendies et de jets de pierres sur la police. Des affrontements de ce typê ne sont pas les premier dans ce quartier populaire et cosmopolite de Mac Arthur Park . C’est là que le 1 mai 2007 la police avait violemment réprimé une manifestation pour le droit des migrants. Des dizaines de manifestants et de journalistes avaient été blessés par les tirs de balle en caoutchouc et les coups de matraque.

Il y a longtemps que les USA n’avaient pas connu de violence de ce type. La mort d’Oscar Grant, jeune homme noir de 22 ans, abattu de sang froid le 31 décembre 2008 par la police dans le métro d’Oakland avait fait le tour du monde. Plusieurs vidéos amateurs montraient avec évidence les circonstances de cet assassinat. Pourtant la ville n’avait connu alors qu’une nuit d’émeute. La colère a de nouveau éclaté en juillet de cette année devant la clémence du verdict judiciaire : le coupable a en effet été condamné pour homicide involontaire… Tout cela était sans doute dans les têtes des émeutiers de septembre.

108. Incendies de l’été

Près de 200 : c’est le nombre d’émeutes, affrontements civils et échauffourées divers recensés dans le monde en juillet août 2010. 61 pays sont concernés. On en compte 23 en Afrique, 49 en Amérique, 67 en Asie et 43 en Europe. Ces chiffres sont sous estimés : les multiples incidents de « l’intifada kurdes » restent souvent inconnus. Et les chiffres ne tiennent pas arithmétiquement compte des dizaines de jours d’affrontements et de couvre feu dans le Kashmir indien.

Quelles sont donc les raisons de cette multiple colère. A côté de la révolte des peuple contre la domination dont ils sont victimes, au Kashmir, en Turquie, mais aussi en Palestine, on retrouve quelques grands classiques : les émeutes de l’électricité (Sénégal, Iraq, Pakistan) ou les manifestations étudiantes (Ghana, Chili, Colombie, Honduras, Nicaragua, Panama, Venezuela, Bangladesh, Inde, Mali, Sénégal,  Colombie, Honduras). Incontestablement, les émeutes et affrontements liés au sport et surtout au football sont en augmentation (Colombie, Allemagne, Belgique, France, Italie, Slovaquie, Haïti, Uruguay, Allemagne, Espagne et même … Chine !)

Les émeutes ouvrières deviennent récurrentes, notamment en Asie. Au Bangladesh, ce sont des enfants, ouvriers du textile qui ont affronté les forces de police cet été.

Mais le plus impressionnant est sans doute la mondialisation rapide des émeutes provoquées par la mort d’un jeune : douze dans les seuls mois de juilet août. Trois ont eu lieu en France : Grenoble, Saint-Aigna et Vernouillet (il ne s’agissait là que d’une rumeur). Mais on voit aujourd’hui le même scénario se dérouler en Algérie (Fouka), en Colombie (Cartagena et El Tarra), au Nicaragua (Chichigalpa), au Pérou (Lima), en Inde (Dehli), en Jordanie (Karameh), en Argentine (Salliquetos) et même au Burkina Faso (Gaoua). On le savait : la banlieue est devenue Monde.

Août 2010

107. Banlieue : un été français

Le gouvernement français a déclaré la guerre intérieure contre la violence urbaine. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’il a été pris au sérieux par ceux qu’il désigne ainsi comme des ennemis domestiques. De façon peu surprenante, la guerre répond à la guerre et l’été français a été chaud.

Mi-Juillet, à Garges-lès-Gonesse, une soixantaine de jeunes affrontent les policiers. Le 14 juillet, à Montmagny, Les policiers essuient des tirs de feu d’artifice. Le 3 août, à Auxerre, un contrôle de police tourne à l’affrontement. Dix personnes armées de bâtons et de pierres empêchent son interpellation. On tire sur la police. Le même jour, à Villiers-le-Bel quatre agents sont pris à partie et essuient des tirs de fusil. Le 9 août, à Perpignan, trois agents sont roués de coups par des habitants d’une cité. Le 12 août, à Corbeil-Essonnes cinq policiers sont agressés avec un marteau et des pavés. Le 16 août, à Paris, une vingtaine de personnes empêchent une interpellation. Le 24 août, à Toulouse la brigade anticriminalité appelée à intervenir pour coups de feu est accueillie sur place… par des tirs.

L’événement phare de l’été fut l’émeute qui a éclaté dans la ville de Grenoble le 16 juillet après la mort d’un jeune, Karim Boudouda, abattu par un policier après avoir participé au braquage du Casino d’Uriage. Trois jours plus tard, une voiture de la BAC essuie des tirs de fusil de chasse.

La mort d’un jeune reste l’une des grandes causes d’émeute à travers le monde. L’idée de la « mort innocente » en est un des ressorts avec le contentieux existant partout entre la jeunesse et les forces de police qui la persécute au quotidien.  A Grenoble un pas a été franchi. La victime des tirs policiers était un délinquant avéré. Mais la situation est si dégradée que ce point n’est en aucun cas un frein à l’indignation collective

Juillet 2010

106. Les émeutes et le football

La coupe du monde de football va elle installer une sorte de trêves mondiale des émeutes ? Rien n’est moins sûr. On sait que depuis quelques temps, le sport est redevenu l’occasion d’affirmation collective violente. La phase préparatoire de la coupe nous en a donné quelques exemples lors de la qualification de l’Algérie.

Ce qui se passe et qui avait déjà été observé à ce moment là c’est une mondialisations du phénomène et une déterritorialisation des affrontements. Ainsi c’est à Santiago qu’éclate une émeute après un match de l’équipe du Chili en Afrique du Sud.

Le plus nouveau et le plus remarquable est sans doute que le football s’invite dans des situations d’émeute plus classique. Ainsi l’émeute de l’électricité qui éclate à Dhaka au Bengladesh le 12 juin est due au fait que le délestage a interrompu la retransmission du match entre l’Argentina et le  Nigeria. Les rues ont été bloquées plusieurs heures par plusieurs centaines de jeunes.

Le même scénario se déclenche le lendemain à des milliers de kilomètres de là,  à Hassi-Dellaâ (Laghouat)en Algérie alors qu’un délestage met en péril la retransmission du match Slovénie Algérie. Une première coupure intempestive a eu lieu de 11h30 à 13h30 obligeant les autorités à user d’un groupe électrogène placé au complexe sportif de proximité de la commune pour permettre à quelque 2 000 personnes de se déplacer pour suivre le match ;

À la défaite du onze national est venu s’ajouter un deuxième délestage à  20h30 plongeant tout un quartier dans le noir au moment du match Allemagne – Australie. L’exaspération, alors à son comble, s’est exprimée par des incendies de pneus et des blocages de route. Le fameux « Panem est circenses » à l’heure de la mondialisation génère de nouvelles aspirations : celles de communiquer sans entraves avec le reste de l’humanité !

105. La chasse aux Roms est ouverte

Le camp Rom du Hanul à Saint-Denis a été rasé. C’était depuis 2003, le symbole qu’une autre politique locale était possible. Une convention avait été signée entre les familles et la mairie qui permettait à quelques dizaines de familles d’être des habitants à part entière de la ville, aux enfants d’être scolarisés et aux habitants d’avoir l’eau et le ramassage de poubelles.

La préfecture de Seine Saint-Denis et le nouveau préfet, proche du président de la République a décidé de détruire tous les camps Roms du département au rythme de « quatre par semaine ». Le camp du Hanul était lui aussi visé.

Ce qui provoque désarroi et colère chez les Roms mais aussi chez tous les militants, c’est que les mairies, et notamment la mairie de Saint-Denis (ex-PCF) n’a opposé aucune résistance à cette politique d’évacuation brutale, en dépit des engagements pris par le passé. Pire : elle l’a accompagnée.

Lorsque le 8 juillet, après l’évacuation du camp, quelques familles accompagnées de soutiens sont venu protester en centre ville, près de la basilique royale et réclamer un toit pour leurs enfants, ce sont des dizaines de cars de CRS qui sont intervenus, quadrillant la ville. « C’était une ambiance de guerre » dit un habitant.

Les familles ont réussi à échapper à la police mais 24 militants ont été arrêtés sans ménagement, l’un d’eux terminant sa soirée à l’hôpital. Les élus de la ville avaient disparu des terrasses de café.

Qu’on se le dise : la chasse aux Roms est ouverte dans le département emblématique de la Seine-Saint Denis. Mais ce ne sont pas les seuls visés et derrière eux, ce sont les militants associatifs ou politiques qui subissent aussi la répression. Sans avoir le moindre soutien de la gauche politique…

104. Morts trop jeunes

A l’instar de ce qui s’est passé en France en 2005 (Clichy sous bois) ou en 2007 (Villiers le Bel), en Grèce en 2008 voire aux USA le 31 décembre de la même année, la mort violente d’un jeune dans des circonstances impliquant les forces de police est un des scénarios les plus récurrents conduisant à l’émeute. C’est même un scénario de plus en plus fréquent.

On en compte 3 cas en 2006 (Belgique, Chine, Inde), 4 en 2007 (Chine, France, Italie, Pays-Bas), 13 en 2008 (Algérie, Afghanistan, Canada, Chine, Espagne, France, Grèce, Italie, Pérou, Sénégal). Ce nombre a plus que doublé en 2009 pour monter à 27 acas répertoriés. Les pays concernés sont aussi plus nombreux : Algérie(2), Argentine (2), Brésil, Chine, Côte d’Ivoire, France(7), Haïti, Inde (2), Italie, Jordanie, Libéria, Mali, Mexique, Pakistan (2), Portugal, USA, Venezuela…

La tendance se confirme en 2010. En ce début d’été, à des milliers de kilomètres les uns des autres, des indiens du Kashmir et des jeunes du Burkina Faso affrontent les forces de police de leur gouvernement respectif pour des raisons similaires : une vie fauchée trop tôt, des forces policières ou paramilitaires responsables et perpétuellement impunies.

A Soppore, près de Srinagar, fin juin, la colère ne retombe pas malgré la répression meurtrière et le couvre-feu, après la mort de Tariq Ahmad Rathar, 19 ans, victime de balles perdues. Depuis le début des émeutes, c’est Tajamul Ahmad Bhat, 17ans, et Tauqeer Ahmad Rather, 15 ans qui sont morts à leur tour, victimes de la répression.

A Gaoua au Burkina Faso, c’est la mort mystérieuse d’un jeune à la suite de son arrestation pour trafic de cannabis qui a déclenché l’émeute et l’incendie de la direction locale de la police. Un autre jeune est tombé dans l’affrontement. Nous ne connaitrons pas leur nom.

Juin 2010

103. Les émeutes et le football

La coupe du monde de football va elle installer une sorte de trêves mondiale des émeutes ? Rien n’est moins sûr. On sait que depuis quelques temps, le sport est redevenu l’occasion d’affirmation collective violente. La phase préparatoire de la coupe nous en a donné quelques exemples lors de la qualification de l’Algérie.

Ce qui se passe et qui avait déjà été observé à ce moment là c’est une mondialisations du phénomène et une déterritorialisation des affrontements. Ainsi c’est à Santiago qu’éclate une émeute après un match de l’équipe du Chili en Afrique du Sud.

Le plus nouveau et le plus remarquable est sans doute que le football s’invite dans des situations d’émeute plus classique. Ainsi l’émeute de l’électricité qui éclate à Dhaka au Bengladesh le 12 juin est due au fait que le délestage a interrompu la retransmission du match entre l’Argentina et le  Nigeria. Les rues ont été bloquées plusieurs heures par plusieurs centaines de jeunes.

Le même scénario se déclenche le lendemain à des milliers de kilomètres de là,  à Hassi-Dellaâ (Laghouat)en Algérie alors qu’un délestage met en péril la retransmission du match Slovénie Algérie. Une première coupure intempestive a eu lieu de 11h30 à 13h30 obligeant les autorités à user d’un groupe électrogène placé au complexe sportif de proximité de la commune pour permettre à quelque 2 000 personnes de se déplacer pour suivre le match ;

À la défaite du onze national est venu s’ajouter un deuxième délestage à  20h30 plongeant tout un quartier dans le noir au moment du match Allemagne – Australie. L’exaspération, alors à son comble, s’est exprimée par des incendies de pneus et des blocages de route. Le fameux « Panem est circenses » à l’heure de la mondialisation génère de nouvelles aspirations : celles de communiquer sans entraves avec le reste de l’humanité !

102. Le mystère Rinkeby

Trois ministres suédois se sont succédés mercredi 9 juin à Rinkeby, dans la banlieue nord-ouest de Stockholm. Inquiets, interloqués, se demandant ce qui avait bien pu prendre à la population de ce quartier populaire presque en bout de ligne de métro ainsi qu’à celle de Tensta, la banlieue voisine. Deux soirs de suite en effet, y compris après la visite des ministres, cette banlieue s’est embrasée. Si personne n’a été blessé, les gestes et les images de toutes las banlieues du monde ont défilé devant les yeux d’une police et d’une classe politique tétanisée : des jets de pierre contre les policiers, une dizaine d’incendies volontaires, des pompiers volontairement gênés dans leur travail. Parmi les cibles on compte des voitures,  le commissariat, mais aussi Rinkebyakademin, l’Académie de Rinkeby, un centre d’aide pour les jeunes en difficulté, l’école voisine.

Le plus inquiétant n’est sans doute pas l’ampleur des échauffourées, d’échelle modeste en comparaison d’autres situations, mais l’incompréhension totale affichée par les responsables, premier ministre en tête , ou de la ministre libérale de l’intégration qui en appelle à « la responsabilité de la société civile, des parents et de chaque individu pour régler cela localement. » Pourquoi se priver des vieux discours qui ont déjà fait preuve ailleurs, de leur inanité ?

Il est sans dopute plus facile de stigmatiser la jeunesse de ce quartier surnommé « little modadishu » en raison de la forte concentration d’immigrés que de se demander pourquoi une altercation entre la police et un groupe de jeunes devant une école a ainsi dégénéré. Que s’sest-il passé exactement ? Quel vieux contentieux à réveillé ce qui semble parti de l’interpellation d’une jeune fille ? Pourquoi c’est apparemment l’école qui était la première cible des émeutiers ?

Mai 2010

101. Le portable, le jeune et l’hôpital

Il était une fois un policier qui avait perdu son portable. C’était dans une cité de la banlieue en France, dans une ville nommée Villetaneuse, un quartier nommé Saint-Leu. Mercredi 19 mai, le policier a décidé de retrouver son portable et s’est fait aider d’une cinquantaine de ses collègues. Ceux-ci ont pensé qu’en donnant des contraventions à toutes les voitures du quartier, ils obligeraient les habitants à dénoncer le « voleur » de portable. Puisqu’il était évident pour eux qu’il s’agissait d’un vol et qu’un quartier populaire comme le quartier de Saint-Leu ne pouvait qu’être collectivement complice de ce contrevenant. « Usuals suspects »…

La population du quartier s’est très naturellement émue de cette pluie soudaine de contraventions. «En trente ans, je n’ai jamais vu une seule voiture prendre un pv dans cette rue», assure un habitant. «Les policiers ont perdu les pédales», admet une source policière. Toujours est-il que les habitants sortent de chez eux et que la tension monte. «Un attroupement de jeunes, mais aussi de pères de familles, s’est formé autour des policiers.»

« Un jeune a arraché la souche de PV des mains d’un flic, et c’est parti en live” raconte un jeune. L’émeute éclate. Des renforts arrivent. Des bombes lacrymogènes fusent et plusieurs balles de flashball sont tirées.

C’est l’une de ces balles que Nordine 27 ans prend en pleine face alors qu’il tentait de calmer le jeu. Le jeune homme est hospitalisé à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, avec une joue perforée et la mâchoire fracturée. Il a été opéré à deux reprises jeudi. Son frère a été placé en garde à vue.

Décidément, il ne fait pas bon habiter un quartier où les policiers du commissariat d’Epinay sur Seine perdent leurs petites affaires ! « Perdu les pédales » ? Pire : ils ont perdus complètement le sens de leur mission.

100. Facebook, menace urbaine

Une nouvelle menace plane sur les villes du Monde; C’est la menace des flashmob. Le principe est simple. Un abonné de facebook lance un « événement », à un lieu et une heure précis. Ce rendez-vous est thématique: déguisement, manifestation artistique, lancé de ballon… D’autres s’inscrivent et tout le monde se retrouve en lieu et en heure.

Cette pratique déjà ancienne a connu quelques dérapages : le mois dernier , une flashmob d’extrême droite s’est terminée en bagarre générale dans la petite ville de Charleville Mézière dans l’Est de la France.

L’administration de la ville de Philadelphie aux USA s’interroge sur la meilleure façon de contrôler ces rassemblements soudains qui se terminent en échauffourées et et pillage général des magasins du quartier.

Ce qui aujourd’hui inquiète les responsables de la sécurité urbaine, ce sont les rassemblements festifs. Les universités américaines en ont connu de fameux : East Lansing en avril 2008 et la James Madison Universty en Virginie en avril 2010. Dans ces deux cas, facebook a donné à la fête raditionnelle une dimension hors norme. Dans les deux cas la nuit s’est terminée par des scènes d’affrontements dignes des banlieues du monde.

La France avait connu un phénomène semblable dans la ville de Tours il y a deux ans. Mais ce qui aujourd’hui inquiète le responsables et la presse française ce sont les « apéritifs géants » qui mettent en compétition les jeunesses des grandes villes. Qui aura le plus de milliers de participants pour ces moments de sociabilité et de consommation massive d’alcool ? Nantes, Montpellier ? Rien de violent pour l’instant. Mais on peut tenter une prédiction : que les mairies ou les préfectures essaient d’interdire ces fêtes et de poursuivre les organisateurs et l’émeute ne sera pas loin.

99. El Fasher au Darfour : banlieue du monde financier ?

Les émeutes grecques nous font incontestablement entrer dans une nouvelle période : celle où les peuples se mettent à affronter en direct et en toute connaissance de cause, la logique financière de la mondialisation. Ce n’est pas tout à fait la première fois. Cette dimension était présente dans les émeutes de Sofia comme de Bichkek. Elle était explicite dans les émeutes contre les systèmes d’épargne dits « pyramidaux » qui se sont effondrés en Colombie à la suite de la crise financière.

Il est vrai qu’on s’attends plutôt à ce que les pays dits du nord se mobilisent contre la finance, laissant les « émeutes de la faim » (comme celles de 2008) aux pays du Sud.

Mais la mondialisation a battu les cartes et perturbé la géographie de la révolte.

C’est en effet à El Fasher au centre du Darfour (Soudan) que la révolte grondait depuis plusieurs semaines. Des milliers de petits épargnants ont été floués par dans une escroquerie du type de celle de l’Américain Madoff : ce qu’on appelle une pyramide de Ponzi, ou une escroquerie par cavalerie. La recette est connue des escrocs du monde entier, de Wall Street au Darfour. On promet des intérêts élevés à des gens qui leur confient leur argent. Mais on rémunère les  victimes avec les dépôts de nouveaux investisseurs jusqu’à ce que la bulle spéculative explose.

Les milliers de victimes réclamaient des mesures gouvernementales depuis des mois. Ne voyant rien venir, les manifestants du 2 mai 2010 à El Fasher ont perdu leur calme et ont affronté durement les forces de police. Celles-ci ont ouvert le feu lorsque le cortège a marché sur la maison du gouverneur. Le bilan est lourd. Il est officiellement de quatre morts.

Signe des temps : l’insurrection gagne les épargnants et le Darfour devient un sujet d’intérêt pour la Tribune de Genève.

Avril 2010

98. France : des pierres contre les autobus

Un nouveau phénomène est en train de se répandre en France : l’attaque de bus. Rien à voir avec l’attaque de diligence de nos anciens westerns. Il n’y a rien à voler. Juste un défi de jeunes de quartiers populaires lancés contre l’Etat. Tout à commencé à Tremblay en France (en seine Saint-denis) le 31 mars. La concomitance d’un reportage télévisé sur le trafic de drogue dans une cité de la ville et d’une vague d’arrestations chez les petits trafiquants avaient passablement chauffé les esprits. Deux autobus en ont fait les frais dont l’u a été partiellement incendié.

L’affaire en serait certainement restée là si le gouvernement et le président de la République en tête n’avaient fait de cette affaire une affaire d’Etat, promettant la protection des transports, y compris en les faisant accompagner par des voitures de police. Il n’en fallait pas moins pour faire des bus une cible symbolique attirante.

Les incidents alors se multiplient. Le 7 avril, dans la cité de la Grande Borne à Grigny, une intervention policière contre de jeunes motards se termine par l’incendie d’un bus. Le 14 avril, ce sont trois nouveaux bus qui sont caillassés dans la commune de Villepinte, près de Tremblay en France. L’un des projectiles a traversé de part en part l’un des bus.

Le 22 avril, à Dammarie en Goele (Seine et Marne) ce sont 14 bus qui sont saccagés dans le dépôt lui-même. Le 23 c’est à Sevran (près de Tremblay) que deux bus sont pris d’assaut.

Mais le phénomène sort de la région parisienne. Au matin du 21 avril, c’est à Marseille qu’un bus vide sortant du dépôt est pris pour cible. Le 24 avril c’est au tour de la cité Montanou dans la banlieue de la petite ville d’Agen, de connaître le même scénario. Ces épisodes illustrent le climat de tension qui s’aggrave de mois en mois entre l’Etat et les jeunes des quartiers populaires.

97. Des pierres contre la spéculation foncière

Cabanyal – Canyamelar est un vieux quarter populaire de Valence, (Espagne).. Depuis douze ans, les habitants vivent avec la menace de l’expansion de l’avenue Blasco Ibáñez. Le 24 Juillet 1998, en effet, la municipalité de Valence a approuvé le projet d’extension de cette avenue jusqu’à la mer et la destruction de 1651 maisons.

Depuis cette date, les habitants se sont organisés  et de nombreuses actions ont eu lieu pour préserver ce quartier historique dont la valeur a été reconnue par le Ministère de la Culture. Au mépris de l’ordonnance de ce ministère qui interdit toute nouvelle destruction, la municipalité, le 7 avril 2010, a envoyé un bulldozer avec la mission d’abattre cinq bâtiments supplémentaires.

Il a fallu l’intervention musclée de la police pour dégager la route obstruée par un sit-in spontané des voisins. Coups de matraques, jets de pierre et de pneus. Le vieux quartier de pêcheurs connaît quelques temps une ambiance d’émeute. A l’issue des affrontements une femme de 49 ans et un jeune homme de 29 ont été admis à l’hôpital.

A quelques années de distance, Valence se trouve ainsi confrontée à des logiques de mutation urbaine et de valorisation foncière qui ne sont pas sans rappeler les conflits qui ont accompagné la mise en œuvre des grands projets urbains de Barcelone. Dans la capitale catalane, la défense du vieux quartier « El bario gotico » qui s’est concentrée en 2006 sur la bataille du « Forat de la Vergonya » (trou de la honte) a finalement été gagnée par les spéculateurs.

A Valence cette bataille reste incertaine même si le habitants et ceux qui les soutiennent peuvent s’appuyer sur des décisions gouvernementales : la logique de la rente foncière, appuyée par les édiles locaux semble sans limite.

96. « C’est pourtant pas la guerre »

« C’est pourtant pas la guerre » est le titre d’un récit littéraire de Maryline Desbiolles[1] situé dans les quartiers populaires de Nice. C’est aussi la réflexion qu’on du se faire les habitants du « Grand ensemble » de la ville de Tremblay en France dans la banlieue parisienne (près de l’aéroport de Roissy) quand mercredi 31 mars un autobus a été pris d’assaut à coup de cocktail molotov. Vengeance des dealers dérangés par une opération de police réussie la veille ? Colère de jeunes habitants après la diffusion d’un reportage très stigmatisant sur leur quartier ? Les autorités préfèrent la première hypothèse qui criminalise d’emblée la logique d’affrontement qui semble maintenant à l’œuvre ?

Cette interprétation rassure à bon compte. Incidents, échauffourées, guets-apens semblent prendre le pas sur l’émeute dans la banlieue française. Le 26 mars à Achères, dans les Yvelines, des policiers qui tentent d’empêcher des dégradations de voitures en sont pour leur frais. Le 8 mars à Epernay dans la Marne un policier a été grièvement blessé après une tentative d’arrestation.

En février, à Chanteloup les Vignes dans les Yvelines, durant deux heures, des échauffourées ont opposé des policiers à une trentaine de jeunes dans le quartier de La Noé. Une patrouille banalisée de la Bac (Brigade anticriminalité) avait été encerclée vers 19h30 par des jeunes qui lui ont lancé des pierres et les policiers avaient été contraints d’appeler des renforts. Il a fallu des tirs de flashball et de gaz lacrymogène pour disperser les émeutiers et libérer la patrouille. En janvier, des policiers et une trentaine de jeunes se rebellant contre l’interpellation de deux d’entre eux se sont affrontés à Mantes-la-Jolie (Yvelines).

La logique de l’affrontement est belle et bien à l’œuvre.

Mars 2010

95. Les townships : banlieues de la Coupe du Monde

Les townships d’Afrique du Sud vont-ils profiter de la coupe du Monde de Football pour faire entendre leur voix ? Les choses à dire ne manquent pas : pauvreté, chômage, éloignement des centre urbains, mal vie, déficits de services publics, non relogement…

C’est en tout cas ce que peuvent craindre les autorités du pays où les émeutes se multiplient dans les anciens quartiers de l’apartheid et où les habitants, souvent en dehors de toute légalité,.on juré de se manifester.

Le menace la plus récente est venue le 9 mars de Mamelodi Est, un quartier tentaculaire de cabanes où les milliers de personnes vivent sans électricité ni eau courante, à une dizaine de kilomètres de Pretoria.

De Vusi Nkosi, une implantation de 6000 « squatters », selon le journal Beeld, des voix s’élèvent pour opposer « les millions de rands » dépensés pour  préparer rapidement la Coupe du monde si rapidement, et « les conditions sordides dans les camps de squatters ».

Les menaces de perturbation de le Coupe (qui aura lieu à quelques dizaines de kilomètres à l’aide de toutes les méthodes traditionnelles de mobilisation de l’ANC ne sont pas des menaces en l’air.

Deux jours de suite Mamellodi a été le théâtre d’affrontements sévères avec les forces de police, motivés par les retards pris dans le processus de relogement promis par la municipalité.

Depuis quelques mois ces émeutes se multiplient : Meyerton en mars, Siyathemba (township de Balfour) en février, Riviersonderened en janvier, Palm Ridge et Standerton en octobre 2009, Balfour, Johannesburg, Durban en août 2009… Bien souvent, comme en mai 2008, ces émeutes ont aussi une coloration xénophobe qui ne peut qu’inquiéter un peu plus un pays que s’apprête à recevoir des dizaines de milliers de supporters du monde entier.

94. Soulèvement des bidonvilles en Algérie

L’affaire fait maintenant la une des journaux algériens : la crise du logement est en train de mettre le feu aux poudres dans les quartiers populaires des grandes villes : Constantine, Oran et surtout Alger. Le point de départ est sans doute à chercher du côté des émeutes déclenchées en février dans le quartier Diar Echems en octobre 2009 en protestation contre la pénurie de logement et le manque de transparence des attributions. Des promesses ont alors été faites par les autorités que els habitants ont e de nouveau rappelé à leur bon souvenir en février de cette année. Ces dernières semaines des centaines d’habitants ont été relogés.

Lorsqu’en février 2010, les autorités de Constantine décident d’évacuer le bidonville de la rue de Roumanie en relogeant 27 familles sur 701, c’estr à nouveau à une émeute massive que se heurtent les forces de l’ordre. Début mars, c’est le quartier de Zâatcha d’Alger qui se soulève. Puis c’est au tour du quartier du Château-Cassé, un quartier composé d’habitations précaires au boulevard des martyrs, toujours à Alger. Le Wali annonce alors un plan de relogement de pas moins e 10 000 familles.

Cette annonce ne ramène pas le calme dans les bidonvilles. Des émeutes vite étouffées éclatent dans quelques quartiers comme Djenane Sfari à Birkhadem ou à la ferme Gregory, près de Kouba. Une semaine après le lancement de cette opération, qui devrait s’étaler jusqu’au mois d’octobre prochain, et alors que le relogement de Diar Echems commence, les habitants du quartier Zaâtcha se font à nouveau entendre. Des mouvements de protestation éclatent encore à Diar El Kefd, à Ain Naâdja et à Gué de Constantine où se trouve le plus grand bidonville d’Alger. «Les gens de Diar Echems ont bien eu gain de cause après leur révolte. Nous allons agir de même », tonne Abdelkrim, un jeune de Oued S’mar.

93. Séminaire anti émeute à Beijing

« Les chefs de la police retournent sur les bancs de l’école ». C’est sous ce titre que le quotidien chinois anglophone « China Daily » annonce, le 23 mars, le séminaire convoqué pour le week-end dans la capitale chinoise par le ministre de la sécurité publique, Meng Jianzhu.

Pas moins de 472 responsables municipaux des forces de police y ont été convoqués pour réfléchir aux nouvelles conditions du maintien de l’ordre dans le pays. Le séminaire siègera durant 10 jour à la Chinese People’s Public Security University. Ce n’est pas tout à fait une première. L’an dernier, ce sont les 2861 responsables des bureaux de police des « Xian » (niveau administratifs intermédiaires) qui avaient planché.

Le programme de travail n’a pas été dévoilé. Mais il y a fort à parier que, à l’instar de l’année dernière, la réflexion porte sur la gestion des troubles sociaux et la question plutôt neuve en Chine, de l’usage des médias dans cette gestion. Si les troubles, les « incidents de masse » comme les nomment les responsables chinois, sont de plus en plus nombreux, certains sont plus particulièrement médiatisés à l’échelle mondiale et ont imposé au pouvoir d’affiner ses compétence en matière de communication. Il y a eu une évolution évidente entre la gestion des émeutes tibétaines de 2008 et celles du Xinjiang en 2009.

Pour les mois et les années qui viennent, le défi est encore plus grand. Il s’agit d’abord d’assurer dans le calme de grands événements internationaux comme l’exposition universelle de Shanghai. Il s’agit aussi, au dire des responsables d’intégrer un nouveau contexte de changement économique, social et culture plus propice au trouble.

Meng Jianzhu appelle les forces de police chinoises de demain à s’inspirer de la « sagesse et de la vision des savants et des généraux et du courage des guerriers ». Tout un programme.

92. « Villes sans bidonvilles » : après le Maroc, le Sénégal.

En Juillet 2004 , le Maroc a lancé son programme « villes sans bidonvilles destiné à la résorption de l’habitant précaire et souvent illégal des périphéries des grandes villes. Ce programme avait touché 31 villes au printemps 2009. Après Dakhla, Boujdour a été ainsi proclamée, en janvier 2010, 41° ville a obtenir le label « ville sans bidonvilles ». Ce programme est appuyé par l’agence française de développement.

Mais depuis son lancement, et de plus en plus les années passant, des voix s’élèvent pour dénoncer le « manque d’accompagnement social » de ce programme de délocalisation massif de population pauvres. Jusqu’à la banque Mondiale qui, en 2007 fait un constat accablant.

Le programme est donc générateur de conflits. Parfois, comme à Fès et Mohammédia, des habitants ont refusé de quitter leurs baraques. A Douar Laskar (Fès), on a frôlé l’émeute quand les habitants ont refusé de quitter leurs baraques (les nouveaux logements étaient pourtant construits à une centaine de mètres) et ont lapidé la délégation conduite par le ministre, lors de l’inauguration.

On mesure, au travers du langage technocratique des rapports que ces programmes sont moins faits pour améliorer la vie des habitants (qui se retrouvent copropriétaires avec des charges qu’ils en peuvent pas payer) que pour dégager du foncier urbain constructible et rentable.

Après le Maroc, c’est le gouvernement sénégalais, par la voix du ministre d’Etat, ministre de l’Urbanisme, de l’Habitat, Oumar Sarr, qui annonce son programme « les villes du Sénégal sans bidonville ». Le programme concerne près de 2000000 de personnes. C’est le gouvernement allemand qui est ici sollicité comme appuis financier et opérationnel. Le mode opératoire est le même qu’au Maroc.

Des conflits urbains en perspective !

Février 2010

91. De la « Hogra » à la vendetta : la responsabilité de l’Etat

En Algérie on appelle ça la « Hogra », le mépris. C’est ainsi qu’on désigne l’attitude des pouvoirs publics vis-à-vis des populations délaissées, stigmatisées, des quartiers laissés pour compte, des jeunes en général.

C’est d’abord contre cette Hogra que se sont révoltés les habitants de la cité des Frères-Abbès connue sous le nom d’Oued El-Had à Constantine le 17 février dernier. Ce quartier délaissé, en grande partie constitué de bidonvilles dont l’évacuation est programmée pour la fin de l’année, a dit sa colère. Une centaine de jeunes manifestants ont bloqué le boulevard de l’ALN, en contrebas de la mosquée Omar Ibn Abdelaziz, à l’aide de blocs de pierre et des pneus enflammés.

Ce vent de colère a pour origine le décès d’un jeune de 22 ans, B. Boukeur, écrasé par une voiture lors d’une rixe l’ayant opposé à des jeunes de la cité voisine des Lauriers Roses. Le meurtrier est en fuite et c’est sans doute le sentiment que la police n’a pour ce drame que de l’indifférence qui a poussé ensuite mercredi soir, les jeunes en colère de tenter d’incendier la villa habitée par sa famille.

L’arrivée des forces d’intervention a finalement les deux quartiers limitrophes d’Oued El-Had et de Sidi Mabrouk supérieur, en un véritable champ de bataille. Les affrontements on duré une partie de la nuit et ont repris le lendemain soir après l’enterrement du jeune décédé.

En Algérie, comme en France (Saint-Dizier l’an dernier) comme en Italie (à Milan par exemple) ou ailleurs, le mépris de populations, le sentiments de n’être pas pris en compte, que sa vie n’a pas la même valeur que celle des autres génère de la colère et génère parfois la tentation de se faire justice soi-même. La « Hogra » de l’Etat  est aussi à la source de la violence entre les gens eux-mêmes.

90. La semaine mondiale de la relégation urbaine ?

A des milliers de kilomètres de distances, des femmes et des hommes ont ces derniers jours affrontés les autorités de leur pays pour défendre leur droit de vivre. Et à ce droit humain, partout, les autorités répondent par la force de la loi.

Le vingtième anniversaire de la libération de Nelson Mandela a ainsi été marqué par les émeutes du Township de Siyathemba à une centaine de kilomètres de Johannesburg. à 10 kilomètres de Balfour à travers champs. Une majorité de baraques de tôle habitées par un grand nombre de chômeurs. Loin de tout, même des services publics. Ici, comme en mai 2008, ce sont les étrangers qui cristallisent le ressentiment. Ici, comme partout dans le monde, ce sont des jeunes et même des très jeunes qui s’en prennent aux forces de police et qui brûlent des pneu dans la rue.

Ce sont des garçons aussi jeunes qui au camp de réfugiés de Shu’fat s’en sont pris aux forces israéliennes trois jours plus tôt pour protester contre la nième rafle opérée à l’intérieur du camp. Le camp de Shu’fat héberge 25.000 réfugiés palestiniens, dont la plupart ont été déplacés de leurs maisons de Jérusalem. Le camp est isolé de Jérusalem par un mur et deux check points militaires ont été installés à l’entrée ouest du camp pour contrôler la circulation des habitants.

Quelques jours plus tard, en France, dans la ville de Bagnolet dont le maire est pourtant membre du Parti Communiste, une vingtaine de ménages ont été expulsés du squat où ils vivaient, pour certains depuis plus de dix ans et ont été mis à la rue, sous la neige, par une température inférieure à zéro. Pour rendre l’expulsion définitive, la mairie a pris soin de demander à un bulldozer de détruire l’immeuble dans lequel se trouvait encore une partie des affaires personnelles et des papiers des habitants mis à la rue.

89. Le Forum social mondial en Banlieue

Dix ans déjà ! si le dixième anniversaire du Forum social mondial n’a pas fait la une des médias, il n’en a pas moins été un vrai succès. L’année 25010 était une année décentralisée : pas de grand événement mondial mais des dizaines d’événements locaux. Dont un à Porto Alegre bien sûr. 30000 personnes au moins on fait le déplacement dans la capitale du Rio Grande Do Sul au Brésil pour participer aux débats dans les entrepôts du bord de la Gaiba et au Gazometro.

Mais cette année comportait une innovation de taille : il s’agissait cette fois-ci du Forum social du « Grand Porto Alegre ». Cette fois-ci la banlieue était de la partie. Car cette ville dont le nom a fait le tour du monde est la capitale d’une région métropolitaine qu’on avait eu tendance à oublier. Les changements à la mairie de Porto Alegre même et le départ du PT on fait perdre à la ville centre le rôle d’initiative politique qu’elle avait eu. Les élections de 2008 ont vu arriver au pouvoir de nouvelles équipes municipales dans la banlieue nord de l’agglomération, notamment à Canoas (350 000 habitants) dont le maire Jairo Jorge est devenu un peu la figure de proue.

C’est donc aussi dans cette banlieue que le FSM du « Grand Porto Alegre » a délocalisé nombre de ses activités. C’est là notamment, dans les locaux de l’Université Unisalle que s’est tenu pendant trois jour un séminaire sur les Métropoles solidaires, soutenables et démocratiques où se sont retrouvés nombre ‘élus de villes de banlieue brésiliennes et européennes.

Parmi les intervenants se trouvait en bonne place Sara Hernandez, première adjointe du maire de Getafe en Espagne, dans la banlieue de Madrid. C’est dans cette ville que doit se tenir en juin les deuxièmes assises du Forum des Autorités Locales de Périphérie. La banlieue a définitivement pris ses marques dans le mouvement altermondialiste.

Janvier 2010

88. Un de plus…

Cette fois ci c’est à Woippy (15.000 habitants) dans le département de la Moselle, dans l’Est de la France, que le drame a eu lieu le 19 janvier 2010. Le scénario est implacable. Des jeunes qui s’amusent et font quelques bêtises. Un vélomoteur apparemment volé. On roule à trois sur le même véhicule, sans porter le casque obligatoire.

Un véhicule de la police municipale les repèrent, les prend en chasse. Au bout de la course, très vite c’est l’accident. Malek Saouchi, 19 ans est tué. Ses deux camarades Nabil Boufia, 19 ans, et Josua Koch, 20 ans sont grièvement blessés. C’est payer cher pour des bêtises d’adolescents. Beaucoup trop cher. D’autant que le doute plane sur la responsabilité des policiers. La voiture a-t-elle touché le scooter ? L’accident aurait-il eu lieu si cette couse poursuite n’avait pas été engagée ?

Ces questions ne sont pas nouvelles car des accidents de ce genre, entraînant la mort de jeunes et dans lesquels la police est mise en cause ont été nombreux ces derniers temps en France. On peut bien sûr remonter à la mort de Moushin et Larani à Villiers Le Bel en 2007. Plus récemment, le 28 septembre 2008, Iliess, 16 ans, est  tué dans un accident alors qu’il était poursuivi par la police à Romans. Le 21 mai 2009, un autre jeune de 19 ans meurt à Amiens dans des circonstances analogues comme Jason, 18 ans, le 10 juillet à Louviers, Yakou Sanogo, 18 ans, le 9 août 2009 à  Bagnolet et Mohamed, 21 ans à Fréjus le 25 octobre 2009.

Chacune de ces morts a provoqué une émeute. Le 20 janvier une marche silencieuse est organisée à Woippy en mémoire d e Malek. Mais la colère est trop forte. Vers 21h00 dans le quartier du Roi, une cabine téléphonique est détruite près d’un commissariat puis ce sont des palettes, des poubelles et des voitures qui sont incendiées. Une émeute ordinaire contre un scénario devenu trop ordinaire.

87. L’ Etat haïtien entre violence et défaillance

Les machettes et la violence hantent la conscience haïtienne. Cette prégnance de la brutalité du pouvoir, de la dynastie Duvalier à l’épisode Aristide, a installé une figure de l’Etat qui l’on pouvait craindre ou défier mais dont on ne pouvait guère attendre, en confiance, une action publique vraiment légitime.

Cet Etat haïtien, balayé avec ses bâtiments publics, son siège gouvernemental, sa tour de contrôle, sa prison, en 60 secondes de secousse amplitude 7, a montré son vrai visage : celui d’un fragilité absolue.

Depuis la guerre civile et l’arrivée au pouvoir de René Préval, il y a quatre ans, les milices avaient cessé de semer la terreur et la loi de la machette. Mais c’est l’ONU, la MINUSTAH (Mission des Nations unies pour la stabilisation en Haïti) très précisément qui s’était installée dans le paysage public, garante de la paix civile et cible des colères populaires. Car des colères, il y en a eu ces dernières années.

Le pays le plus pauvre du continent, dépendant du marché mondial pour son alimentation et de l’ONU pour son ordre civil est une sorte de concentré de l’effondrement des dispositifs étatiques nationaux dans la mondialisation libérale. Avec 8,5 millions d’habitants, dont 70% vit avec moins de deux dollars par jour, Haïti ne survit que grâce à l’aide internationale, en particulier grâce à l’aide alimentaire.

“Nou grangou” (Nous avons faim”, en créole).

En Avril 2008, le doublement des prix du riz, à 80% importé, en une semaine, déclenche des émeutes sanglantes. En une semaine, des manifestations de rues à Port-au-Prince et dans les principales villes de province ont causé la mort de cinq personnes (dont un policier nigérian de l’ONU) et fait plus de 500 blessés. C’est une des pics des la séries des émeutes appelées alors « émeutes de la faim ».

Tout est parti le 3 avril de la petite ville des Cayes dans le Sud où des manifestants s’en sont pris au campement des Nations Unies. s troubles et les pillages ont ensuite gagné Port-au-Prince et certains bidonvilles se sont particulièrement illustrés comme Cité Soleil ou Pétionville. Cité Soleil, dernière zone contrôlée par des bandes armées fidèles à l’ex-président Jean-Bertrand Aristide, est devenue le quartier le plus violent de la capitale. Jusqu’à l’an passé, ce fut la. Le 9 février 2007, les troupes de maintien de la paix de l’ONU avaient lancé une opération pour prendre le contrôle de la zone. Le 8 avril 2008, les Casques bleus des Nations Unies ont eu recours à des balles de caoutchouc et des gaz lacrymogènes pour disperser des manifestants rassemblés devant le palais présidentiel protégé par des blindés légers.

Au centre-ville, des groupes de jeunes avaient dressé des barricades de pneus et de pierres. Certains d’entre eux étaient armés de gourdins ou d’armes à feu. Ailleurs, dans Port-au-Prince, dès les premières heures de la matinée, plusieurs centaines de manifestants se mettaient à piller les installations des petits commerçants à Pétion-Ville, sur les hauteurs de Port-au-Prince. D’autres quartiers de la capitale haïtienne, Carrefour par exemple, étaient touchés. Dans la matinée du 9 avril, les manifestations se sont étendues à la province, aux Gonaïves, à l’ouest du pays et à Saint Marc, au nord.

Crise politique

Ces émeutes ont entraîné une crise politique. Le vote d’une motion de censure a contraint le premier ministre, Jacques Édouard Alexis, à la démission. En fait, depuis l’élection présidentielle, aucune formation politique ne disposait d’une majorité à même de désigner un nouveau chef de gouvernement.

Le président René Préval a annoncé une série de mesures pour juguler la crise. Les importateurs de riz. ont baissé de trois dollars le prix du sac de riz tandis que l’État en subventionne la vente à hauteur de 5 dollars. Mesures bien faibles qui laissent à 43 dollars le sac de riz toujours peu accessible d’autant que la grande distribution, vraie bénéficiaire de la baisse est laissée libre du prix de revente.

Dépendant du marché mondial pour son alimentation, le pays est devenu dépendant des grandes puissances pour atténuer ses crises sociales. La France  annonce une aide de 1 million d’euros, et l’Organisation des États américains l’envoi de 1 million de dollars. .

Des élections à haut risque et une université sous pression

Un an plus tard presque jour pour jour des incidents violents émaillent les élections sénatoriales, forçant les autorités à annuler le scrutin dans certaines régions. Des centres de vote sont attaqués armes à la main à Mirebalais. Des incidents similaires ont lieu ailleurs. A Vérettes et Ouanaminthe des responsables locaux arrêtent les opérations de vote en raison de nombreux incidents. Les opérations électorales de l’année suivant ne seront pas plus calmes.

Mais à partir de juin 2009, c’est l’Université, mobilisée pour l’augmentation du salaire minimum qui devient l’épicentre des troubles. Les étudiants affrontent les forces de l’ordre. Le 5 juin, les participants d’une manifestation pour la libération d’étudiants emprisonnés s’en prennent violemment à des journalistes, un photoreporter du journal « Le Nouvelliste » et un employé de la station privée Télé Haïti, grièvement blessé.

Le 9 juin, c’est un http://www.alterpresse.org/images/Logo Alterpresse.gifétudiant en communication, Emmanuel Jean-Francois qui est abattu lors de nouvelles manifestations antigouvernementales. Une semaine plus tard, un véhicule de la MINUSTAH et un bus sont  incendiés au cours de nouveaux affrontements où des tirs ont été échangés. C’est dans ce climat d’extrême tension que se déroulent alors des élections sénatoriales partielles. Les affrontements entre partisans de candidats opposés font un mort le 20 juin à Jeremías, dans le Sud-Est de Haití.

Novembre 2009 : les étudiants encore

Les étudiants qui en avril 2009 ont bénéficié du soutien d’une bonne part de la population dans leurs revendications salariales, sont à nouveau en première ligne en novembre. Le 18 novembre, jour symbolique de la commémoration de la bataille de Vertières de 1803, en marge de mornes cérémonies officielles, des dizaines de manifestants, pour la plupart des étudiants, ont gagné les rues de Port-au-Prince pour réclamer le retrait des troupes de la MINUSTAH et l’autonomie de l’Université d’État d’Haïti (UEH). Des voitures sont incendiées.

Les arrestations de 11 étudiants de la faculté des Sciences humaines qui ont lieu alors déclenchent le cycle d’affrontement dans les jours et les semaines qui suivent : barricades, blocage de le route nationale, gaz lacrymogènes. La faculté d’agronomie devient alors un camp retranché…

Un peuple sans Etat

L’Etat Haïtien n’a pas attendu le séisme de janvier 2010 pour perdre sa puissance, et sa légitimité. Les deux siècles d’indépendance, marqués par l’instabilité et la dépendance extérieure n’ont pas permis de le construire réellement. La dictature des Duvalier, partenaires de la mafia américaine, les doutes sur la sincérité des élections rétablies par la suite et l’étau final de la mondialisation ont fait le reste. Le peuple haïtien est d’une certaine façon devenu un peuple sans Etat. Il n’est pas sûr que sa (re)construction soient une des priorités de l’aide internationale dans les années qui viennent.

86. Saint-Sylvestre 2010 : un bon cru pour les voitures brûlées

Cela devient presque une farce. Tous les matins du 1 janvier depuis plusieurs années, le Ministère français de l’Intérieur fait un communiqué triomphal annonçant une baisse du nombre de voitures brûlées en France durant la nuit de la Saint-Sylvestre. Et tous les ans maintenant, les heures passant, les informations remontant doucement des préfectures, le bilan se nuance puis s’inverse. L’année 2009 avait été spectaculaire avec une hausse de 30% sur 2008. Nous ne saurons jamais sans doute le score réel de 2010 : tous les compteurs officiels ont été bloqués à 1 137 véhicules, dès lors que le chiffre avait presque égalisé celui de 2009 (1 147). On avait compté 878 incendies en 2008, 397 en 2007, 425 en 2006, 337 en 2005, 324 en 2004.

Ce chiffre « saisonnier » n’est que la partie visible d’un phénomène massif en France. Il y a dix ans le président Jacques Chirac s’était inquiété devant le congrès des sapeurs-pompiers du nombre d’incendies de voitures parvenu alors au chiffre de 14 000 pour 1998. Le chiffre de 45 588 véhicules incendiés en 2005, année des émeutes en France, avait été qualifié « d’exceptionnel ». Mais il n’y eu « que » 10 000 véhicules brûlés durant les émeutes proprement dites. Sans événement exceptionnel, on compte encore 44 157 voitures brûlées en 2006, 46 814 en 2007, plus de 40 500 en 2008 et probablement plus de 40 000 en 2009

L’incendie de véhicule est devenu une forme courante de manifestation collective dans la jeunesse. Qu’il s’agisse de manifestation de colère ou de liesse. Les nuits des 13 et 14 juillet  ont leur lot : 500 véhicules en 2009. Il en est de même des matches de football (300 en France lors du match Egypte-Algérie) ou des soirées électorales (730 voitures le soir de la victoire de en 2007). Et la mobilisation policière exceptionnelle (45 000 policiers et gendarmes le 31 décembre 2009 ou 34 000 pour le 14 juillet 2009) n’y peut rien changer…

Alain Bertho


[1]Le Seuil, 2007

Décembre 2009

85. Vers de nouvelles années de braise ?

Cent-trente émeutes répertoriées en 208 dans 50 pays et plus de 500 en 2009 dans près d’une centaine de pays, la tendance et claire : nous vivons à l’échelle mondiale une période d’embrasement comme il en existe tous les demi-siècle. 1848 a vu le printemps des peuples affirmer la modernité politique de l’Etat et de la Nation. La fin de la première guerre mondiale a vu le communisme s’installer au coeur de la politique mondiale du XX° siècle. « Les années 68 » ont en quelque sorte bouclé ce cycle politique dans une radicalité contestatrice qui a trompé son monde en empruntant son vocabulaire et ses symboles aux révolutions précédentes. La séquence qui s’est ouverte avec le XXI° siècle est singulière : elle est politiquement invisible, elle ne fait pas événement, elle ne s’inscrit pas dans l’agenda politique et intellectuel. La raison de cette invisibilité paradoxale est simple : l’émeute s’inscrit aujourd’hui dans un vide, celui laissé par l’effondrement de l’espace de représentation politique.

Ce fait et incontestable. Il touche tous les pays et tous les régimes. Il inscrit partout l’émeute comme espace réel de rapport des gens et des pouvoirs sur les questions les plus diverses sur lesquelles il n’existe plus d’interlocution et de négociation possible. Partout, et pour la même raison, les Etats s’engagent dans une escalade répressive. Partout les condamnations sont lourdes, partout l’arsenal législatif et policier anti-émeute s’affirme. Quand la Chine condamne à mort et exécute au Xinjiang ou constitue une force spéciale de 600 000 hommes à l’échelle du pays, le Danemark vote des lois d’exception dans la crainte de troubles au sommet climatique et la France militarise ses méthodes répressives.

Toutes les conditions sont réunies pour que cette séquence soit durable. Notre temps, celui de la mondialisation, s’est ouvert sur une émeute, celle de Seattle. Dix ans plus tard, les sommets de l’Otan, du G20 ou de l’OMC, de Strasbourg à Genève en passant par Londres, sont toujours ponctués par des affrontements, des voitures qui  brûlent et visages masqués. Les flammes et ces silhouettes anonymes sont devenue comme le symbole de notre siècle, l’image d’une autre mondialisation, celle des colères, celle d’une jeunesse stigmatisée et réprimée au point que la criminalisation du port de la cagoule dans une manifestation se répand plus vite que la peur du désordre.

Les années qui viennent risquent d’être chaudes, d’autant que les principaux objets de colère sont toujours là et ont peu de chance de s’atténuer.

Quelles sont donc ces questions qui fâchent sous toutes les latitudes ? D’abord les effets urbains de la financiarisation de l’économie. Le poids de la logique de la rente financière sur la ville et sur ceux qui y vivent s’accentue de jours en jour avec son cortège de ségrégation, d’exclusion de populations, de quartiers entiers Les appétits spéculatifs sur les quartiers populaires et mêmes sur les bidonvilles est à l’origine de nombre d’émeutes, de la Chine à l »Algérie et du Brésil à l’Afrique du Sud.

Mais la rente urbaine ne se résume pas à la rente foncière. C’est une rente sur la vie elle même. Les fameuses émeutes de la faim de 2008 ont d’abord été des émeutes urbaines contre la vie chère, en Egypte, au Sénégal comme en Guadeloupe ou en Martinique. De nombreux économistes tirent déjà la sonnette d’alarme. Les mouvements spéculatifs déjà observables sur les marchés de l’alimentaire font prévoir des émeutes du même type dans l’année qui vient. L’île française de Mayotte en a déjà été le théâtre en décembre 2009.

Les « émeutes de l’électricité » consécutives à des délestages dans les quartiers populaires² ont été nombreuses ces dernières année en Amérique Latine, en Afrique, en Asie, notamment au Pakistan. Il n’y a aucune raison d’en annoncer la disparition. Avec les effets du réchauffement climatique, elles sont maintenant de plus relayées par de émeutes de l’eau comme celle qui a secoué Mumbai en décembre 2009.

Même les conflits sociaux plus classiques sont aujourd’hui touchés au moins par la symbolique de l’émeute (le feu, les cagoules, les blocages) sinon par son mode opératoire. 2009 a vu dans le monde quelques grandes émeutes ouvrières, en Chine, en Corée, au Bangladesh, en Espagne, en Argentine.

Outre l’effondrement de l’espace de représentation politique, ce qui relie des colères multiples est à chercher de deux côtés : la gestion étatiques de la mondialisation et la peur mondiale de la jeunesse.

Les Etats nationaux qui gèrent de fait, localement, la mondialisation capitaliste et financière, ont tous, peu ou prou, un problème de légitimité auprès de la population dont ils ont la charge. La tendance la plus générale est de restaurer cette légitimité sur la peur de l’autre. L’Etat de la mondialisation cherche sa force non du côté d’une figure de la Nation large, ouverte et inclusive mais au contraire sur sa capacité à définir la Nation de façon étroite, sur sa capacité à exclure.

Chacun le fait à sa façon : le débat sur « l’Ivoirité » en Côte d’Ivoire a ouvert la voie à la guerre civile, le débat sur l’identité nationale en France est une machine idéologique contre les étrangers, les descendants d’étranger et l’Islam. Cette tendance est si générale que les exceptions contrastent avec éclat. Il est clair que la victoire d’Obama s’est faite sur un projet national rassembleur et sur la promesse de prendre tout le monde en compte. Le sentiment national brésilien est sur le même registre. Mais ce sont plutôt des exceptions. Et les émeutes y sont moins nombreuses et moins graves qu’ailleurs.

Car cette nouvelle figure de gouvernement qu’on nomme « gouvernance », ce mélange de mépris, de bureaucratie et d’autoritarisme, qui institue une distance entre l’Etat et les gens, est profondément génératrice d’émeutes.

Quelque part, l’émeute est une sorte de miroir de l’Etat. Elle peut même être son double quand cette logique de peur et de rejet est tellement installée que des émeutiers ne s’en prennent plus aux symboles de l’autorité mais à la vie du voisin, de l’autre, de l’étranger. On assiste alors aux scènes de pogrom qu’on a connu en Afrique du sud en 2008, au Xinjiang en Chine cette année ou à Alger (contre les Chinois).

L’autre moteur incontestable de l’émeute est le regard qu’on porte, que les Etats, et les responsables politiques, portent sur la jeunesse. L’échec des révolutions du XX° siècle et la menace climatique on comme aboli toute représentation positive du futur. Du même coup la jeunesse n’est plus vue comme l’avenir du monde mais comme une menace pour le monde d’aujourd’hui.

Le discours et les pratiques répressives et disciplinaires l’emportent le plus souvent sur le discours et les pratiques éducatives, la peur l’emporte sur la confiance, la méfiance sur la bienveillance. Dans ce climat général c’est parfois le drame qui est au bout du chemin, ces morts violentes où sont, d’une façon ou d’une autre impliquées les forces de l’ordre. L’émeute est immédiate. En France en 2005 comme en Grèce en 2008. Et le souvenir toujours brûlant malgré les années qui passent. Treize émeutes en 2008 dans le monde après la mort d’un jeune dans de telles circonstances, le double en 2009. Combien en 2010 ?

En attendant, dans le monde entier, la jeunesse scolarisée affronte le pouvoir avec violence, en Inde comme au Venezuela, en Colombie comme en Italie, en France comme en Chine, au Kenya comme en Grèce, en Iran comme au Sénégal. C’est cette même jeunesse qui forme les bataillons les plus durs des débordements lors des manifestations altermondialistes.

Mais qu’on ne s’y trompe pas : la montée de la colère ne prépare aucune révolution. Les fantasmes nostalgiques ne sont pas de mise. L’espoir d’un « lendemain qui chante » après la « prise du Palais d’hiver » est aussi irresponsable que la crainte du « complot subversif » est imbécile. Par les gestes, par les corps, par la mise en danger de soi, c’est partout la souffrance qui tente de se dire faute de pouvoir vraiment parler. Et c’est cette souffrance que les Etats répriment avec une férocité grandissante.

Les années de braise qui s’annoncent risquent de brûler les peuples tout autant que les pouvoirs. L’urgence est donc d’abandonner les débats byzantins qui agitent encore les espaces du pouvoir (de ceux qui l’ont comme de ceux qui le veulent) et où s’enlisent partout les forces politiques traditionnelles et de faire émerger une nouvelle figure du politique en capacité de porter cette parole collective qui fait tant défaut aujourd’hui. Les forums sociaux dont nous fêtons le dixième anniversaire, le mouvement zapatiste, le mouvement Abahlali baseMjondolo sont sans doute des bribes de cette nouvelle figure politiques. Mais on est loin du compte et la brutalité de l’affrontement a sans doute encore quelques beaux jours devant elle.

84. Une semaine dans le monde

Ce mois de décembre, anniversaire de la mort du jeune Alexis tué par la police grecque augure assez bien de l’année qui vient. Si la presse s’est particulièrement attardée sur les émeutes de Genève à l’occasion de l’OMC (dixième anniversaire de Seattle), sur les manifestations musclées des jeunes grecs et sur l’obstination courageuse des jeunes iraniens, le paysage médiatique mondial est loin d’avoir fait le tour de la question. Prenons lla première semaine du mois :

Dès le 1, Santa Maria de Jesus (Guatemala) est le théâtre d’une émeute et de scènes de lynchage. C’est ensuite le commerce informel qui provoque des émeutes à Pereira en Colombie tandis que la ville de Sardacht en Iran connaît des affrontements entre la population et les forces de sécurité à la suite d’une arrestation.

Le lendemain on apprend que pendant que la prison de Sierra Leone se révolte, et que des émeutes sociales agitent Barrancabermeja en Colombie, des affrontements ont lieu dans le nord du Pérou. L’île française de Mayotte connaît alors de violentes émeutes contre la vie chère. Les coupures d’eau jettent les habitants de Mumbai dans la rue.

Le 5 décembre, on reste en Asie ou la ville de Ludhiana (Inde) est le théâtre d’affrontements entre la police et des manifestants Sikhs tandis que l’évacuation des squatters déclenchement des émeutes à Katmandou. Nouvelle émeute et nouveau lynchage à Guatemala. Le 6 décembre l’émeute gagne le stade de Curitiba au Brésil. Le 7, la mort d’une fillette fauchée par une voiture enflamme deux quartiers de Bamako. Depuis la veille et pour quelques jours, les villes turques sont secouées par la révolte kurde. Le 8, c’est Mérida au Venezuela qui se révolte contre les coupures d’électricité. Les étudiants de Tachira, ville voisine et ceux d’Hyderabad en Inde sont dans la rue face aux forces de l’ordre. Une semaine ordinaire…

83.Emeutes climatiques, émeutes de la spéculation

De plus en plus de spécialistes l’annoncent : la spéculation qui commence sur les produits alimentaires de base dans le monde laisse présager une situation explosive dans l’année 2010, au plus tard début 2011. Cela signifie tout simplement que les « émeutes de la faim » de 2008 qui étaient stricto sensu des émeutes urbaines « contre la vie chère » comme en Guadeloupe ou en Martinique, ont toutes les chances de réapparaître de façon massive. Les premiers prémisses d’en font déjà sentir. Début décembre l’île de Petite Terre à  Mayotte (territoire français)  dans l’Océan Indien a été le théâtre de violents affrontements à la suite d’une manifestation et de nombreux barrages de protestation. L’augmentation du ticket de la « Barge » (transport public local) a suffi à faire déborder le vase. La violence des heurts a été à la hauteur des émeutes précédentes en mars 2008.

Ces émeutes provoquées par la financiarisation de l’économie et la spéculation sur la vie souvent un visage méconnu : ces révoltes contre les coupures d’électricité qui se propage d’Amérique latine en Asie en passant par l’Afrique. Moins fréquentes aujourd’hui sont les émeutes de l’eau. Elles risquent pourtant de s’étendre assez vite, d’autant que le changement climatique accroît les risques de pénurie là où la situation était déjà tendue, ou les risques sanitaires. C’est notamment le cas en Inde et de sa capitale économique, Mumbai où les coupures d’eau se multiplient depuis juillet, après les pluies insuffisantes d’une mousson intervenue plus tôt que d’habitude cette année. La manifestation de protestation contre ces coupures qui mettent en cause la vie des 18 millions d’habitants de la métropole a dégénéré le 3 décembre. Cette première grande émeute de l’eau a fait un mort parmi les manifestants.

Novembre 2009

82. Bidonvilles, favelas, ocupaçao, slums : une résistance politique au cœur de la mondialisation financière

On les pense parfois aux marges du monde. Les échos de leur résistance sont tellement assourdis. En octobre Diar Echems, près d’Alger s’est soulevé durant deux jours. Deux semaines plus tard, le quartier Don Bosco II à Neuquèn en Argentine résiste durement à l’expulsion de nombreuses familles, comme les habitants de « l’ocupaçao Olga Benaro » dans le quartier Capao Redondo à Sao Paolo en août qui furent expulsés après deux jours de guerre urbaine. En juin, c’était les habitants du bidonville de Nairobi qui défilaient pour faire valoir leurs droits. Ces révoltes répétées, ces résistances fragiles face au rouleau compresseur de l’ordre financier font rarement la Une de la grande presse. On y préfère sans doutes les spectaculaires affrontements meurtriers de la police militaire de Rio de Janeiro et des trafiquants qui tiennent les favelas, façon sans doute de souligner l’extériorité de des quartiers, leur non appartenance au monde « normal ».

Or ces quartiers ne sont pas marginaux : ils sont au centre du système. Mike Davis dans « Planet of Slums » (2006) l’a démontré avec force : la mondialisation urbaine est majoritairement celle des bidonvilles, des taudis et des squats. En 2008, le rapport de l’ONU, « State of the world’s cities 2008-9 » enfonce le clou : partout les inégalités urbaines s’accroissent de façon dramatique. La raison en est simple : la ville mondialisée est devenu une source de revenu financer et de spéculations considérable dont les habitants sont à la fois les victimes et les pions. Partout dans le monde ou presque la « lutte contre les bidonvilles » est le nom d’une politique d’expulsion des pauvres et de spéculation foncière sur les terrains ainsi libérés. Partout ou presque on dénie à ces habitants, au nom de « l’illégalité » de leur installation, tout droit d’existence, toute qualité d’habitant à part entière de la ville. Il n’ont pas, pour reprendre la vielle expression romaine, « droit de cité ».

Même les organisations politiques de la gauche traditionnelle ont du mal à concevoir cet enjeu comme un enjeu central du monde contemporain et à regarder ces millions d’hommes et de femmes comme des victimes centrales de la logique financière de la globalisation et encore moins comme des acteurs incontournable de la résistance à cette logique. La « lutte contre les bidonvilles » peut être menée par des pouvoirs conservateurs comme par des pouvoirs nationaux ou locaux qui se réclament de la gauche et du progrès social. Si le gouvernement de Lula au Brésil a une politique de « régularisation » des ocupaçoa par octroi de droits de propriété aux occupants, c’est une orientation exceptionnelle.

Or cette mise en extériorité de l’espace de la citoyenneté, du droit, de l’Etat a des conséquences dramatiques. C’est fondamentalement elle qui livre ces familles démunies, précaires, à des mafias et à des pouvoirs criminels. Ces derniers assurent des revenus, une prise en charge de certains besoins des familles, un ordre, mais au prix d’une véritable terreur exercée sur les habitants.

C’est pourquoi l’organisation de la résistance, de la revendication de droits est si difficile alors que son besoin est si criant. C’est vrai des favelas de Rio et Sao Paolo comme des squats européens. Ces nouveaux militants qui construisent des instruments de résistance collective doivent dans le même temps construire des modes de régulation interne aux communauté concernées qui pallient à la déficience de l’Etat et évitent la dérive mafieuse.

Cette pratique est déjà ancienne au Brésil qui a vu naître en 1979 un mouvement des Favelas de Sao Paolo, devenu Mouvement unifié des favelas au début des années 1980. Cette dynamique est proche de celle qui conduit à la création du Mouvement des Sans-terre (Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra) auquel le Movimento dos Trabalhadores Sem Teto est d’alleurs lié. Mais ce n’est pas un dynamique unitaire et c’est en ordre dispersé que les organisations défendent aujourd’hui les « ocupaçoa » à l’origine des quelles elles ont souvent été. C’est ainsi le Movimento de Luta nos Bairros, Vilas e Favelas (http://www.mlbbrasil.net), créé en 1999 qui est la cheville ouvrière de « l’ocupaçao Olga Benaro » de Sao Paolo et qui organise une marche pour les favelas sur la capitale en septembre 2009.

Slum Dwellers International (http://www.sdinet.co.za) est aujourd’hui un lieu d’échange d’expériences et de rencontre de ces mouvements au travers le monde. Quelque chose est-il en train de naître ? Ce qui est certain c’est que l’émergence d’ Abahlali baseMjondolo en 2005 au coeur des luttes des bidonvilles de Durban, et son implantation depuis, marque une nouvelle étape dans l’histoire de ces mouvements. Fin octobre 2009, Abahlali baseMjondolo a pu célébrer la remise en cause, par la Cour Constitutionnelle Sud africaine, du Slum Act, version locale et meurtrière de la « lutte contre les bidonvilles ». Mais Abahlali baseMjondolo peut aussi s’enorgueillir que lors du déchaînement xénophobe de mai 2008, aucune de ses bases n’a connu les scènes de haine et de chasse à l’homme qui ont ébranlé de si nombreux township. Autrement dit, à la défense localisée et toujours nécessaire des habitants et de leur lieu x de vie, ce mouvement ajoute une double dimension politique à son action : la pression sur les forces politiques et les pouvoirs et l’organisation du lien social. Refusant toute logique de représentation et toute participation aux élections, il retrouve à des milliers de kilomètres de distances, les arguments familiers du mouvement zapatiste.

Que cette émergence se fasse en conflit avec un parti au pouvoir qui fut le fer de lance et le symbole d’une libération n’est pas indifférent. Lassées de chercher à faire prendre en charge leur situation par les anciens partis, fussent-ils chargés d’une histoire glorieuse, les victimes directes de la mondialisation financière vont-ils être à l’origine d’une nouvelle figure de la politique populaire, auto-organisatrice et à distance de l’Etat ?

81. Vers l’escalade ?

Les événements survenus le vendredi 20 novembre au soir à Anderlecht, banlieue populaire de Bruxelles, sont passés à peu près inaperçus dans la presse internationale. Etait-il besoin d’en dire plus : quelques échauffourées impliquant finalement peu de monde, un cocktail Molotov contre la Maison communale… Il est vrai que dans le même mouvement, le commissariat a été entièrement la proie des flammes. Mais des cas similaires ont été signalés en France cette année. Anderlecht et Molenbeeck ont déjà connus des incidents récemment.

De quoi s’agissait-il cette fois-ci ? A l’origine des affrontements on trouve des maltraitances dont des policiers se sont rendus coupables vis-à-vis de détenus de la prison de Forest, ville voisine d’Anderlecht. Une enquête est en cours et deux officiers en charge de la supervision du personnel viennent d’être suspendus.

Mobilisés par des envois croisés de SMS, des jeunes se sont regroupés dans la soirée à plusieurs points de la ville, brisant les vitres de voitures et détruisant une cabine  téléphonique. Deux voitures ont été incendiées et un cocktail Molotov lancé. Des dizaines d’arrestations ont eu lieu.

Le lendemain sur Youtube apparaît une vidéo amateur de plus de quatre minutes, enregistrée devant le commissariat après l’incendie, à deux pas des forces de police. Les conclusion écrite en plein écran sont claires : « Les émeutiers réagissent et témoignent de leur solidarité quant aux informations (…) concernant des violences infligées par des policiers à des détenus » et « Vous nous respectez, nous vous respectons. Le feu qui semble éteint, souvent dort sous la cendre ». Le message est signé « 1070 Clémenceau ».[1]

Voilà qui fait de cette soirée bruxelloise un peu plus qu’une « violence urbaine » parmi d’autres.


[1]code postal d’Anderlecht et nom d’un quartier

80. Banlieues : la planète football

Voici déjà quelques mois que les rencontres de football sont redevenues des événements à haut risque : célébrer une victoire, oublier une défaite ou laisser exploser sa colère à l’occasion de l’annulation d’un match sont autant d’occasions d’affrontements sur la voie publique. Les alentours des stades sont de nouveaux territoires d’émeutes urbaines vingt-deux depuis le début de l’année 2009 contre moins de dix en 2008…

Certaines de ces soirées agitées et arrosée de gaz lacrymogènes ont fait la une de la presse : les deux émeutes de Barcelone au mois de mai, les affrontement de West Ham à Londres en août, les troubles de Rostock en Allemagne en novembre et l’émeute de Marseille provoquée par des supporters de Paris en colère après l’annonce tardive de l’annulation du match pour cause de grippe.

D’autres échauffourées ont été moins médiatisés. La suisse a ainsi connu des émeutes footbalistiques en Mai et en octobre (Zurich et Saint-Gall). Pise, Remedios de Escala (Argentine) et Kolkata (Inde) en mai, Sofia (Bulgarie), Bergame, Mostar (Bosnie) en septembre, Cartagena (Colombie) en novembre donnent à voir le caractère mondial du phénomène.

Deux événements méritent une mention particulière comme symptôme sportif de la mondialisation. Lorsqu’en octobre l’équipe d’Algérie sort victorieuse d’un matche de qualification pour la coupe du monde des incidents éclatent à Blida (en Algérie) mais aussi à Marseille (en France). Tout indiquait à la mi-novembre que l’autre match de qualification décisif Egypte Algérie était à haut risque. Des milliers de policiers avaient été mobilisé au Caire, lieu de la rencontre. Mais ce n’est ni au Caire, ni en Algérie que les supporters de l’équipe d’Algérie ont laisser éclater leur déception après la défaite de leur équipe. C’est à Marseille et à Lyon, en France. L’identité nationale sur laquelle le gouvernement français vient de lancer une polémique est assurément plus complexe qu’il n’y paraît.

79. Il y a parfois de bonnes nouvelles

La résorption des bidonvilles est une politique mondiale. Le Maroc a lancé il y quelques années un programme « Ville sans bidonville ». L’Afrique du Sud a décidé le « Slum Act ». Sao Paolo a connu des scènes de guerre urbaine cette année lord de l’expulsion d’une « ocupaçao ».  Le fil rouge de cette politique est l’indifférence au devenir des populations ainsi expulsées. Les discours parfois humanitaires sur le caractère insupportable de cet habitat insalubre accompagnent de façon hypocrite le renvois brutal des familles à une misère moins visible mais non moins profonde;

Dans ce contexte, la décision récente d’un juge à Lyon, en France, mérite attention. Dans un jugement rendu le 19 novembre, le tribunal de grande instance de cette ville  a considéré les abris de fortune d’une centaine de personnes comme un « domicile” protégé au titre du respect dû à la vie privée et familiale des personnes (article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme). En conséquence, le juge a débouté le Département du Rhône, propriétaire du terrain de sa demande d’expulsion alors que les tribunaux vont quasi systématiquement dans le sens des propriétaires qui demandent l’expulsion de leur bâtiment ou terrain squatté.

Ce bidonville, dans le 3è arrondissement de Lyon, s’est monté au printemps  Selon l’association lyonnaise pour l’insertion par le logement, une centaine de personnes y vivent. Ce sont des Rroms de Roumanie venant d’autres bidonvilles de l’agglomération, d’où ils sont régulièrement expulsés.

“Certes les conditions de vie dans les bidonvilles sont extrêmement précaires, déclare l’avocate des squatters. Mais le juge a estimé qu’une expulsion aggraverait encore leurs conditions de vie. ”.

Le Département du Rhône envisage de faire appel de la décision. On attend la suite. Avec inquiétude.

Octobre 2009

78. « Pas de justice, pas de paix »

Mohamed est le sixième jeune mort dans des circonstances impliquant de près ou de loin les forces de police en un an. Le 28 septembre 2008 : Iliess, 16 ans, est mort dans un accident alors qu’il était poursuivi par la police à Romans sur Isère. Le 21 mai 2009 : « un motard », 19 ans, est tué dans un accident alors qu’il était peut-être poursuivi par la police à Amiens. Le 7 juillet 2009 : Mohamed Benmouna, 21 ans, meurt au cours d’une garde à vue à Firminy. Le 10 juillet 2009 : Jason, 18 ans, meurt, lui, dans un accident de moto lors d’un barrage de police à Louviers. Le 9 août 2009, c’est Yakou Sénogo, 18 ans, qui est tué dans un accident de moto alors qu’il était poursuivi par la police à Bagnolet. Comme en octobre 2005 à Clichy sous-bois, après la mort de Zyed et Bouna, comme en 2007 à Villiers le Bel après la mort sur une moto percutée par un véhicule de police de Mushin et Larani, ces décès ont été suivis d’émeutes. Emotion immense devant la mort d’un jeune. Colère sans fin devant les mots qui salissent les victimes et les jugements qui relaxent toujours les policiers.

Car si à chaque fois des émeutiers ont été arrêtés et jugés, jamais la justice n’a conclut à la responsabilité des forces de police. C’est d’ailleurs au moment ou les jeunes de Villiers le Bel étaient condamnés pour leurs actes de colère de 2007 et que les policiers étaient mis hors de cause dans l’accident qui avait côté la vie à Mushin et Larani, que Mohamed, 20 ans est mort sur sa moto à Fréjus dans le sud de la France alors qu’il tentait d’échapper à un contrôle de police. Et le 25 octobre, pour la sixième fois cette année, une cité s’est embrasée. Le quartier porte le joli nom de « la gabelle ». La colère a grondé pendant deux jours. Des jeunes ont été arrêtés qui seront condamnés. La police, officiellement, est déjà hors de cause. Le silence est revenu. Mais la colère durera longtemps.

77. La révolte de Diar Echems, « favela à Alger »

Diar Echems est un quartier de la commune d’El Madania dans l’agglomération d’Alger. Une « cité » comme on dit en France, un grand ensemble logements construit à la fin des années 1950. Les logements y sont petits (une ou deux pièces) et abritent maintenant des familles nombreuses. Autour des vieux immeubles surpeuplés, des baraquements se sont construits comme dans bien des villes dans le monde. Autour de la « cités » se développe un bidonville. «Nous habitons cette cité depuis des années, nous sommes une famille de 14 membres dont trois frères sont mariés, nous dormons dans les couloirs de l’immeuble» annonce une habitante. Certes cette situation dramatique n’est pas propre à Alger. Ni à l’Algérie.

La décision prise le 19 octobre par les autorités de commencer à évacuer et à détruire le bidonville n’a rien d’original non plus. Sous d’autres cieux, la municipalité de Sao Paolo (Brésil) avait pris la même décision  cette année. En août, la réaction des habitants de « l’ocupaçao » Capao Redondo avait été violente et ce quartier de Sao Paolo avait connu quelques jours de guerre urbaine.

La réaction des habitants de Diar Echems a été exactement la même. L’intervention des forces de l’ordre a provoqué deux journées de folie pendant lesquelles la police a été souvent en difficulté. Une cinquantaine de policiers ont été blessés. Si les plus jeunes ont été les plus actifs dans le harcèlement à coup de pierre et, assez vite, à coup de cocktails Molotov, ce fut avec l’assentiment ostensible de la population dans son ensemble et dans les « youyou » des mères et des sœurs.

« Diar Echems, favela à Alger » annonce l’une des vidéos mises sur YouTube par les émeutiers. « L’ocupaçao » Capao Redondo de Sao Paolo a été détruite. Pour l’instant Diar Echems est intact et les habitants ont été reçus par les autorités.

76. La fabrique des émeutes.

17 ans : c’était l’âge de Mourad Belmoukhtar ce 2 mars 2003 lors d’une course-poursuite à Durfort  dans le Gard en France à la suite d’un cambriolages auxquels il avait participé avec deux complices. « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans » écrivait le poète Arthur Rimbaud.

17 c’est aussi le nombre de balles qui ont été tirées ce soir là par les gendarmes sur le jeune Mourad désarmé. Il n’en fallait pas tant pour le tuer. L’un des gendarmes présents, Frédéric Chambard, en avait tiré 9 à lui seul, dont l’une s’était avérée fatale.

Depuis plus de six ans ses parents, sa famille, ses amis demandent simplement justice dans l’indifférence générale. Juste la justice pour la mémoire de cette vie certes mal commencée mais surtout interrompue trop tôt, abattue trop tôt dans une chasse à l’homme (ou plutôt une chasse à l’enfant) incompréhensible.

Six ans plus tard, Frédéric Chambard comparait pour les faits de 2003 devant le tribunal de Nîmes. Seul. Aucun des autres gendarmes n’est à ses côtés sur le banc des accusés. Toute l’attente de six ans de silence se concentre donc sur son procès. Mais ce procès sera celui des jeunes, de Mourad et de toute la jeunesse populaire. Le procureur requiert cinq années de prison avec sursis. C’était encore trop pour ses juges : Frédéric Chambart est sorti non seulement libre mais acquitté ! Le tribunal a considéré « qu’il n’avait fait que son devoir » et que la gendarmerie  n’avait pas à justifier de l’usage de ses armes.

Dans le quartier où vivait Mourad, quadrillé la police, l’émeute a été modeste. Quelques voitures brûlées tout au plus. Les autorités sont soulagées. Elles ne voient pas ce que de tels jugements construisent pour l’avenir : une mémoire sans fin des vies détruites, des victimes stigmatisées et des coupables pardonnés. Une gigantesque fabrique à émeutes pour plus tard.

75. Mort dans un fourgon de police

Hakim avait trente et un ans. Il vivait à Lille, en France. Le 25 septembre au matin, sous l’emprise de l’alcool, il tente de se jeter par la fenêtre de la chambre d’hôtel qu’il habite avec son amie. Celle-ci alerte le gardien et la police qui vient l’interpeller. Difficilement maîtrisé, Hakim est alors conduit à l’hôpital dans le fourgon de police. Victime d’un arrêt cardiaque durant le trajet, il y arrive dans le coma et y meurt le samedi matin malgré les tentative de réanimation.

Les traces de coups qu’il porte sur le corps font soupçonner la bavure policière. Que s’est-il passé dans le fourgon durant le trajet ? Pour sa famille comme pour les jeunes de son quartier, l’affaire est entendue. « Il est entré dans le fourgon ivre. Et quand il est arrivé à l’hôpital, il était inconscient et couvert de bleus », résume Habib, l’un de ses frères.

Dans la nuit de samedi à dimanche, le quartier, décrit par ailleurs comme « tranquille », est en ébullition et, entre 23h et minuit, neuf voitures et cinq poubelles sont incendiées. Les pompiers et les forces de police sont pris à partie par une quarantaine de personnes. A 3h du matin, deux jeunes ont été interpellés et mis en garde à vue pour “violences et jets de projectiles”. Scénario triste et classique d’une mort inacceptable.

Rendue publique le 29 septembre, l’autopsie ne permet pas d’identifier « de causes évidentes de la mort ». Si la famille d’Hakim a appelé les jeunes du quartier au calme, elle reste peu convaincue par les premières conclusions de l’autopsie et s’est portée partie civile.

Quelles que soient les conclusions de l’enquête et quelles de soient les responsabilités réelles des policiers présents dans le fourgon ce jour là, cette nuit d’émeute qui est passée quasiment inaperçue en France confirme une chose : l’absence absolue de confiance que la jeunesse populaire met dans les institutions.

septembre 2009

74. Molenbeek, banlieue belge

Les belges n’en reviennent pas. Par deux fois, au mois d’août et au mois de septembre, la commune populaire de Molenbeek dans la banlieue de Bruxelles a connu des scènes d’émeutes. Molenbeek est l’une des communes les plus pauvres de Belgique.

Voitures brûlées, commissariat pris d’assaut : un scénario à la française qui commence fin août par des contrôles d’identité et se termine par trois jours d’affrontements à Molenbeek mais aussi dans la commune voisine d’Anderlecht. Ce qui est décrit dans la presse comme une incroyable résistance à l’action « normale » de la police à toutes les caractéristiques d’une révolte contre des brimades policières répétées envers une population en plein Ramadan et notamment envers les jeunes. C’est dans le quartier Ribaucourt que se concentre l’affrontement de septembre.

C’est l’interpellation, vers 19 heures le 17 septembre, d’un adolescent  de 14 ans à son domicile de la rue Vanderstichelen qui a mis le feu au poudre. La famille du jeune s’est rebellée et une vingtaine de riverains se sont joints à elle.

Sous les jets de pierre, les policiers conduisent néanmoins le jeune homme au commissariat de la rue du Facteur. Un attroupement d’une soixantaine de personnes se forme.devant l’immeuble et tente de le prendre d’assaut. La police locale appelle des renforts des zones environnantes et fait venir deux autopompes ainsi qu’un hélicoptère de la police fédérale.

C’est alors tout le quartier qui s’enflamme jusqu’à deux heures du matin. Et ce sont tous les habitants du quartier qui subissent une riposte policière  sans nuance et sans discernement. Tandis que les pouvoirs criminalisent les (très) jeunes émeutiers en parlant de délinquants, nombre d’adultes affirment de plus en plus leur solidarité avec leurs enfants victimes de persécutions quotidiennes.

73. Réchauffement climatique…

En matière d’émeutes, l’année 2009 a connu aussi un réchauffement certain. L’été a été chaud. Entre le 1 juillet et le 31 août on compte plus de 80 émeutes, affrontements violents avec les forces de police dans le monde contre une vingtaine dans la même période en 2008 et … 4 en 2007.

Au « Top 10 » des pays concernés, la France est en bonne place avec 12 événements répertoriés, mais aussi l’Algérie et le Pakistan (5), le Mexique, le Royaume-Uni, l’Italie et Saint-Domingue (4), la Chine, l’Argentine et le Honduras (3). Trente-sept pays en tout, sur presque tous les continents (on ne signale rien en Australie).

Sept de ces émeutes, au Pakistan, à Saint-Domingue, en Algérie ou en Guinée manifestent la colère populaire face aux coupures répétée de l’électricité. Ces « émeutes de l’électricité » comme on les appellent maintenant au Sénégal se multiplient depuis deux ans. Les tensions entre les jeunes et la police, plus concentrées en France, ont produit au moins autant d’incidents graves. Il faut bien sûr y ajouter les six émeutes provoquées par la mort d’un  jeune homme ou d’une jeune fille dans laquelle la responsabilité des autorités sinon de la police semble engagée : à Louviers, Firminy et Bagnolet en France, à Port au Prince en Haïti, à El Tarf en Algérie, à Buenos-Aires en Argentine.

Cette « chaleur de l’été » a aussi été propice aux révoltes de prisons : Durango au Mexique, Burgin et Chino aux USA, à Bolivar au Venezuela, sans compter la révolte des centres de rétention de Bari, Modène, Milan, Turin…

Quatre émeutes sont liées à des conflits sociaux : à Pyeongtaek en Corée, à Tonghua en Chine (émeute durant laquelle le patron a trouvé la mort), à Abidjan en Côte d’Ivoire, à Santa Cruz en Argentine. La jeunesse étudiante n’est pas en reste, affrontant la police au Honduras, en Italie, en Colombie et au Venezuela.

Comment sera l’automne ?

Août 2009

72. Jeunesses assassinées

Marbel Guerra avait 17 ans. Elle habitait « Villa 31 », une des plus grandes favellas de Buenos Aires. Elle a été abattue de deux balles à la poitrine le 19 août, officiellement lors d’une tentative de vol à main armée avec une arme factice. Gianina Lobos, jeune femme enceinte de 21 ans qui l’accompagnait, a été grièvement blessée. Il se trouve que l’auteur des coups de feu mortels, n’est autre qu’un membre des unités de la préfecture maritime, Luis Luque, démis depuis de ses fonctions et incarcéré.

La nouvelle de la mort de Marbel a mis de feu au quartier. Des enfants, des jeunes et des moins jeunes ont pris d’assaut la préfecture, armés de pierres et de cocktails Molotov.

Marbel Guerra vient prendre sa place dans la longue liste des jeunes dont la mort violente et trouble a provoqué des émeutes depuis le 1 janvier 2009.

Rappelons cette liste sinistre. Oscar Grant, 22 ans, tué par la police, à Oakland, USA dans la nuit de la Saint-Sylvestre. Jesus Vieira, 23 ans, tué  le 7 mai par la police à Setubal, Portugal. Jean Prince Rodrigue, lycéen, assassiné le 12 mai  par le propriétaire d’un jardin où il cueillait une mangue à Akoupé en Côte d’Ivoire. Yettou Abdelkader, 26 ans, tué le 1 juin par la police, à Oran, Algérie. Tu Yuangao, 24 ans, mort le 17 juin dans des conditions suspectes à Shishou dans le Hubei en Chine. Mohamed Benmouna, 21 ans, mort le 7 juillet au cours d’une garde à vue à Firminy, France. Jason, 18 ans, mort le 10 juillet dans un accident de moto lors d’un barrage de police à Louviers, France. Ouanas F. Zohra, 24 ans, tuée le 2 août  par une explosion sur un chantier d’autoroute à El Tarf, Algérie. Yakou Sénogo, 18 ans, tué le 9 août 2009 dans un accident de moto alors qu’il était poursuivi par la police à Bagnolet, France.

La mort inacceptable n’a pas de frontière.

71. Guerre urbaine à Sao Paolo

Mais contre qui ont donc été mobilisés ces 250 membres de la « police de choc », la police militaire antiémeute de Sao Paolo, appuyée par des blindés légers, ce 24 août à l’aube ? Quel est cet ennemi terrible qui se cachait au cœur de la ville dans le quartier sud de Capào Redondo ?

L’ennemi était constitué par quelques milliers de sans-logis, 800 familles environ qui vivaient depuis un an dans des baraquements précaires sur un terrain vague appartenant à une compagnie de bus. En Europe on appelle cela un bidonville, en Amérique latine, une favela. Au Brésil, le terme le plus courant est celui, très significatif, « d’ocupaçao ». Cette « ocupaçao » avait été organisée par le « Movimento de Luta Nos Bairros, Vilas e Favelas »  et avait pris le nom d’Olga Benario (communiste allemande venue militer au Brésil avant sa mort en déportation en 1942).

La politique générale du Parti des travailleurs en matière d’ocupaçao est leur « urbanisation » : assainissement et mise en place d’équipements urbains, octroie de titre de propriété pour régulariser le séjour. Ce n’est pas la position de la « Préfecture » (la mairie) de Sao Paolo qui a programmé l’opération d’évacuation musclée du 24 août.

Les deux jours qui ont suivis ont été hallucinants. Car les familles ont résisté avec les moyens à leur disposition : barricades, incendie de voitures, pierres. Ce sont finalement les baraques qui ont pris feu. De « l’ocupaçao Olga Benario » il ne reste aujourd’hui  que des tas de planches et de cendres fumantes dont les anciens habitants tentent de sauver quelques effets personnels. Des familles dorment dans la rue au milieu de leurs effets dispersés. Dans un communiqué publié le lendemain, la mairie propose que la Companhia de Desenvolvimento Habitacional e Urbano permette l’accès à un prêt immobilier pour … tous ceux qui ont un revenu !

Juillet 2009

70. Un été qui commence en fanfare

Il y a eu 50% de plus d’émeutes dans le monde depuis le mois de janvier que durant toute l’année 2009. Près de deux cents comptabilisées au premier juillet ! La façon dont commence l’été laisse augurer une fin d’année sur le même rythme. Dès le début de juin les émeutes de Zahedan en Iran, de Zulia au Venezuela, d’Oran en Algérie et de Vigo en Espagne avaient donné le ton. Au même moment celles de Shopian au Kashmir sont passées inaperçues, comme les affrontement des Ulis, de Cergy ou de Villiers le bel en France, de Nairobi au Kenya, de Zaria au Nigeria, de Port au Prince en Haïti, de Mumbai en Inde, de Lima au Pérou, de Neuquen en Argentine.

Quatorze situations d’affrontement d’ampleur variable avant le 12 juin date de l’élection en Iran qui marquera pour longtemps cette fin de printemps 2009. Les émeutes des dix jours qui ont suivi, leur enjeu comme leur intensité dramatique et politique ont sans doute contribué à faire oublier les émeutes contemporaines de Oaxaca au Mexique, de Nankang et Shishou en Chine, de Los Angeles aux USA, de Montréal au Canada, d’Aboisso en Côte d’Ivoire, de Landhi au Pakistan.

L’émeute de Shaodang dans le Guandong en Chine gagnera en notoriété lorsqu’on comprendra  qu’elle est sans doute à l’origine de l’affrontement sanglant d’Urumqi entre Ouigours et Hans en Chine au début du mois de juillet. Entre temps auront eu lieu les affrontements de Mantes la Jolie et Tremblay en France, de Barranquilla en Colombie, de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, d’Ashulia au Bangladesh, de Lima au Pérou, de Cibao à Saint-Domingue. Nous n’en sommes encore que début juillet. L’émotion légitime devant Urumqi nous fait oublier Firminy, Vicenza, Hambourg, Tegucigalpa, Aden, Athènes… Le temps des émeutes est bien commencé.

69. Un suicide énigmatique

A l’heure où les émeutiers de Villiers le Bel sont en passe d’être condamnés alors qu’on ne sait toujours pas les résultats de l’enquête sur la mort de deux jeunes renversés par un voiture de police dans cette ville en novembre 2007, c’est dans la petite ville de Firminy (20 000 habitants) dans le centre de la France que la colère a de nouveau éclaté le 7 juillet 2009.

Un jeune homme, Mohammed Benmouna, 21 ans, est dans le coma après avoir, selon la police, tenté de mettre fin à ses jours au commissariat au cours d’une garde à vue. Le début de pendaison aurait fait subir de lourds dommages à son cerveau. Le 7 juillet, le CHU de Saint-Étienne où il était hospitalisé était très réservé quant à ses possibilités de rétablissement Les parents du jeune homme ont fait savoir dans la nuit de mardi à mercredi à l’AFP qu’ils « émettaient des doutes quant aux conditions de détention » de leur fils.

Ils ne sont pas les seuls. L’émeute commence vers 21 h 30. Les forces de police, et les pompiers sont caillassés. Au total 32 véhicules ont été incendiés à Firminy ainsi que sur les communes voisines du Chambon-Feugerolles et de La Ricamarie, selon les pompiers. Des boutiques d’un centre commercial, un local des Restos du Coeur et ceux de Pôle emploi ont été endommagés. Neuf personnes ont été placées en garde à vue, interpellées parmi la soixantaine de jeunes qui ont allumé dans la soirée de nombreux incendies. Le calme était revenu vers 4H30 du matin. Aucun blessé n’est à déplorer.

Mohammed vient allonger la liste française et internationale des jeunes morts dans des conditions peu claires. La version officielle des faits est désormais systématiquement mise en doute. Il est vrai que 4 années après les faits, l’enquête sur la mort de Zyed et Bouna qui fut à l’origine des émeutes de 2005 n’est toujours pas bouclée.

68. L’émeute gagne la classe ouvrière

Avec la crise et la montée des licenciements, les méthodes musclées sont de plus en plus adoptées par des salariés en colères. La France en a connu de nombreux exemples ce printemps. Aucun n’a égalé la violence des affrontements des villes de Vigo et Gerone dans le nord de l’Espagne.

Mais ce que les travailleurs de la métallurgie espagnole n’ont peut-être même pas rêvé, ce sont les salariés de Ha-Meem Group dans la ville d’Ashulia au Bangladesh qui l’ont fait.

Le groupe textile Ha-Meem a une capacité de plus de 2 000 000 de pièces par mois (pantalon et sweater notamment. Il fournit notamment American Eagle, GAP/Old Navy, JC Penney, Kohl’s, Squeeze, Sears, VF Asia, Target Store,Charming Shoppes, Wal-Mart in USA market and H & M, Carrefour, Zara, Hema, M & S Mode, ETAM, Western Store, Migros, Celio et PNC sur le marché européen.

Sa spécialité ? Le « Jhoot », autrement dit le recyclage des éléments de vêtements usagers (boutons, fils, élastiques de fixation). Des chiffonniers de luxe en quelque sorte.

Le groupe prospère mais traite fort mal ses ouvriers aux salaires faibles et, de plus, irréguliers. C’est à ces salariés qu’il a imposé récemment un chômage technique et une fermeture temporaire en raison des baisses des commandes.

L’exaspération des salariés et la colère des fournisseurs locaux de « jhoot » semble s’être additionnée dans une spirale de violence dont le résultat a été la destruction pure et simple de l’usine à la suite d’une attaque en règle de l’entreprise et d’un incendie volontaire.

L’enquête diligentée par la police locale donne des versions très contradictoires des circonstances exactes de cet assaut et de l’incendie.

La direction a annoncé immédiatement que les ouvriers seraient payés régulièrement dès le 9 juillet.

Juin 2009

67. Les élèves : voilà l’ennemi !

Un élève sans histoire qui, la suite d’une mauvaise note ou d’une brimade, agresse une enseignante avec un couteau : voilà qui devrait alerter tous les pédagogues sur la crise du système scolaire français. Un tel passage à l’acte est le symptôme d’une crise profonde dans les rapports de la société et de sa jeunesse

Mais le ministre de l’Education national français, Xavier Darcos, ne s’inquiète pas de l’état des élèves. Il ne s’inquiète que de l’ordre et de la sécurité. Malgré les réserves de la Ministre de l’Intérieur mais avec l’appui du président de la République, le voici qui se lance dans une logique policière inouïe. Commençant par proposer l’installation de portiques magnétiques à l’entrée des établissements pour localiser les armes ( !), il suggère ensuite que l’on puisse procéder à la fouille des cartables. Il y a un problème juridique : la fouille ne peut-être opérée que par un fonctionnaire ayant une qualification particulière. Qu’à cela ne tienne : il est alors proposé que les chefs d’établissements aient des pouvoir de police judiciaire !

Xavier Darcos ne s’arrête pas là. Il annonce le 9 juin la création d’une « équipe mobile » de 20 à 50 personnes par académie, susceptible d’intervenir dans les établissements scolaires en cas de tensions. Ces équipes auront deux missions: « la prévention et dissuasion en venant dans les établissements pour réduire les tensions »; et « l’intervention immédiate dès lors qu’un incident grave se produit ».

Voici donc la mise en place de commandos « d’élite » pour intervention rapide auprès des bambins. Mais comme ces soldats de la paix scolaire ne peuvent pas toujours être là, des « formations à la tenue de classe », déjà expérimentées en région parisienne, seront généralisées à tout le pays « pour les professeurs qui en feront la demande ». Et pourquoi pas remplacer le ministère de l’éducation nationale par l’armée ?

66. La guerre de feux d’artifice

Ils avaient semble-t-il prévu de jouer à la guerre en eux. Des jeunes de Tremblay en France dans le Nord est de Paris à deux pas de l’aéroport Charles De Gaulle s’étaient programmé une soirée « pour rire ». A quelques jours des traditionnels feux d’artifice du 14 juillet en France, ils s’étaient munis de matériel de pyrotechnie de qualité professionnelle.

Tard dans la soirée, des riverains excédés par le bruit, les pétards, alertent la police  Il est minuit trente quand trois gardiens de la paix en patrouille remarquent « un groupe d’une cinquantaine » de personnes. « Les individus se déplacent en groupe unifié et jettent sur la voie publique de multiples fumigènes, feux de Bengale et autres mortiers pyrotechniques ».L’arrivée de la police fait basculer la soirée : les deux groupes d’adversaires s’unissent contre les intrus et retournent le matériel et les fusées contre les intrus.

« Dissimulés dans la pénombre » d’un petit bois, ils tirent un premier feu d’artifice à tir tendu. Cinq autres véhicules de police arrivent en renfort. A 0 h 43, de nouveaux tirs de « fusées » sont signalés. Les assaillants, le visage masqué sous des capuches ou des cagoules, se dissimulent derrière des voitures et dans des bosquets. Ils sont « approvisionnés en munitions » par des camarades à scooter. «On avait l’impression d’être dans un film», raconte un commerçant.

Des pierres, des bouteilles en verre pleuvent sur les forces de l’ordre. Une centaine de tirs de fusée les accompagnent. Les policiers se déplacent avec difficulté, se replient, chargent. Aux fusées, répondent les grenades lacrymogènes et les flashballs. Il est 1 h 25. Quand les forces de l’ordre reprennent progressivement le contrôle du quartier face à la centaine d’assaillants qui les a pris pour cible. L’été 2009 inaugure l’émeute festive.

65. Emeute twitter aux USA ?

On avait déjà connu deux émeutes « Facebook » : celle de Tours en France cette année, celle d’East Lansing aux USA l’an dernier (la Cedar Fest). L’origine des affrontements avec les forces de police était dans les deux cas l’organisation en ligne d’un événement festif sans viosée politique ou contestatrice. L’émeute de Chisinau qui avait suivi la proclamation des élections en Moldavie avait sans doute été facilitée par Twitter, le tout nouveau réseau social du Web 2.0.

Nous voici confrontés à un nouveau cas de figure. Le 30 mai 2009, un quartier sud de Philadelphie a été pris d’assaut par plus d’une centaine de jeunes, la plupart entre 14 et 17 ans. Un taxi a été « détourné » entre la 12ème rue et South Street. Une femme a été agressée, les passagers d’une voiture arrachés à leur véhicule, des toilettes publiques saccagées. Un autre groupe s’est engouffré dans des magasins de Broad Street et Catharine Street et les a vandalisés. Comme une volée de moineaux, les jeunes, aux dires des témoins, couraient partout, au milieu des voitures, ou sur les voitures. Les forces de police ont assisté impuissantes à ce raid éclair. Quelques interpellation ont eu lieu pour non respect du couvre feu de minuit concernant les mineurs.

Si l’événement frappe par son ampleur, ce n’est apparemment pas la première fois que la police de la ville est confrontée à un tel phénomène.

Pour le Lieutenant. Frank Vanore, porte parole des forces de police, il est clair qu’une telle mobilisation éclair, une telle « flash mob » comme la nomment les adeptes des événements Facebook, n’est possible qu’avec l’utilisation des nouveaux réseaux sociaux disponibles sur Internet. A Philadelphie, c’est Twitter et My Space qui sont montrés du doigt.

Il reste une question sans réponse, mais que personne apparemment ne se pose : pourquoi ces jeunes ont-ils agi ainsi ?

64. Chine : l’affaire du Yonglong Hotel

A Shishou dans le Hubei (province du centre de la Chine), l’Hotel Yonglong est dabns le même état qu’un certain hôtel Ibis à Strasbourg lors des manifestation contre le sommet de l’OTAN en avril. Une foule de plusieurs milliers de personnes l’a pris d’assaut et incendié.

Voitures de police renversées, policiers criblés avec des pierres : les émeutes ont duré trois jours et si les versions divergent quant au nombre de manifestants, toutes les sources parlent de près de 10 000 policiers anti émeutes mobilisés pour mettre fin aux troubles le 21 juin.

Tout a commencé par la mort d’un jeune cuisinier de l’hôtel, Tu Yuangao, âgé de 24 ans, mort semble-t-il d’une chute du troisième étage. C’est au petit matin que son corps à été trouvé devant la porte de l’établissement. L’enquête de police conclue à un suicide sur la foi d’une lettre qui aurait été trouvée.

Or cette version ne convainc personne. Ni la famille, ni ses proches, ni les milliers d’émeutiers. Victime de la mafia ou victime directement de son patron, un ami du maire de la ville ? Ou des deux ? Tu Yuangao, après tant de jeunes dans le monde tués dans des circonstances que les polices cherchent- peu à éclaircir, devient le symbole éclatant, insupportable, du malaise profond qui semble régner dans cette ville. La police et les autorités locales semblent massivement soupçonnées de couvrir des activités criminelles. Ces autorités locales ont par ailleurs offert 300 000 yuans (30 000 euros) de dédommagement à la famille, une somme imposante au regard de la version officielle du simple suicide.

Fait peu habituel : l’événement a été couvert par les médias Chinois et par l’agence officielle Xinhua. Une affaire à suivre.

Mai 2009

63. Le retour de la banlieue française

C’est un scénario d’une navrante banalité qui s’est encore déroulé à Amiens, dans le nord de la France. Mercredi 20 mai, un jeune motard de 19 ans a été percuté par un autre jeune qui conduisait un quad. Jeudi matin, le jeune motard est décédé, à l’hôpital, des suites de ses blessures. La version officielle de l’accident se veut immédiatement rassurante : le conducteur du quad aurait été sous l’emprise de stupéfiants et la police municipale aurait été très rapidement sur les lieux afin de porter secours aux deux victimes. Mais la colère monte rapidement en raison de ce que les autorités appellent une « rumeur » dont la véracité s’affirme au cours des heures : le motard et le quad avaient été  pris en chasse par la police. On rappelle les drames de Romans en France et de Palerme en Italie, il y a moins d’un an. Dans les deux cas la colère des jeunes s’était exprimée avec violence.

Le 21 mai au soir et une partie de la nuit, les quartiers nord d’Amiens sont à leur tout le théâtre d’affrontements sévères. Des voitures et des poubelles sont incendiées. Le poste de police a été pris d’assaut. Une voiture  a percuté volontairement un barrage de police. « Ce n’est pas la première fois que ça arrive, on ne laissera plus passer » annonce des jeunes devant les caméras de la télévision française. La répétition de ces morts inacceptables ne les banalise pas.

Pourtant cette fois-ci, l’émeute n’a duré qu’une nuit. On aurait tort de croire à une accalmie. Ce qui est en train de s’instaurer dans ces quartiers en France c’est une situation d’affrontement larvée permanente, ponctuée par des incendies systématiques de voiture comme à Alençon en mars, des mini embuscades comme à Corbeil Essonne fin avril ou, tout simplement, l’attaque du poste de police comme à Saint-Quentin le 22 mai.

Avril 2009

62. Du ramassage des ordures à l’Etat d’urgence

Que se passe-t-il à Huehuetenango dans les montagnes du Cuchumatan au Guatemala ? La ville à l’attrait touristique certain, fondée en 1825 est la capitale d’un canton de 22 municipalités et de plus de 800 000 habitants qui vit de la culture du café. Vieille implantation maya, la ville de 80 000 habitants est la dernière ville à l’ouest du pays avant la frontière mexicaine. Son nom vient d’une langue indienne, le nahuatl, et signifie « le lieu des ancêtres ».

Depuis le 21 avril, rien ne va plus à Huehuetenango.

La déficience durable des autorités municipales, du maire Danilo Ángel Robledo et de son équipe, dans l’accomplissement d’un certains nombres de services publics et notamment de la collecte des ordures est à l’origine d’une explosion de colère populaire. L’accumulation sauvage des ordures dans une ferme avec ses conséquences sanitaires désastreuses et notamment la pollution de l’eau a mis le feu aux poudres. L’exaspération devant la négligence s’accompagne d’un soupçon de corruption.

Les 21 et 23 avril, de violents incidents se sont produits. Un camion chargé de déchets a été pris d’assaut et incendié. Etudiants et résidents ont ensuite occupé le siège de la municipalité, exigeant la démission du gouvernement local. Le directeur de la Police nationale civile (PNC), Marlene White s’est déplacé en personne pour négocier avec les manifestants une évacuation pacifique. L’expulsion par les forces de sécurité a été violente. Les affrontements avec les forces de l’ordre ont fait plusieurs blessés. La répression frappe toute la population au point que des écoliers ont du se réfugier dans une église.

Le président Colom et son gouvernement ont décidé d’établir de l’Etat d’urgence pendant au moins 15 jours dans la région. L’ordre public c’est quand même plus important que la santé des populations !

61. La politique sécuritaire contre la paix civile

La sécurité est revenue au premier plan des débats médiatiques en France. Le président de la république française n’est jamais aussi à l’aise que dans un commissariat de police. Gouvernement et médias s’alarment : les « bandes » envahissent les Unes et font les gros titres Le nombre d’affrontement entre bandes rivales serait passé de 19 en février à 33 en mars. Une vraie guerre civile, on vous le dit ! La ministre de l’Intérieur les aurait même dénombrées : 222, pas une de plus pas une de moins, avec « 2500 membres permanents ». Pas un journaliste n’a relevé le ridicule de telles déclarations.

A partir de ce constat alarmiste, le raisonnement tenu par le gouvernement est simple. L’armada des lois sécuritaires (une vingtaine) aurait été efficace puisque la délinquance aurait baissée (de 13.5%). Un nouveau problème montre son nez : les bandes. Il faut donc une loi contre les bandes. Quod erat demonstrandum.

Or le raisonnement est faux. La baisse observée est une baisse des vols, comme dans tous les pays européens quelle que soit leur politique et due à l’amélioration des systèmes d’alarmes : Quant aux 23 lois votées depuis 2002 elles sont soient inapplicables, soit redondantes, soit contreproductives. Les lois destinées à lutter contre le proxénétisme ont aggravé la situation des prostituées. La répression accrue contre les mineurs n’a fait qu’approfondir le fossé entre la jeunesse et les institutions et tend à enfoncer dans la délinquance des jeunes dont ce n’était pas forcément le destin. La militarisation de la sécurité en banlieue a généré une stratégie d’embuscades et de guérilla.

Les deux conséquences tangibles de ce déferlement répressif sont le recul conjoint des libertés et de la légitimité de l’Etat, autrement dit les conditions évidentes d’une augmentation de la violence sociale.

60. La wifi dans les favellas

Accroché au mont du Christ-Rédempteur, la favela Santa Marta, bidonville du quartier résidentiel de Botafogo et ses 10 000 habitants vont bénéficier de la Wifi, la connexion Internet sans fil, à haut débit, gratuite. C’est une première qui coûte 170 000 euros et a nécessité l’installation de 16 antennes. C’est un acte symbolique souligné par la présence de Sergio Cabral, gouverneur de l’Etat, le jour de l’inauguration aux côtés de José Mario dos Santos Président de l’Association des habitants de la favela.

Les oubliés du monde plongent dans la modernité. Une modernité qu’ils connaissent mais dont l’accès leur était interdit. Sur les 1 690 domiciles répertoriés dans la favella, 1 600 se déclaraient équipés d’un ordinateur, mais à peine la moitié était connectée à un serveur câblé payant.

L’équipement s’accompagne de formation, notamment des adultes. Au pied de la favela, le bus du Centre de citoyenneté de l’Etat de Rio de Janeiro accueille une centaine d’élèves de tout âge, quatre heures par jour durant trois mois. Internet n’aura plus de secret pour ces élèves extrêmement motivés. Certains  parlent d’une « bénédiction ».

Au-delà des moyens d’information, de communication et d’éducation qu’elle donne aux habitants, cette initiative a une portée symbolique considérable. Elle établit en effet la confiance que les autorités mettent dans l’intelligence et la créativité populaire, loin des politiques sécuritaires et des expéditions militaires meurtrières qui sévissent encore dans d’autres quartiers.

La Wi-fi pour tous c’est aussi une reconnaissance politique. C’est une façon de dire aux habitants : vous faites bien partie du même monde que nous vous vous considérons comme des citoyens à part entière, nous souhaitons qu’il en soit ainsi. Certaines politiques de notre vieille Europe feraient bien d’aller chercher de ce côté une nouvelle inspiration.

Mars 2009

59. Emeutes : le rythme s’accélère

On dénombre au moins 53 émeutes dans le monde entre le premier janvier 2009 et la fin du mois de mars. C’est plus que le trimestre précédent (43) lui-même en hausse sensible sur le troisième trimestre 2008 (25). 27 pays sur tous les continents sont touchés. Certaines émeutes ont fait la Une de la presse mondiale comme celles de Madagascar qui ont été le prélude du coup d’Etat du jeune maire de la capitale, celles de la Guadeloupe, de la Martinique et de la réunion au moment des mouvements de grève contre la vie chère en février et mars.

On retrouve certes les déclencheurs habituels de la colère de ces dernières années : la mort d’un jeune tué par la police (Oakland en janvier), les conflits religieux (Pakistan, Somalie, Barein), les tensions avec la police (France, Algérie). Mais le répertoire de la révolte s’élargit rapidement : les conflits sociaux classiques ou les mobilisations étudiantes s’enveniment (France, Espagne), des « flash mob » de Facebook tournent à l’affrontement (France), la sortie d’un film sur des émeutes fait émeute (Australie). Même les centres de détention pour les étrangers en situation irrégulière sont touchés par des révoltes en Italie (Lampedusa a brûlé) et à Malte (Safi).

La crise et le début de ses conséquences génère des émeutes d’un nouveau type qui touchent d’abord l’Europe de l’Est (Sofia en Bulgarie, Riga en Lettonie, Vilnius en Lituanie) mais aussi en Islande. Certains gouvernements n’y résistent pas.

A se polariser sur quelques événements qui font les gros titres, on ne voit pas l’essentiel : l’émeute s’installe comme un mode de relation entre les gens et les pouvoirs dans une multitude de petits conflits locaux dont on ne parle pas ou peu. Les Etats abordent la crise qui commence à peine avec une légitimité bien faible.

58. Le temps des embuscades.

Ce qui s’est passé aux Mureaux le 14 mars 2009 inquiète la police et le gouvernement français. Dans cette petite ville des Yvelines dans la banlieue parisienne, les forces de l’ordre ont été confrontées à un scénario qui n’est pas tout à fait celui des émeutes.

En effet, si une compagnie d’intervention de CRS intervient ce soir là vers 20h15 dans le quartier des Musiciens, c’est qu’elle a été appelée après l’incendie d’un véhicule. Appelée et attirée dans un traquenard. Dès leur arrivée, les policiers ont essuyé des jets de projectiles divers. Des affrontements ont ensuite eu lieu durant une heure dans le quartier de la Vigne Blanche, ponctués de tirs de carabine.

Il est difficile de ne pas voir un rapport avec la mort, une semaine plus tôt, d’un jeune homme originaire des Mureaux, abattu sur l’autoroute A4 alors qu’il tentait de se soustraire à un contrôle de police. Le scénario attendu aurait été celui d’une émotion immédiate et d’incidents le soir même ou le lendemain.

Dans ce cas rien de tel : la vengeance, il faut l’appeler ainsi, est mûrement réfléchie, préparée, planifiée. C’est une opération de guérilla urbaine qui est montée. On appelle cela en France, selon une vieille expression, « la réponse du berger à la bergère » : au traitement militaire des banlieues lancé depuis des mois par le gouvernement, notamment après les émeutes de Villiers le Bel en 2007, des jeunes des quartiers répondent de façon militaire.

Ce n’est pas la première fois. En novembre 2008, un scénario analogue s’était déroulé dans la petite ville méridionale de Cavaillon, ou à Grigny, en banlieue parisienne en mars 2008. Comme la seule réponse gouvernementale reste l’accentuation de la répression et l’amélioration de ses moyens militaires, on voit mal ce qui peut arrêter l’escalade.

57. La première « émeute facebook »

Connaissez-vous Facebook ? Cet opérateur en ligne de « réseaux sociaux » a connu un succès foudroyant ces dernières années. Mais les millions de personnes connectées les unes aux autres ne restent pas sur la toile. Il leur arrive de faire irruption dans le monde matériel de façon intempestive et festive. Facebook permet de « créer un événement ». Vous choisissez une date, un lieu, un thème. Vous lancez dans vos réseaux. Des centaines de gens s’inscrivent sans se connaître et le jour dit, au lieu dit, ils sont là par dizaines ou par centaines.

C’est ce qui s’est passé samedi 7 mars dans la ville de Tours en France. L’idée était de faire une fête spontanée place Plumereau dans le centre de la ville. Idée réussie : 300 personnes s’y sont retrouvées. Vers 22h30/23h des feux de joie ont été allumés avec des cartons et des palettes de bois. Les pompiers interviennent alors pour les éteindre. Les jeunes les sifflent et les prennent à partie verbalement. Quelques minutes plus tard la police arrive en force.

La suite est d’une grande banalité. Une vidéo sur Dailymotion en donne quelques images ainsi qu’un groupe ouvert sur facebook qui fournit aussi témoignages et forum de discussion. Les affrontements avec les forces de police ont eu lieu dans le centre de la ville jusqu’à 4 heures du matin selon les témoins. Jets de boulons, canettes, pierres, bouteilles en verre d’un côté, gaz lacrymogènes et flashball de l’autre.

Si la seule présence de jeunes en nombre dans un cadre non prévu suffit à provoquer une émeute par intervention policière, la cause des émeutes doit sans doute moins être cherchée du côté des banlieues que du côté des Etats.

56. Emeutes au tribunal

Partout dans le monde, les émeutes qui ont émaillé l’année 2008 ou d’autres, plus anciennes, trouvent leur dénouement judiciaire. Les condamnations tombent.

En septembre 2008, le tribunal de Mougo au Cameroun à condamné à trois ans de prison et 280 millions de francs (CFA) l’artiste Lapiro de Mbanga pour sa participation aux émeutes de la faim de février qui avaient fait l’objet d’une répression brutale et sanglante.

Les émeutiers de Gdyel (Algérie) qui avaient participé aux événements d’Oran du 15 avril 2008 ont été condamnés à deux ans de prison en décembre par le tribunal de cette ville.

La cour d’appel de Rennes (France) a examiné en mars 2009 le dossier des émeutes survenues à Brest le 7 novembre 2005 au moment des émeutes de banlieue dans toute la France. Une école avait été incendiée. La police, lorsqu’elle était arrivée, avait été accueillie par des coups de fusil. Un premier jugement en 2008 s’était conclu par la libération de 3 suspects faute de la moindre preuve. Un seul avait été condamné (à trois ans de prison), le propriétaire du fusil qui pourtant n’était pas le tireur. Comme cela est possible en France, le « parquet » (le procureur au tribunal)qui avait réclamé 3 et 7 ans de prison, avait fait appel de la décision, la trouvant trop « laxiste ». Le jugement définitif interviendra le 31 mars.

A quelques milliers de kilomètres de là, le Sénégal revient sur les conséquences des émeutes de Kédougou, le 23 décembre 2008. Ce sont des manifestations étudiantes qui à l’époque avaient dérapé après la mort de deux jeunes mineurs tués par balle par la police. De nombreuses arrestations étaient intervenues. En pleine campagne électorale, le président Abdoulaye Wade a annoncé sa décision de les gracier. Ils seront bientôt libres : une situation, on le voit, assez exceptionnelle.

Février 2009

55. La Martinique banlieue lointaine… et si proche

Après la Guadeloupe, la Martinique connaît à son tour les nuits illuminées par les incendies de voiture. L’émeute diffuse a commencé le mardi 24 au soir et repris dès le lendemain. Mercredi 25 au soir sur plusieurs artères de la ville de Fort-de-France, des barrages ont été érigés avec des poubelles, dont certaines étaient en feu. Des détonations résonnaient régulièrement tandis que montaient des fumées et des odeurs des gaz lacrymogènes. Les rideaux métalliques d’au moins trois grandes surfaces ont été éventrés. Une voiture a été lancée contre l’hypermarché Carrefour Dillon. Un tracteur a pénétré dans le magasin « Intersport ». L’autoroute était bloquée par des jeunes outillés de des cocktails molotov. Comme dans les plus belles nuits de novembre 2005, tout au long de la soirée, des jeunes encagoulés et très mobiles ont sillonné les rues et ont fait courir les forces de l’ordre.

Les scènes nocturnes d’émeutes « de banlieue » deviennent universelles. Elles sont diffusées dès le lendemain matin par des vidéastes amateurs sur Youtube et Dailymotion. Les scénarios manquent d’originalité. Cadrage et montage aussi. Mais venue de tous les continents cette production donne à voir le paysage mondial et nocturne d’une révolte juvénile qui déborde les circonstances locales de son expression.

Les émeutes de 1967 en Guadeloupe avaient fait 80 morts. Dans l’indifférence relative des la métropole. Pour les français d’Europe, ces colonies étaient bien lointaines et loin de leur vie. Il n’en est plus de même aujourd’hui. Ces colonies sont devenues des banlieues populaires. Selon un sondage, plus de 60% des français soutiennent ou comprennent le mouvement revendicatif de la Guadeloupe et de la Martinique. Malgré les émeutes ou grâce à elles ?

54. La Guadeloupe, une banlieue ?

Après trois semaines de grève générale contre la vie chère, le mépris et l’autisme du gouvernement français ont enclenché la mécanique des émeutes en Guadeloupe. Le 16 février l’île s’est embrasée comme elle l’a fait à plusieurs reprises dans sa longue histoire coloniale. Paralysée par les barrages routiers, comme la Guyane il y a quelques mois, la Guadeloupe connaît alors des nuits de violence où la police et la gendarmerie semblent complètement débordés. Barrages en feu, pillages, tirs à balle réelle, c’est plus qu’une émeute : cela ressemble plus à une insurrection soutenue par l’ensemble de la population.

Par ignorance (volontaire ou non) de la situation coloniale explosive des Antilles, par volonté, peut-être de se rassurer sur leur incapacité récurrente à respecter les classes populaires, le pouvoir et une partie des médias ont trouvé une explication : c’est la banlieue, les fameux « quartiers sensibles » ! Le journal français les Echos, vous le dit le 19 février : Point à Pitre, Clichy sous-bois, Villiers le Bel, mêmes problème et mêmes combattants ! Du côté gouvernemental les mêmes recettes semblent en effet de mise : la ministre de l’intérieur envoie des centaines de CRS, le premier ministre accuse des « délinquant » du meurtre pour le moins étrange d’un des dirigeants du mouvement.

Les Echos nous le disent : « Ce qui est commun à toutes ces banlieues, c’est l’incapacité des dirigeants de tous bords à mettre en oeuvre une politique publique digne de l’immense problème posé. » Autrement dit, ce qui fait la « banlieue » ce n’est ni une forme urbaine, ni les silhouettes cagoulées des jeunes desperados nocturnes, ni les voitures brûlées. Ce qui fait la banlieue c’est l’attitude et la subjectivité de l’Etat contemporain, quels que soient ses dirigeants, vis-à-vis de son peuple. C’est ce divorce que nous donnent à voir les émeutes partout dans le monde.

53 L’émeute entre histoire et science fiction

Le cinéma s’intéresse aux émeutes de banlieue.

Le 18 février sort sur les écrans français « Banlieue 13 l’ultimatum » de Patrick Alessandrin, ancien assistant de Luc Besson. Hors du temps mais dans un futur pas si invraisemblable, l’action se déroule dans une des cités isolées du reste de la ville par un mur sans fin. Les quartiers mis en quarantaine sont la proie des gangs. Des flics de choc, as des arts martiaux, y sont envoyés par les services secrets pour « mettre le feu aux poudres » et « régler le problème ». Kung fu acrobatique, caricatures de chefs de bande « ethnique », combat de rue au mortier et à la voiture volante, intervention de l’armée de l’air sont au rendez-vous.

La ségrégation urbaine est passée aux couleurs d’un imaginaire militaire aussi meurtrier qu’infantilisant. On ne sait pas trop si on doit se désoler de la fabrication de telles fables guerrières à grand spectacle ou s’intéresser au symptôme incontestable du délitement de la culture politique française et européenne qu’elles nous donnent à voir. Car il faut des producteurs pour financer de tels films et des spectateurs pour les rentabiliser.

Spyke Lee, quant à lui, a du mal à réunir les fonds pour financer son projet : L.A. Riots un film sur les émeutes de Los Angeles en 1992. Un sujet historique mais en même temps plus actuel. On se souvient en effet que ces émeutes, les plus importantes que la ville ait connues, avaient éclaté après l’acquittement des policiers qui avaient tabassé Rodney King. Loin des effets spéciaux spectaculaires et du manichéisme sécuritaire, Spyke Lee entend montrer les tenants et les aboutissants de cette explosion. Il l’avait fait avec brio en 1988 avec « Do the Right thing », inspiré de l’histoire réelle de Howard Beach, un jeune noir lynché en pleine rue dans un quartier italien du Queens. Bonne chance Spyke Lee !

Janvier 2009

52. Les émeutes sortent des banlieues (2)

2008 restera sans doute comme l’année des émeutes avec plus de cent situations d’affrontements entre les populations et les Etats recensées à travers le monde. Certaines ont duré longtemps : les émeutes de Grèce près de trois semaines, comme la guérilla urbaine de Sidi Ifni dans le sud Marocain, ou le soulèvement de Tacna au Pérou. Les affrontements entre la population de Redeyef et l’Etat tunisien se sont prolongés pendant plusieurs mois.

2008 a connu son lot de jeunes victimes dont les morts scandaleuses ont provoqué l’émotion populaire : à Shenzhen en Chine, à Kedougou au Sénégal, à Palerme, à Romans en France, à Roquetas del Mar en Espagne et bien sûr à Athènes. Mais les causes de ces soulèvements se diversifient : émeutes contre la vie chère ou contre les coupures électricité en Afrique et en Asie, émeutes de la jeunesse scolarisée en France, en Grèce ou en Amérique latine, émeutes contre les fraudes électorales en Mongolie, émeutes des épargnants contre les faillites bancaires en Colombie…

L’émeute n’est plus l’apanage de la banlieue, voire de la seule banlieue française. Elle est le symptôme inquiétant de la défiance montante des peuples et notamment de la jeunesse du monde vis-à-vis des institutions et du monde politique. Quel que soit le continent et quel que soit le régime.

Certains pays avaient été épargnés comme les USA. La mort d’un jeune tué par la police à Oakland en janvier et l’émeute qui a suivi remet l’Oncle Sam dans la normalité mondiale…

2009 va-t-il dépasser 2008 ? Dans le seul mois de janvier, la Bulgarie, la Lituanie et la Lettonie ont été secouées. Au bord de la faillite, l’Islande a connu ses premières manifestations violentes depuis 60 ans ! Quelques jours après, Tananarive est à feu et à sang. Bienvenue dans la crise !

51. La guerre des favelas

Une guerre larvée, permanente et meurtrière : tel est le quotidien des habitants les plus pauvres du Brésil, ceux qui vivent le plus souvent dans les favelas. L’ONG Human Right Watch dans son bilan annuel dénombre 50 000 personnes tuées par balle, du fait de la police ou des gangs.(http://www.hrw.org/sites/default/files/related_material/brazil.pdf)

Dans le seul Etat de Rio de Janeiro, on compte 4 personnes par jour tuées par la police (757 entre janvier et juin) dans ce que les autorités appellent des « actes de résistance ». Or les exécutions des jeunes sont sommaires, souvent opérées d’une balle dans la nuque. La police n’est pas seule en cause : milices et forces paramilitaires ne chôment pas. Et la violence s’étend à la campagne : les conflits autour de la terre ne sont pas moins meurtriers.

Cette véritable guerre est menée au nom de la sécurité de ceux qu’on nomme « les gens de l’asphalte », autrement dit ceux qui vivent en ville, là où rues et trottoirs sont goudronnés. Les incursions policières sont toujours brutales et sanglantes, souvent aveugles, touchant indifféremment femmes, enfants ou personnes âgées.

Dans ces circonstances, l’écho des guerres moyen-orientales et de l’offensive israélienne à Gaza est au Brésil tout à fait paradoxal. .. Le chanteur brésilien Jorge Aragão dans une de ses chansons a annoncé la couleur : « O Iraque é Aqui », « l’Irak, c’est ici » quand les troupes américaines ont commencé à occuper l’Irak.

Quand les classes moyennes brésiliennes s’indignent du carnage opéré à Gaza, les favelas restent silencieuses. Non par indifférence au malheur, mais sans doute par le sentiment diffus que ce malheur là, elles l’ont déjà un petit peu en partage. Elles connaissent déjà, à leur façon, « la férocité du puissant quand il joue les victimes », comme dit l’écrivain français Daniel Pennac.

50. Lingang, banlieue fantôme

A Lingang, autour d’un lac artificiel de 5,6 km², la municipalité de Shanghai prévoit d’installer 400.000 personnes d’ici trois ans et 800.000 à l’horizon 2020 sur de 312 km². Les premiers appartements ont été livrés il y a un an déjà. En septembre 2008, 20.000 étudiants ont commencé à occuper les locaux neuf de l’Université maritime de Shanghai. Le siège du district de Nanhui a été transféré à Lingang. Près de 35,7 milliards de yuans ont été investis, dont 22,5 milliards pour les infrastructures.

Les premiers appartements ont été livrés avant même que des transports en commun ne desservent la ville ou que des commerces ne puissent approvisionner les résidents. Le quartier, n’est relié que par bus aux villes les plus proches. Le métro est prévu pour 2012. Le seul commerce est une supérette. Le magasin suivant est à une heure de route.

Aujourd’hui, le projet grandiose est un projet fantôme.

Que manque-t-il donc à Lingang pour que les rue s’animent, que le campus reste moins silencieux ? Peut-être tout simplement des activités économiques. Elles doivent être induites par le nouveau port en eaux profondes de Yangshan, construit sur une île et relié à la terre par un pont de 32 kilomètre. Les autorités multiplient les arguments auprès des entreprises en faveur de leur installation pour développer l’activité de la zone. Pour l’instant, beaucoup de transitaires préfèrent la zone de Waigaoqiao, sur le site de l’ancien port.

D’autres projets resteront dans les cartons comme celui de l’éco-cité de Dongtan sur l’île de Chongming, à l’embouchure du Yangtse prévue pour 50.000 personnes avant l’Exposition universelle de 2010 et 500.000 en 2040. Le projet a été suspendu en 2006 après de limogeage du dirigeant du Parti Communiste de Shanghai, Chen Liangyu, condamné ensuite pour corruption.

49. Feux de la Saint-Sylvestre : record battu !

35 000 policiers mobilisés dans toute la France dont 7000 en région parisienne aux côtés de 50 000 pompiers : comme chaque année en France, le réveillon de la Saint-Sylvestre était annoncé comme un réveillon à haut risque par les pouvoirs publics. Il fut donc sous haute surveillance. Michèle Alliot-Marie, Ministre de l’Intérieur est allée inspecter ses troupes sur le terrain, dans le département symbole de la banlieue le « 93 » (Seine-saint-Denis). Mais on ne lutte pas contre les traditions populaires et celle-ci, même récente en est une : en France, dans un certain nombre de régions, les voitures brûlent entre le 31 décembre et le premier janvier.

Certes, les communiqués matinaux du gouvernement le 1 janvier se veulent rassurants. « Nuit plutôt calme » selon le ministère de l’Intérieur. On compte pourtant dans un premier bilan qui n’est jamais définitif, 445 voitures brûlées à 6H00, contre 372 durant la même période en 2008. Les feux de la Saint-Sylvestre ont enregistré une hausse de près de 20%. L’Alsace reste en pointe avec une centaine de véhicules brûlés. La région de Mulhouse y double la mise (30 au lieu de 15 en 2008). Aux alentours de Lyon, une quarantaine de voitures ont brûlé, ainsi qu’une trentaine en Isère. En région parisienne, dans le Val-d’Oise, 43 véhicules ont brûlé, 24 en Seine-et-Marne, 23 dans les Hauts-de-Seine, une dizaine en Seine-Saint-Denis. Dans le Nord, 94 incendies de voitures ont été recensés. Dans l’Ouest, on en compte 32 à Nantes, et 7 à Angers. Dans le Sud-Ouest, Toulouse (12) ou Montauban (2), ne sont pas en reste.

A des centaines de kilomètres de là, à Salonique dans le Nord de la Grèce, quelque 150 jeunes ont posé des engins incendiaires de fabrication artisanale devant plusieurs banques et grands magasins avant d’affronter les forces de l’ordre. Les traditions s’exportent-elles ?

décembre 2008

48. Le silence de l’avenir

La vieille Europe est en train de découvrir, à travers le visage de colère de la jeunesse grecque, l’insupportable mutisme de la politique et des Etats sur l’avenir du monde.

Certes ce silence a ses raisons. Toutes les générations successives de l’après guerre en passant par la génération qui a eu vingt ans en 1968 et même celle qui a fait son apprentissage du monde avec la fin du fordisme et la montée du chômage ont certes eu des expériences diverses. Mais elles ont eu en commun les références culturelles et politiques qui permettaient à la fois de penser le présent et d’imaginer un éventuel avenir, si possible meilleur.

Progrès scientifique, progrès économique, progrès social, progrès démocratiques étaient pensés de façon articulée dans une représentation de l’histoire du genre humain dont les modalités étaient en débat. Pour le meilleur et pour le pire, le communisme a porté à son paroxysme, au cours du XX° siècle, cet esprit du temps.

Toutes ces générations ont été confrontées depuis 10 ans à un changement d’époque comme il en existe peu dans l’histoire de l’humanité. Les mots nous manquent pour caractériser cette rupture objective et subjective car les mots anciens ne sont souvent plus qu’un discours creux. Et qu’avons-nous vécu dans cette période ouverte par la fin du communisme dont nous n’avons pas vu qu’elle était le signe de la fin de tout un monde?

Nous avons vécu la fin de la guerre froide. Mais on veut nous convaincre que nous avons troqué l’équilibre de la terreur pour la guerre des civilisations.

Nous avons vécu l’émergence mondiale d’une économie de la connaissance et de la créativité qui pourrait libérer les hommes des contraintes de l’industrialisme. Mais le capital dans son inutilité parasitaire a investi une économie rentière et prédatrice qui est en train coûter cher à l’humanité.

Nous avons vécu l’ouverture d’un espace mondial de l’intelligence collective que sont les forums sociaux et le mouvement altermondialiste. Mais nous avons aussi vécu les attentats du 11 septembre 2001 la mise en place, à leur occasion, d’une stratégie de « guerre sans fin ».

Le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique a été à la fois le cerveau et le bras armé le plus visible de ce nouveau mode de gouvernement. Mais quand l’Europe, et notamment la France et l’Italie, s’enfoncent dans la régression démocratique et la mise en pièce de l’Etat de Droit, c’est des Etats-Unis aussi qui vient ce signe historique de renouveau démocratique que constitue l’élection de Barak Obama.

La mondialisation ouvre les frontières aux capitaux, aux marchandises et même aux idées. Mais dans le même temps les frontières deviennent de plus en plus dangereuses pour les pauvres qui tentent de les traverser et les nationalismes explosent, porteurs de la haine de l’autre et parfois de massacres.

Le sud se développe, se modernise et s’urbanise. Mais les écarts de richesses et de revenus, loin de s’atténuer, se mondialisent. Et la ville prend souvent le visage du « pire des mondes possibles » selon la formule de Mike Davis, monde de bidonville et de violences sociales et sécuritaires.

L’avenir est obéré par le risque et nous savons aujourd’hui de façon précise que les avertissements du rapport Meadows et du M.I.T en 1972 étaient très en deçà de la réalité des menaces qui pèsent à court terme sur la planète.

Comment s’étonner dans ces conditions que l’émeute s’étende, en Grèce aujourd’hui, comme hier ailleurs et sur tous les continents. Et demain ? Car cette « décade prodigieuse »[1] ne s’est-elle pas ouverte politiquement par deux émeutes : celle de Seattle en 1999 et celle, meurtrière, de Gènes en 2001 ? Et pour quelques événements phares et mondialement visibles comme les émeutes françaises de novembre décembre 2005, combien d’émeutes localisées, passées sous silence sinon silencieuses, chaque mois et parfois chaque semaine ?

Au départ des émeutes en Grèce, en France, au Canada, en Italie, en Chine, en Espagne, en Hollande, en Algérie, il y a très souvent la mort violente de jeunes gens méprisés au passage par les discours officiels. L’incompréhension du présent et le silence sur l’avenir doit-il s’accompagner de la stigmatisation de ceux qui sont à la fois l’incarnation du futur et les vrais contemporains de notre époque : la jeunesse du monde. Leur révolte n’est pas seulement compréhensible. Elle est nécessaire.


 

[1] Film français de Claude Chabrol, 1971

47. L’émeute sort des banlieues

Ces dernières semaines, une angoisse a saisi tous les gouvernements d’Europe : et si la violence sortait des banlieues ? Les événements de Grèce sont en effet un mystère pour tous ceux (et ils sont nombreux) qui pensaient que les émeutes françaises étaient une exception, que la violence contre l’Etat n’était qu’une affaire d’immigrés. En 2006 en France, on n’avait eu de cesse d’opposer le mouvement étudiant raisonnable dans ses actions et les « casseurs » venus en découdre avec la police. Mais le mouvement avait finalement fait reculer le pouvoir en ayant recours à des méthodes plus musclées comme les blocages de gares ou d’autoroutes.

Déjà pendant l’hiver et le printemps 2008, la mobilisation lycéenne en France avait pris souvent des formes locales assez violentes face aux forces de l’ordre.

Car ce sont les plus jeunes qui sont en première ligne : comme en France en 2005 avec Zyed et Bouna, en 2007 à Villiers Lebel avec Moushin et Larami, à Romans en 2008, à Palerme peu après. Et ce sont les plus jeunes qui ont envie « d’en découdre »

Les Etats en Europe, mais aussi dans le monde n’ont pas à faire face à des manifestations marginales de révolte, marges urbaines qualifiées de banlieues, marge populaires qualifiées d’immigrées, ou marges politiques qu’on les qualifie « d’ultra gauche » ou « d’islamisme ». Même si l’Etat partout tente désespérément de les opposer, la coupure entre la jeunesse populaire ségréguée et stigmatisée et une jeunesse scolarisée fortement malmenée n’est pas fatale car c’est une construction idéologique et non une réalité politique et sociale. La génération précaire grecque nous le démontre. Et le ministre français de l’Education nationale qui retire sa réforme après quelques jours d’incidents devant les lycées nous montre qu’il a parfaitement compris.

46. France : quel droit au logement ?

Depuis le premier décembre 2008 la loi « DALO » est en application en France. Ce nom mystérieux est l’abréviation de Droit Au Logement Opposable. Il signifie qu’à partir d’aujourd’hui, des sans logis pourront, dans certaines conditions, attaquer l’Etat devant les tribunaux et réclamer leur droit. C’est des lois phares du gouvernement Sarkozy qui par ailleurs détruit ou vend le parc de logements sociaux existant alors qu’il manque des centaines de milliers de logements accessibles aux milieux populaires.

Paradoxe ou hypocrisie ? L’Etat, d’un côté, établit un droit et, d’un autre côté, se prive des moyens d’y répondre. Dans le même temps, l’association Droit au Logement qui organise des mobilisations depuis des années en faveur des mal logés se voit condamnée à 12 000 euros d’amende pour avoir organisé des campements dans la rue. Une autre association, les Enfants de Don Quichotte, se voit elle, confisquer son stock de tentes….

Que vont devenir réellement les SDF et les centaines de milliers d’habitants de squats et d’immeubles insalubres ? Ils pourront toujours porter plainte comme les 40 familles habitants au 76 rue Gabriel Peri à Saint-Denis à quelques dizaines de mètres du domicile de l’auteur de ces lignes. Depuis 2004, ces habitants savent, tout comme les pouvoirs publics, que cet immeuble classé, du XVII° siècle, est dangereux. Les peintures anciennes contiennent du plomb et provoquent chez la plupart des enfants, peut-être tous, cette maladie terrible nommée le Saturnisme. Quatre années de détresse pour ces familles à qui la situation administrative (certains sont sans papiers) mais surtout, pour la plupart, la couleur de leur peau ferment aujourd’hui la porte du logement social. Les familles vont porter plainte. Mais en attendant le jugement, combien d’enfants tomberont gravement malades ?

Novembre

45. Quand le patronat investit dans les banlieues

145 000 euros : c’est la somme que BNP Paribas Marseille dépense cette année aux profit d’action en banlieue au titre du plan« Projet Banlieues » initié par la banque décembre 2005, avec l’appui de sa Fondation. Ce programme spécialement dédié à la création d’emplois et de lien social ainsi qu’à l’accompagnement scolaire.

Les aides sont multiples. A Marseille, cinq associations en ont profité : pour un dictionnaire sur le « parler » des jeunes des cités ; pour la mise en place d’un un bus allant à la rencontre des habitants des quartiers afin de leur ouvrir l’accès aux nouvelles technologies, pour la création d’un centre d’animation socio-économique, pour un lieu d’accueil de familles et pour la réalisation d’un documentaire sur les personnes âgées. Mais l’action de BNP Paribas Marseille ne s’arrête pas là. La délégation régionale de la banque a versé plus de 45 000 euros, au titre de la taxe d’apprentissage, à sept établissements de formation professionnels situés en zones urbaines sensibles : . Surtout, elle soutient Créajeunes, un programme mis en place pour d’accompagner les jeunes entrepreneurs dans leurs projets de création d’entreprises.

Doté d’un budget de 3 millions d’euros sur 3 ans, le Projet Banlieues de BNP Paribas a déjà permis en deux ans et demi l’ouverture en France de sept antennes de microcrédit ADIE, la création de près de 600 emplois, la prise en charge de l’accompagnement scolaire de près de 1200 élèves et le soutien à 124 associations locales.

Du côté du gouvernement, le plan banlieue patine, la stigmatisation s’accentue, le traitement policier voire militaire des quartiers populaires s’impose. Le patronat sait lui ce que ces quartiers recèlent de richesses humaines, d’enthousiasme et d’inventivité dans lesquels investir. Où est la gauche ?

44. Emeute à Shenzhen dans le sud de la Chine

A des milliers de kilomètres de Palerme en Italie ou de Romans en France, l’actualité chinoise nous donne une impression de déjà vu. Le 2 octobre, Peppe e Pasquale, deux jeunes de 17 ans fuyaient la police en mobylette dans le quartier d’Albergheria à Palerme. Leur mort a déclenché une émeute. Le quartier s’est couvert d’inscriptions accusant la police d’assassinat. Quelques jours plus tôt c’était la quartier de la Monnaie à Romans qui manifestait de la même façon sa colère contre la mort d’un jeune d’une quinzaine d’années tué au volant d’une voiture volée et poursuivi par la police.

Un mois plus tard, à Shenzhen dans le sud de la Chine, Li Guochao, 31 ans, meurt après avoir tenté d’échapper à un contrôle routier destiné à lutter contre la prolifération des taxis illégaux. Il semble qu’après que l’un des agents participant au contrôle eut jeté sur lui son talkie-walkie, le motocycliste ait perdu le contrôle de son véhicule puis heurté un pylône. Il est mort quelques heures plus tard à l’hôpital

Sa famille a transporté le corps de Li devant le bâtiment de la police, faisant exploser des pétards, comme c’est la coutume lors d’un décès en Chine. Mais la situation a dégénéré. Plusieurs centaines de personnes ont assiégé puis investi le commissariat, jetant des projectiles et incendiant un véhicule.

Ce qui peut sembler tout à fait étonnant pour des observateurs européens qui n’ont pas l’habitude de tels comportements de la part des autorités responsables, c’est que le policier qui avait jeté sa radio sur le motocycliste a été immédiatement placé en détention et que les autorités de la ville de Shenzhen ont déjà accordé une compensation financière de 20.000 yuans (2.200 euros) à la famille de Li Guochao.

43. La colère de Conakry

La Guinée connaît sa quatrième émeute depuis le printemps. En Mars c’est la petite ville de Fria qui connaissait de violentes manifestations contre les coupures d’électricité attribuées aux usines de fabrication d’Aluminium. C’est pour la même raison qu’en septembre les jeunes de Conakry ont affronté la police, brûlé des pneus et bloqué les routes durant plusieurs jours. A Mambia en octobre, c’est la ligne de chemin de fer que la population a bloquée pour protester contre le manque d’électricité, empêchant, du coup, le train minier de la CBK (appartenant à la Société minière Rusal) de transporter la bauxite (minerai de l’aluminum) vers le port de Conakry. L’armée est intervenue brutalement, tirant sur les manifestants à balle réelle.

Routes barrées, barricades érigées, boutiques et magasins fermés, c’est l’image qu’offre la plupart des quartiers pauvres de la ville de Conakry le 4 novembre 2008. En dépit de la présence policière dans certains endroits stratégiques de la capitale, les jeunes manifestants continuent leur manifestation hostile à la baisse du prix du carburant à la pompe jugée insignifiante. Vendredi soir, le gouvernement guinéen avait annoncé la réduction du prix du carburant à la pompe de 7.000 francs guinéens (1 euro) à 5.500 Francs guinéens soit environ 21,43%, ce que les consommateurs qualifient de “réduction insignifiante”.

Durant le week-end, de violentes manifestations et des pillages avaient déjà eu lieu à Boké (300 km au nord-ouest de Conakry), faisant deux morts. La protestation s’était étendue à Conakry le 3 novembre. Là encore pourtant, la répression a été féroce. Le trois novembre c’est un policier qui a été tué victime non des manifestants mais d’une balle perdue de l’armée…

42. Tacna, un Redeyef au Pérou ?

La petite ville de Redeyef dans le bassin minier de gafsa dans le sud tunisien connaît depuis près d’un an un mouvement social fortement réprimé par le pouvoir. Cette affrontement a déjà fait plusieurs morts dans l’indifférence de la communauté internationale.

Cet automne c’est au cœur des Andes, dans le bassin minier de Tacna au Pérou, à la frontière chilienne qu’un conflit régional minier est en train de prendre forme. A l’origine du conflit, une mesure gouvernementale modifiant la répartition régionale des revenus fiscaux des mines de cuivre de la Southern Copper Corp. La péréquation égalitaire jusque là en vigueur est remplacée par un plus grand intéressement à la productivité. Le nouveau système, plus favorable à la région de Moquegua (1200 km au sud de Lima) est contesté par les élus et la population de la région de Tacna. Ces impôts sont les principales sources de financement des services publics de base dans la région. Moquegua qui perçoit moins de ressources fiscales directes mais bénéficie des services et infrastructure de Tacna, produit en fait plus de cuivre.

La protestation, commencée à la fin du mos d’octobre, s’est concentrée dans la ville de Tacna (70 000 habitants) qui est devenu le principal foyer de troubles début novembre. Journée ville morte avec tous les magasins fermés, attaques de bâtiments publics et incendie du siège du gouverneur, blocages des axes routiers vers le Chili, destruction d’un canal d’eau potable : les manifestants du « Frente de Defensa de Tacna » n’y sont pas allés de main morte. Le 4 novembre l’Etat d’urgence est décrété pour 30 jours et l’armée investit la ville, accueille par un concert de casserole.

On compte aujourd’hui une cinquantaine de blessés dont la moitié par arme à feu et trois morts : deux homme de 32 et 37 ans, tués par balle à la poitrine et à la tête et un bébé de cinq mois asphyxié par les gaz lacrymogènes. A suivre…

Octobre

41. émeutes interdites d’antenne ?

Les émeutes, dans le monde entier, produisent des images. Youtube en est le principal vecteur. Reprise d’images de grands médias mais aussi, très souvent, images amateurs prises par les acteurs eux-mêmes. Les voitures qui brûlent répondent ainsi aux voitures qui brûlent de Wen’gan à Montréal en passant pas Palerme, Romans, Roquetas del Mar ou … Mahalla.

Qui s’en souvient ? A Mahalla, en Egypte, près du Caire, en avril 2008, à la suite d’un conflit social des manifestations avaient dégénéré en violents affrontements pendant deux jours, faisant trois morts, et plusieurs dizaines de blessés. 340 personnes avaient été arrêtées. Une petite dizaine de vidéos, en majorité artisanales, circulent encore sur le net.

Fin octobre 2008, Nadim Gohar, responsable d’une agence égyptienne privée, la Cairo News Company (CNC) a été condamné à une amende de 150.000 livres (21.000 euros) et la confiscation de son matériel. Motif ? Avoir diffusé en avril des images d’émeutes et de manifestants d’une cité ouvrière déchirant des posters du président Hosni Moubarak. Circonstances aggravantes : les images auraient été reprises sur la chaîne satellitaire qatarie al-Jazira.

Les images de l’émeute sont-elles devenues insupportables ? Ce n’est plus la presse qu’on censure, c’est la réalité elle-même. A quand la répression sur les images qui circulent sur Internet ? Nul besoin d’une législation répressive particulière ni d’un service étatique de la censure : c’est à la suite d’une plainte (ici de Union de la radiotélévision égyptienne) pour contravention à des lois audiovisuelles que le tribunal s’est prononcé. Cette pratique de la plainte a posteriori pour museler la liberté d’expression peut se généraliser. Elle s’expérimente déjà en France.

40. Vers une émeute urbaine mondiale ?

La crise financière et économique mondiale qui commence trouve son origine dans la crise des « subprimes » en 2007 aux USA. Cette origine n’est pas anecdotique. Le capitalisme financier n’est pas un capitalisme « virtuel » comme l’annoncent nombre de journalistes. C’est un capitalisme prédateur, rentier, qui ne spécule pas sur du vent mais sur la vie des gens et sur l’espace contemporain de leur vie : la ville. La spéculation financière avait trouvé un moyen de gagner de l’argent sur le dos des plus pauvres ! Certains n’ont pas récupéré toute leur mise et c’est justice. Mais on oublie souvent que dans cette affaire ceux qui n’avaient pas grand-chose ont tout perdu. En bout de chaîne, dans la « vie réelle », ce sont des millions de familles à la rue, des vies brisées et une tension plus grande encore sur le logement populaire dans les grandes agglomérations.

C’est en partant de ce constat qu’Anna Tibaijuka, directrice du Programme des Nations Unies pour l’habitat (ONU-Habitat), a présenté le 22 octobre son rapport annuel à l’Onu sur l’état des villes dans le monde. Pour elle la crise financière mondiale pourrait déclencher des émeutes au sein de la population urbaine grandissante dans le monde, alors que des habitants n’arrivent plus à payer leur loyer. Le risque croit avec le niveau d’inégalité.

Or le rapport de l’ONU-Habitat note qu’il y a plus d’inégalités de revenus dans les villes des Etats-Unis que dans certaines villes d’Afrique ou d’Amérique latine. New York, Washington, Atlanta ou la Nouvelle Orléans ont des niveaux d’inégalités similaires à ceux d’Abidjan, de Nairobi ou de Buenos Aires. C’est Johannesburg qui détient le record mondial des inégalités et Pékin qui tient la place enviable de la ville la moins inégale au monde en termes de revenus.

39. L’université et les favelas

Au Chili, Viña Del Mar est la station balnéaire où l’on va pour être vu. Sur les collines qui la dominent, c’est un autre monde qui tente de survivre : le plus grand bidonville de la région. Mille familles vivent sans eau courante, ni égouts, dans des logements de fortune aux planches mal jointes, aux fenêtres bouchées par du plastique.

Ici, 150 étudiants et lycéens bénévoles mettent à profit leur temps libre pour construire des logements d’urgence, des «mediaguas» de 18 m2 en bois avec deux fenêtres, une porte et un toit de tôle ondulée. L’idée est d’éradiquer les bidonvilles d’ici à 2010, deux-centième anniversaire de l’indépendance du pays en construisant 28 000 logements dans 533 favelas.

C’est « l’association un toit pour le Chili » (un techo para Chile), fondée en 1997 par le père jésuite Felipe Berrios qui est à l’oeuvre. En tout 15 000 étudiants sont ainsi devenus menuisiers, ébénistes, contremaîtres, architectes bénévoles chaque année. 33 000 «mediaguas» ont déjà été construites.

Cet engagement des universités dans la lutte bénévole contre la pauvreté n’est pas propre au Chili. A Canoas, ville du nord de l’agglomération de Porto Alegre, les étudiants de l’Université luthérienne du Brésil (ULBRA) valident une partie de leur cursus dans des activités de solidarité dans les favelas avoisinantes : formation juridique pour les militants associatifs, formation Internet pour les jeunes, bibliothèque pour les enfants d’une coopérative de femmes de triage d’ordures.

A Brésil cette sorte de responsabilité sociale assumée des Université vis-à-vis de la ville populaire qui l’entoure a un nom : « l’extençao ». Le mot est intraduisible. Car l’idée est difficilement traduisible en Europe. Elle l’est dans toute l’Amérique latine et l’association un techo para Chile porte déjà son regard au-delà des frontières.

38. Luc Besson en banlieue parisienne

La petite ville de Montfermeil connaît depuis le mois de septembre un déploiement de médias équivalent à celui qu’elle a connu en 2005. C’est en effet de là et de la ville voisine de Clichy sous bois que la vague d’émeutes de novembre 2005 est partie après la mort des deux jeunes, Zyed et Bouna le 27 octobre de la même année.

Aujourd’hui, la curiosité médiatique est d’un tout autre ordre.

Cette curiosité concerne moins la fameuse « cité des Bosquets » que la présence dans ses murs de deux stars du cinéma mondial : John Travolta et Luc Besson venus faire des repérages et des castings pour le tournage d’un film d’action « From Paris With Love ». Des scènes seront filmées sur place dans un immeuble abandonné. Une quarantaine de petits rôles seront tenus par des habitants de la cité.

Quel retournement de situation ! La banlieue stigmatisée devient un territoire ressource de la création…La démarche n’est pas tout à fait étonnante pour le réalisateur qui va ouvrir en 2010 d’une cité du cinéma dans la ville de Saint Denis, dans ce département de Seine-Saint-Denis, le 9-3, dans lequel il organise des projections gratuites depuis plusieurs années.

Cet intérêt pour la banlieue se traduit également par la production d’un documentaire engagé sur le traitement médiatique des émeutes de Villiers-le-Bel, dont le budget devrait représenter 500 000 euros, et pour lequel est prévue une sortie au cinéma fin 2008 ou début 2009.

« En banlieue, c’est vivant, ils ont des idées. Ils ont envie de manger la vie, envie d’y arriver, envie de créer » déclare le cinéaste qui ajoute« J’ai vu Villiers-le-Bel sur CNN et j’y suis allé. C’est bizarre, j’ai pas vu le même ! Il y a des arbres, des parcs, des enfants, des gens qui sourient ». Et de conclure « Le jour où la France aura compris que son vrai trésor est là. Son trésor pour l’avenir… »

37. Un scénario annoncé

Romans est une petite ville du sud de la France. Ses 32 000 habitants vivent aujourd’hui sur un souvenir : cette ville fut en son temps la capitale française de la chaussure. De cette époque, il est resté quelques marques de luxe Jourdan, Kélian, Clergerie… Mais la mono industrie est depuis longtemps en crise et les quartiers populaires et ouvriers de la ville, notamment celui dit de « la Monnaie », en supportent les conséquences.

C’est dans ce quartier de la Monnaie que le 29 septembre vers 19 heures des groupes de jeunes ont commencé à se rassembler. Certains d’entre eux, très en colère ont tenté d’organiser une expédition contre le commissariat de police, dans le centre-ville. Une centaine d’entre eux a même tenté de pénétrer dans le commissariat. L’affrontement qui a suivi avec les 150 gendarmes mobiles déployés dans le quartier a suivi un scénario immuable. Vers 21h30, un gendarme mobile a été blessé à la cuisse par un fusil de chasse. Le calme est revenu vers deux heures du matin.

Les raisons de cette colère ? Au volant d’une Ford Escort décapotable volée, un jeune garçon de 15 ans a perdu la vie dans un accident au cours duquel ses quatre passagers, âgés de 15 et 16 ans, étaient grièvement blessés. L’accident s’est produit alors qu’une patrouille de la Brigade anti-criminalité poursuivait la voiture.

Mais quelle est la responsabilité de la police dans l’accident ? La version officielle parle d’une poursuite à distance, 70 m au moins. Les témoins eux, ont vu autre chose : Une voiture de police pare-choc contre pare-choc avec une voiture conduite par de grands enfants qui va ainsi s’écraser contre un mur.

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan !/C’est la meute des honnêtes gens/Qui fait la chasse à l’enfant/Pour chasser l’enfant, pas besoin de permis/Tous les braves gens s’y sont mis. » (Jacques Prévert 1934)

Septembre

36. Slam : les mots des villes du monde

Le Slam est né au Green Mill Tavern à Chicago en 1986 à l’initiative de Mark Kelly Smith. Joutes poétique, partage de textes, scène ouverte : le Slam est devenu, dans le voisinage de la culture Hip-Hop, un phénomène emblématique de la culture urbaine d’aujourd’hui.

En France depuis plus d’un an, le grand succès commercial du premier album du Slameur Grand Corps malade a donné au Slam une légitimité et une notoriété considérable. Les scènes Slam se sont multipliées. Il essaime dans la francophonie, en Guadeloupe avec le collectif Slamblag à la Martinique au Téyat Otonom Mawon, en Belgique ou « La Zone » a organisé, en avril 2008, les premières « Vingt Quatre Heures Slam », au Québec, à Sétif en Algérie où le groupe Rime-Urbaine s’est imposé. Le Slam est présent en Allemagne où des tournois internationaux sont organisés, en Grande Bretagne, aux Pays Bas…

Le Slam est à l’assaut de tous les continents. C’est un Gabonais, Big Jim du collectif Ar’c’nal E-pop qui a gagné le concours international de Slam de Bobigny en 2008. C’est au studio Blonba de Bamako, au Mali que se produit le Slameur français Grand Corps Malade, fin septembre 2008. Au même moment c’est à la Réunion que se trouve Mark Kelly Smith pour le premier Championnat de Slam de l’Océan Indien qui s’est tenu le 20 septembre 2008.

Ce Grand Slam de l’océan Indien organisé par Slam la Kour à Saint-Pierre a mis en lice des artistes venus du Zimbabwe, de l’ile Maurice, en d’Anjouan, du Swaziland ou d’Afrique du Sud. C’est un Tanzanien Mrisho M’Poto qui a remporté la compétition. Le lendemain s’ouvrait à Montréal « Le Grand Slam », » de la Ligue québécoise. A quand la Chine ?

Mettre ensemble des mots notre vie dans un monde d’images et d’affects transformés en marchandises: tel est sans doute le secret de cette traînée de poudre pacifique. Mettre des mots pour reprendre possession de ce monde…

35. Emeutes en Espagne

Roquetas Del Mar est une ville de 80 000 habitant située près d’Almeira en Andalousie. Les 9 et 10 septembre, cette petite ville espagnole a été le théâtre d’affrontements violents impliquant notamment la population immigrée d’origine sub-saharienne, nombreuse dans la ville. Les autorités ont tenté de minimiser les faits, parlant de « faits isolés liés à la drogue ». D’autres n’ont voulu y voir que des affrontements communautaires entre Sénégalais et Gitans.

Qu’est-ce qui a pu provoquer un tel déchaînement de colère après l’assassinat à coup de couteau, dimanche 9 septembre d’un jeune de 28 ans ? Attaque d’une ambulance à coup de pierre et de bouteilles, containers à ordure mis à feu, barricades… Durant deux nuits d’émeutes successives, gardes civils et pompiers ont été dépassés par les événements.

La première raison de la colère, criée par les manifestant devant la mairie le 10 septembre, c’est justement la version officielle : banalisation de la mort d’un jeune, la criminalisation de la victime voire le renvoi de la violence vers des « affrontements ethniques ».

Cette sorte de déqualification officielle de la vie de gens méprisés au quotidien, cantonnés dans un quartier aux marges de la ville (le « 200 Viviendas ») mal desservi, insalubre, délaissé par la municipalité depuis des années, semble un écho à d’autres situations. La mort violente des jeunes est toujours un scandale. Le mépris officiel, voire le mensonge d’Etat, sur les dépouilles de ces victimes est à l’origine de bien des émeutes ces deniers années : en France en 2005 et depuis à Villiers le Bel et Vitry le François, en Algérie à Tiaret, en Chine à Weng’an voire à Montréal…

Cherchez partout, dans les dépêches, les articles publiés : la victime du 9 septembre à Roquetas y est toujours désignée comme « un sénégalais de 28 ans ». Il n’a même pas de nom !

34. de la banlieue à l’afghanistan

Depuis la fin de la conscription en France en 2001, l’armée recrute 20 000 hommes (et femmes) par an. Tous les deux mois, dans la salle des mariages de la mairie de Saint-Denis, ville symbole de la banlieue parisienne, une cérémonie marque le départ de nouvelles recrues locales. Ils étaient 28 en septembre 2008. Ils sont jeunes : la limite d’âge est de 29 ans. Ils sont souvent sans diplôme ou titulaires de CAP et de BEP. Il n’y en a qu’un sur cinq qui a le bac. Parmi les plus gros « pourvoyeurs » : l’Ile-de-France et ses banlieues puis le Nord-Est de la France. Les deux régions représentent 40 % des recrutés.

Dans la salle de la mairie de Saint-Denis, il y a Nourdine, 24 ans. Il sera bientôt sapeur de combat. D’ici un an, il sera régulièrement sur les rangs pour partir au Tchad, en Afghanistan ou ailleurs… et peut-être y mourir. Gary, 19 ans, boulanger de formation et d’origine guyanaise est engagés dans un régiment d’artillerie et sera tireur de missiles. Comme Yann, 20 ans, mi-Mauricien, mi-Guadeloupéen, titulaire d’un BEP de comptabilité.

Echec scolaire, ségrégation à l’embauche, l’armée joue sur du velours : elle propose un contrat de cinq ans à ces jeunes à l’avenir bouché, et leur promet une formation qualifiante dans ses « 400 métiers ». Mais elle leur propose plus : le mythe du « guerrier », l’uniforme, la reconnaissance nationale. Les centres de recrutement ont pignon sur rue : une boutique parmi d’autres dans une petite rue du centre ville. « Change ta vie ! », propose-t-on en vitrine. C’est plus qu’un programme, c’est presque un projet de société.

Décidément, entre la militarisation de la sécurité urbaine et la militarisation de l’avenir des jeunes, la guerre est elle le seul horizon promis aux banlieues ?

33. Cinéma et guerre urbaine : du Brésil à la France

« Troupe d’élite », le film de José Padhila consacré à l’action de la BOPE (police spéciale) dans les favelas de Rio en 1997 a déjà fait couler beaucoup d’encre. La film a déjà derrière lui un gros succès au Brésil (plus de 10 millions d’entrées depuis a sortie en 2007) et une récompense de poids : l’Ours d’or au Festival de Berlin.

Le choix « unanime » du jury présidé par le cinéaste français Costa-Gavras avait alors surpris. Ce dernier a laissé une œuvre largement marquée par la dénonciation des dictatures. Or le film de José Padhila, d’une grande violence, dénonce la corruption de la société et de l’Etat brésilien dans un docu-fiction qui se place d’un seul point de vue : celui de la BOPE (le scénariste est un ancien policier de cette compagnie), de son idéologie, de ses méthodes plus que musclées et peu compatibles avec l’Etat de droit.

La tonalité du film -et son « succès »- est un symptôme certain de la dérive sécuritaire, pour ne pas dire plus, d’une partie du monde politique et intellectuel, y compris issu de la gauche, devant la violence urbaine mondialisée.

Dans ce contexte global, l’accueil du film en France en septembre 2008 ne manque pas d’intérêt. « Apologie de la force pure », «  refus viril de la moindre pensée » pour Le Monde. « Hachis parmentier mental pour tous les nostalgiques des dictatures sud-américaines » pour Libération. Dans ce pays où la politique sécuritaire semble bénéficier d’un consensus politique large les images et le discours de Padhila feront peut-être l’effet d’un choc salutaire. Voici donc jusqu’où peut nous mener la logique de guerre contre les banlieues et les quartiers populaires ? Troupe d’élite » est-il, tel le portait de Dorian Gray, ce miroir grimaçant de l’âme de ceux qui le regardent ?

Août

32. Notting Hill a perdu de son charme.

Le Carnaval de Notting Hill est le deuxième Carnaval mondial après celui de Rio. Il se déroule en août et a réuni 850 000 personnes dimanche 24 et lundi 25 août 2008 Le thème de cette année, lié à la venue des JO à Londres en 2012 était « Welcoming the World ». Ce Carnaval est installé dans le quartier de Notting Hill depuis 1964 mais existe depuis 1959. Il avait alors été lancé par des habitants de Londres issus de l’Empire colonial britannique, notamment des Caraïbes, pour répondre aux émeute racistes de 1958.

Cette année la fête s’est terminée dans l’affrontement. Plus de 300 personnes ont été arrêtées après plusieurs heures de face à face entre des jeunes londoniens et les forces anti-émeute. La police londonienne a été confrontée à des groupes très mobiles et à des jets de pierres et de bouteilles.

C’est la première fois depuis plus de 30 ans que ce carnaval connaît de telles scènes d’émeutes. Scotland Yard avait pourtant bien fait les choses et s’était préparé depuis le mois de Mai : lettres d’avertissement aux potentiels « fauteurs de troubles » repérés (200 environs), perquisitions préventives. Rien n’y a fait.

La condamnation de la « petite minorité de personnes déterminées à en découdre et à provoquer des incidents » (commissaire Jo Edwards), est bien sûr unanime. L’incapacité à en expliquer la cause est tout aussi unanime. Faut-il rappeler à tous que l’origine du Carnaval est subversive, que depuis ses origines la tradition du Carnaval se heurte à l’ordre social existant. S’il devient un spectacle consensuel, comment s’étonner que la tension déborde la fête ? Le bouillonnement humain et culturel des grandes villes de la mondialisation, bouillonnement que la politique officielle, dans tous les pays, a bien du mal à traduire, s’exprime comme il peut. Et de plus en plus.

31. Le Québec aussi a ses banlieues

Samedi 9 août 2008, soir, Dany Villanueva jouait aux dés avec son frère et un groupe d’amis dans le stationnement du parc Henri-Bourassa quand deux policiers du poste 39, à Montréal-Nord, sont intervenus. Aucun membre du groupe n’était armé, selon divers témoins. Dany Villanueva raconte : « un policier m’a pris la main et m’a plié le bras, Il m’a lancé sur le capot de l’auto. Quand j’ai réussi à me dégager, le policier m’a pris par la gorge. Il m’a jeté par terre et l’autre policier a mis ses genoux sur mon dos.» «Mon frère s’est approché, il a dit: «qu’est-ce que vous faites?». Bousculade. Freddy Alberto Villanueva, 18 ans tombe alors sous les balles d’un policier. Le lendemain une petite manifestation improvisée d’une cinquantaine de personnes marche sur le boulevard Maurice-Duplessis pour dénoncer l’intervention policière. La marche tourne à l’émeute. Huit voitures, appartenant pour la plupart à des pompiers, ont été incendiées, des abris d’autocar détruits, des commerces pillés et des coups de feu tirés dans le quartier « Montréal-Nord ».Trois policiers ont été blessés, dont un touché par balle à la jambe, ainsi qu’un photographe. Dès le lendemain, Youtube nous offre un visuel très parlant, comme une impression de déjà vu.

La presse, le monde politique canadien n’en reviennent pas : la banlieue n’existe pas qu’en France !  Le discours sécuritaire non plus : la stigmatisation des délinquants, des bandes, des jeunes issus de l’immigration n’a rien à envier aux diatribes entendues de l’autre côté de l’Atlantique.  «Ce n’est pas un conflit entre Blancs et Noirs, c’est un conflit entre les jeunes de Montréal-Nord et la police»,  répondent les manifestants du 10 août. « On sait qu’il y a du racisme. Aujourd’hui, on veut de la justice.» ajoute la sœur de la victime.

30.   La fin des squats berlinois

Mauvaise saison pour les squats berlinois. La ville alternative qui avait trouvé un moment un espace inespéré avec la fin du mur connaît aujourd’hui la loi de la spéculation foncière. En juin, en quelques jours, plus de cent voitures ont brûlé et plusieurs vitrines ont volé en éclats. Fin mai , il avait déjà fallu 550 policiers pour contenir la colère de manifestant

s d’extrême gauche rassemblés devant le Köpi, ex siège des syndicats de la RDA et squat emblématique de l’est de la ville, aujourd’hui menacé.

La fin du Tacheles, Orianenburgstrasse, est programmée. La projection sauvage sur l’immeuble d’en face est arrêtée depuis un an. L’ancien grand magasin va retrouver sa vocation première dans de nouveaux murs et un nouveau look. Kulturbraierei a été ripoliné et aseptisé.

En sera-t-il de même du Köpi ? C’est après la chute de la RDA que des bandes d’alternatifs ont jeté leur dévolu sur le n°137 de la Köpenicker Strasse. Dans un terrain vague attenant s’étale un campement hétéroclite de caravanes et de baraques de fabrication artisanale.

Le Köpi a trouvé un acheteur qui a chargé des « émissaires » albanais d’intimider les squatters priés de quitter les lieux. Assistés d’un avocat, les habitants ont négocié un bail illimité pour les logements avec  un loyer presque Exit le projet d’appartements de standing. Mais que restera-t-il de l’esprit du Köpi ainsi «légalisé» ? En 1992, Berlin compte plus de 100 squats. Il n’en reste plus que deux ou trois véritables comme le183 de la Brunenstrasse,  ù se trouve le Umsonstladen, «le Magasin pour rien bric-à-brac d’objets gratuits, livres, évier, patins à roulettes, vêtements, vaisselle, voire des meubles .Les squats ont tenus tant que la pression foncière (et spéculative) était restée très en deçà de ce qui se passe dans les autres métropoles d’Europe. Le réveil est brutal.

Juillet

29. Urbanisme social ou guerre aux bidonvilles ?

Les gouvernements marocain et algérien ont déclaré la guerre aux bidonvilles. « L’éradication » est le maître mot. Le journal el Watan du 5 juillet présente le programme assorti de 3000 constructions pour la ville d’Annaba (Algérie). Il souligne au passage la volonté des autorités de « faire évoluer les mentalités ». En effet poursuit El Watan, « l’expérience a montré que certains mal-logés ont bénéficié d’appartements neufs, qu’ils ont vendus pour regagner, de nouveau, les bidonvilles. ». Le wali (préfet) promet une lutte sans merci contre ceux qu’il qualifie de « marchands de la misère ». On comprend assez vite qu’il s’agit pas de logements en accession à la propriété que l’ont convie (oblige) les habitants des bidonvilles à acheter. Que voulez-vous : les pauvres ne sont pas des pigeons dociles de la spéculation foncière…

C’est bien le problème posé par l’opération « ville sans bidonville » au Maroc. Le journal Le Matin du 11 juin dévoile le problème. On comprend vite à la lecture que « l’accompagnement social » dont se soucie le rédacteur consiste à faire participer les habitants aux opérations de recasement et de relogement et des mécanismes de financement. Une « Maîtrise d’ouvrage social (MOS) » est mise en place pour informer les « bidonvillois » et les assister dans toutes les étapes du transfert des baraques vers les nouveaux lieux de vie. Et alors, quelle surprise, « les personnes qui disposent des moyens économiques vont rapidement monter acquitter leur participation financière, démolir leur baraque et bâtir leur nouveau logement. ». Mais il reste des personnes « récalcitrantes », « des familles en situation de grande précarité » et « un seuil incompressible de personnes «insolvables absolue ».

« La dimension financière du côté des habitants est donc centrale. » conclue le journal à qui on a envie de répondre : essayer les « subprimes » !

28. Emeutes : l’internationale du web

C’est devenu une habitude : partout ou des gens, jeunes ou moins jeunes se lèvent contre l’injustice et affrontent les forces de l’ordre, il y a quelqu’un pour filmer quelques minutes de ce surgissement vital ou de la répression qui suit et quelqu’un pour mettre ces images sur le web, essentiellement sur Youtube et Dailymotion.

Des révoltes géographiquement isolées comme celle des habitants de Rédeyef dans le sud tunisien qui dure depuis janvier, ont pu ainsi garder un lien permanent et vivant avec le reste du monde. Ca a été le cas des émeutes dans le Guizhou en Chine en juin, ou dans celui des émeutes qui ont secoué Oran après la défaite du club de Football comme celles qui ont secoué Montréal au Canada après la victoire de l’équipe de Hockey.

Au Maroc ce fut le cas des émeutes de Sefrou en 2007. Récemment les internautes ont ainsi pu suivre comme s’ils y étaient, les émeutes de Berriane ou Chlef (El Asnam) en Algérie ce printemps, les affrontements racistes d’Anderlecht en Belgique, les violences de Oulan Bator en Mongolie

Le cas le plus spectaculaire est sans doute celui de cette petite ville portuaire du sud marocain, Sidi Ifni. Début juin, un mouvement social, des chômeurs qui bloquaient le port, a été réprimé avec une rare violence par des forces de police arrivées par la terre et par la mer. Toutes les maisons ont été visitées et dévastées. On cite des cas de viols. Une polémique est en cours sur le nombre de mort éventuels. Une commission parlementaire a été nommée. Mais pour en arriver là, il a fallu surmonter les mesures préventives des forces de police qui, pour s’assurer silence et impunité, ont immédiatement confisqué tout ce qui ressemblait à un portable ou à internet. En moins de 24 heures, néanmoins, les images accusatrices étaient sur la toile générant scandale et mobilisation de solidarité.

27. Weng’an banlieue chinoise

Une jeune fille a été violée. On le retrouve noyée. Elle a, à l’évidence, été torturée. Sa famille qui porte plainte et accuse des notables locaux est l’objet de menaces, de pressions, puis de violences. L’oncle de la jeune fille est violement battu pas la police et meurt à l’hôpital.

Le scandale éclate. Le mensonge éhonté des autorités qui nient les faits et l’évidence est insupportable. La population d’émeut. Une manifestation qui rassemble plusieurs milliers de personnes tourne mal. Les affrontements avec la police dégénèrent. Des voitures brûlent. Le commissariat est incendié. Dans les heures qui suivent des images circulent par Youtube dans le monde entier.

Où sommes-nous ? Au coeur de la banlieue française, à Villiers le Bel ou Clichy sous bois ? Dans une de ces villes du Maghreb secouées par tant d’émeutes au cours de ce printemps ? En Amérique latine ? Non : nous sommes en Chine dans la province méridionale du Guizhou, ville de Weng’an.

De cet événement que les médias français se sont empressés de mettre à leur Une, on peut tirer plusieurs leçons. La première est que la problématique de la banlieue et de l’émeute comme face à face violent du peuple et de l’Etat, n’a pas de frontière. On le savait et ça se confirme : la banlieue est aujourd’hui mondiale

La seconde leçon est que décidément, dans ce face à face, la vidéo amateur a maintenant un rôle de premier plan, nous y reviendrons.

La troisième leçon est que décidément les médias voient ce qu’ils veulent. Aveugles lorsqu’il s’agit des exactions policières en Europe, ignorante lorsqu’il s’agit du Maghreb mais grande âme scandalisée quand il s’agit de la Chine. Avec un fil rouge : ils ne se soucient en fait du sort ni des banlieues européennes, ni des bidonvilles du Maghreb, ni du peuple chinois.

26. La banlieue reste … périphérique

On l’avait presque oublié ! Après de multiples retards, chausse-trappes et contre-ordres, le « Plan banlieues » de Fadela Amara, secrétaire d’Etat du gouvernement français a été enfin présenté.

Où est passée l’ambition affichée du candidat à la présidence Nicolas Sarkozy ? Il ne reste qu’une politique de « ciblage » vieille comme la politique de la ville. Les moyens seront concentrés sur une centaine de quartiers « les plus difficiles ». Heureusement car le milliard d’euros annoncé dont les recettes ne sont pas vraiment assurées est un peu chiche au regard des problèmes soulevés. Quand à la création d’emplois, autant les concentrer aussi puisqu’il s’agit en fait de l’objectif prodigieux de… 45.000 emplois en trois ans.

Il est vrai que les caisses ne sont plus très pleines après le cadeau de 15 milliards d’euros fait aux contribuables les plus favorisés par le « bouclier fiscal » qui fut une des premières mesures du nouveau pouvoir.

Quant au premier ministre, il présente comme une « grande nouveauté » le Conseil interministériel des villes qui ressemble à s’y méprendre à tout ce qui a existé depuis 27 ans. Le « changement radical » qu’il annonce dans l’appréhension des problèmes ne bouleversera pas ceux suivent les hauts et les bas d’une politique de la ville inventée au début des années 80 et qui fut toujours dérogatoire au droit commun et pauvre en moyens financiers.

Pendant ce temps, la nouvelle législation vide de son contenu l’application de la loi SRU qui obligeait un pourcentage de 20% de logements sociaux dans les communes de plus de 3 500 habitants, la surveillance militaire des quartiers s’organise et l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine continue de dépensent sans compter pour … détruire les logement sociaux.

Décidément, la « banlieue » reste le nom de la relégation des classes populaires et du mépris du pouvoir.

Juin

25. Le respect ou la mort

A la mi-juin, trois jeunes habitants de la favela del Morro da Providencia au centre de Rio de Janeiro, David Wilson Florêncio da Silva, Wellington Gonzaga da Costa Ferreira et Marcos Paulo Rodrigues Campos, 24, 19 et 17 ans, rentrent chez eux. A l’entrée du quartier, ils sont contrôlés par une patrouille de militaires chargés de protéger le chantier « Ciment social », destiné à rénover des masures délabrées et financé par le gouvernement fédéral.

Ils protestent et s’attirent une accusation qui traverse les frontières : «manque de respect», équivalent de « l’outrage » qui a autorisé tant de condamnations en France ces dernières années. Ils sont arrêtés et conduit à la caserne où, semble-t-il le capitaine estime qu’il faut les relâcher. La patrouille et son lieutenant en décident autrement. Ces jeunes, selon eux méritent une « correction ». Emmenés dans une autre favela qui domine Providencia, les trois jeunes sont livrés à une bande rivale. Leur corps seront retrouvés le lendemain.

Cet épisode impliquant onze militaires achève de détruire ce qui restait éventuellement de confiance dans les institutions. Dressée face aux narcotrafiquants qui dominent nombre de quartiers, la police apparaît souvent autant comme une menace que comme une protection, soupçonnant tout le monde et tirant sans discernement. Les milices composées de policiers oeuvrant pour leur compte, imposent la loi de la force et du racket. Elles se sont illustrées il y a un mois par la séquestration et la torture de trois journalistes du quotidien O. L’escadron d’élite de la police militaire BOPE sème la terreur et la mort. Il ne restait que l’armée fédérale qui, selon un récent sondage, figurait en tête des institutions les plus appréciées par les Brésiliens. La voici qui instaure la peine de mort pour « manque de respect ».

24. France : les voitures brûlent à nouveau

Samedi 14 juin, le quarter quartier Rome-Saint-Charles de la petite ville de Vitry Le François (17 000 habitant), dans le département de la Marne, a connu une nuit de folie.

Une cinquantaine de voitures ont été incendiées, la gare a été saccagée ainsi qu’un local de l’office HLM. Dès qu’ils ont été sur les lieux, gendarmes et pompiers ont été pris à partie ainsi que sept de leurs véhicules.

Au départ de cette explosion de colère, une dispute entre deux jeunes, vers 21 heures, dans une cité de l’autre côté de la ville. Pour une raison encore obscure, un jeune homme sort un revolver et tire. Un autre, touché à la tête s’effondre. Il meurt quelques heures plus tard.

Un événement similaire avait déjà causé un émoi considérable dans la ville de Saint-Denis il y a quelques semaines. L’explosion de colère qui avait alors été évitée se déclenche ici sans préavis dans le quartier Rome-Saint-Charles où habitait la victime. Une explosion d’une grande violence, comme « aveugle » diront nombre de témoins. Ou simplement aveuglée par le désespoir devant la mort toujours scandaleuse d’un jeune de vingt ans.

A qui s’en prendre ? Le meurtrier a disparu (il a depuis été arrêté).

On s’en prend alors au silence. Au silence persistant des politiques concernant le sort réservé au quotidien à une jeunesse que les pouvoirs stigmatisent et persécutent alors qu‘il faudrait la protéger. Au silence des médias qui ne semble voir ces quartiers populaires, et en parler, que lorsque la mal-vie atteint son paroxysme et sombre dans le drame. Au silence forcé des victimes privées de toute légitimité de parole pour clamer leur colère et leur dignité bafouée.

L’émeute alors, comme partout, est une révolte muette contre le silence.

La même semaine, l’examen du fameux « Plan Banlieue » du gouvernement a encore été repoussé.

23. Les banlieues : un danger pour la sécurité nationale ?

La France réfléchit sur sa défense ; Un « Livre blanc » est présenté au gouvernement à la mi juin. Un des premières conséquences est la création d’un « Conseil de défense et de sécurité nationale ». Inopinément, un nouveau concept de défense est né, la Sécurité Nationale, qui abolit la frontière entre défense et sécurité. Pour l’Etat français, comme pour d’autres, depuis la fin de la Guerre froide, mais surtout depuis le 11 septembre 2001, nous vivons dans un monde globalisé dans lequel les menaces ne s’arrêtent plus aux frontières. En conséquence la distinction entre sécurité intérieure et extérieure a perdu de sa pertinence. Les deux se réunissent dans l’idée de Sécurité Nationale.

Cette idée à des racines déjà anciennes : l’arsenal militaire contre le terrorisme a été modernisé dès 1995 en France avec Vigipirate qui a habitué les français à la présence des uniformes et des fusils mitrailleurs dans toutes les grandes gares. Pour faire face aux émeutes de 2005, le gouvernement avait déjà mobilisé une loi sur l’Etat d’Urgence datant des guerres coloniales. L’investissement militaire de la petite ville de Villiers le bel après les émeutes de l’automne et la surveillance des quartiers par des avions espions (les drones) avaient parachevé cette dérive.

Ce qu’il y a de nouveau avec le concept de sécurité nationale, c’est la théorisation politique de la pratique policière déjà à l’œuvre. On sait que le maintien de l’ordre dans les quartiers populaires se réfléchit déjà en terme de stratégie et de matériel militaire. Il ne restait plus qu’à justifier ces choix en englobant les banlieues dans le champ des menaces relevant de la sécurité nationale. Et nous sortons de l’Etat de droit pour entrer dans l’Etat d’exception permanent.

22. Obama vu de banlieue

Dans une vielle Europe crispée face au Monde, marquée par la déroute de la gauche en Grande Bretagne et en Italie, par son atonie persistante en France, par la montée des haines, de la xénophobie, le nouveau monde ferait-il encore rêver ?

Faute d’alternative crédible à la politique répressive et raciste du gouvernement français, le sénateur de l’Illinois semble suscite l’engouement en France, notamment dans les banlieues où sa candidature peut-être chargée d’une très forte symbolique et devient un sujet de discussion pour la jeunesse populaire…

Parce qu’il est jeune ? Parce qu’il est depuis le début contre la guerre en Irak ? Parce que le monde du Rap se mobilise en sa faveur outre Atlantique ? Sans doute. Mais l’essentiel n’est pas là. L’essentiel est que du cœur de l’Empire mondial vient un signe qui vaut plus que tous les programmes : un noir peut postuler aux plus hautes fonctions politiques de la planète.

Parce qu’il est noir, nous dit Louis-Georges Tin, porte-parole du Cran (Conseil représentatif des associations noires de France), il est un peu « le candidat d’une mondialisation différente ». « Après tout, ajoute-t-il, ses origines traversent l’Afrique, Hawaï, l’Indonésie, les Etats-Unis, donc ce n’est pas le candidat des noirs, c’est le candidat du monde».

Cette « mondialisation par en bas », cette mondialisation qui fait que des jeunes français, Noirs ou Maghrébins, ont une tante, un cousin, à New York, à Miami ou à Atlanta, cette mondialisation persécutée au nom du « contrôle des flux migratoire »s en France, en Italie, gagne d’un coup visibilité et légitimité : avec une sœur indonésienne et une sœur kenyane, Barack Obama appartient aussi à cette « génération monde » dont les rêves et l’énergie dépassent de loin le cadre des banlieues.

Mai

21. Violence raciste à Bruxelles

Le 23 mai au soir, dans la banlieue de Bruxelles dans la commune d’Anderlecht, métro Saint-Guidon, commencent des échauffourées fort peu sympathiques. A l’appel d’un blog d’extrême droite qui aurait invoqué la « nécessité » de « venger un viol », des « supporters du RSCA Anderlecht », le club de football, s’en prennent violemment aux enfants et aux femmes âgées d’origine « visiblement » étrangère. Autrement dit à tout ce qui ressemble de près ou de loin à un arabe de préférence sans défense.

Ces attaques avaient des précédents dans la semaine. Elles faisaient suite à une bagarre qui avait eu lieu le dimanche précédent après la finale de la Coupe de Belgique de football entre des supporteurs de ce club et des jeunes du quartier, autour du stade Constant Vanden Stock. d’Anderlecht.

L’affrontement tourne à la bataille rangée. 400 à 500 personnes de chaque côté et une police débordée entre les deux. Un abribus a été détruit, plusieurs voitures ont été endommagées et des vitrines de magasins, cassées. Quatre stations de métro de la ligne 1B ont été fermées. Des policiers ont été blessé. Plus de 190 personnes ont été arrêtées.

Scène de racisme ordinaire qui nous rappellent, outre la détestable flambée de violence xénophobe en Afrique du sud, les émeutes anti-kurdes à Bruxelles à l’automne ou les émeutes racistes d’Utrecht dans la même période. Le conseiller communal André Drouart, comme président du Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie (MRAX), Radouane Bouhlal, s’est interrogé publiquement sur les raisons pour lesquelles 193 arrestations sur 194 avaient concerné des jeunes d’origine étrangère. Dans une violente agression raciste, c’est évident, on commence par arrêter les victimes…

20. Des banlieues françaises aux « periferias » du Brésil

Qu’y a-t-il de commun entre la ville de Nanterre où a commencé le mouvement de mai 1968, l’université de Paris 8 (représentée par l’auteur de ces lignes), née à la suite de ce mouvement, une université (l’ULBRA) de l’agglomération de Porto Alegre au Brésil, berceau du Forum social mondial, la communauté d’agglomération Plaine-commune (autour de Saint-Denis dans le département du 93 en France) dont le président Patrick Braouezec est un des animateurs du Forum des autorités locales et le Forum social des « periferias » de la petite ville de Pelotas, banlieue de Porto Alegre ?

Ce qu’il y a de commun c’est la volonté de travailler ensemble, universitaires, élus, militants du mouvement social, pour comprendre les enjeux sociaux des métropoles mondialisées et construire des outils de gouvernance solidaire. Cette idée de « métropoles solidaires » dans lesquelles les banlieues seraient « au centre » comme une exigence démocratique et populaire est au coeur du réseau du « Forum des autorités locales de périphérie » animé par la ville de Nanterre.

C’est dans cet esprit, avec cette volonté de connaissance et d’action que ces Universités, ces villes, ces militants, ont fondé ensemble, le 15 mai à Canoas, dans la banlieue de Porto Alegre, un Observatoire Franco Brésilien des villes de Périphérie.

L’annonce en a été faite dans les locaux universitaires de l’ULBRA mais aussi, très symboliquement, la vielle, dans les locaux du Club Social d’Alvorrada, la ville la plus pauvre de l’agglomération de Porto Alegre, devant les militants des mouvements sociaux. Car il s’agit bien de construire, de part et d’autre de l’Atlantique, un Observatoire non pas seulement « pour » les banlieues mais surtout « avec les banlieues », sans lesquelles il n’y aura pas d’autre monde possible. Quel meilleur endroit que Porto Alegre pour réaffirmer cette idée ?

19. « Mani sulla città » remasterisé ?

Depuis plusieurs années en France, l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine (l’ANRU) finance largement des opérations de destruction du logement social au nom du mieux vivre des habitants des quartiers populaires. La reconstruction et le relogement sont prévus. Mais ni le financement du logement social, ni le prix du terrain ne sont les mêmes qu’avant et les nouveaux logement sociaux ont des loyers bien plus élevés que les anciens. Une des conditions pour bénéficier de ces subventions : faire rentrer dans le marché foncier une partie des terrains dégagés. La rénovation urbaine est ainsi le moyen de « rendre au marché », donc aux promoteurs et aux spéculateurs fonciers, des terrains à bas prix sur lesquels les profits peuvent être énormes.

Quand on est averti de l’expérience française on ne peut que regarder avec beaucoup de suspicion la politique « ville sans bidonville » lancée en 2004 par le gouvernement marocain et son ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de l’Aménagement de l’Espace, Taoufiq Hjira. Il s’agit ici « d’éradiquer des bidonvilles » et de reloger leurs habitants… ailleurs. Objectif apparemment louable. L’opération présentée en avril 2008 à Tanger devant la presse spécialisée française par Taoufiq Hjira, s’intègre, selon ce dernier, dans une volonté de « dynamiser le secteur de l’immobilier » et de valoriser le « marché » marocain dans la perspective du Salon de l’immobilier marocain (Smap-Immo-Paris 8-11 mai 2008). On peut légitimement s’inquiéter.

Rappelons que le 1 juin 2007, un bidonville de Bombay de 214 hectares abritant 800000 personnes a été mis à prix à 1.9 milliards d’euros dans les journaux de 16 pays.

Dans le « pire des mondes possibles » (Mike Davis), les pauvres sont devenus un marché colossal. « Mani sulla città » est devenu « Mani sulla città-mondo »

18. L’Algérie … dans l’indifférence

Dans l’indifférence générale des médias occidentaux, les villes algériennes connaissent depuis plusieurs semaines des émeutes à répétition dont nous nous sommes déjà fait l’écho. Berriane (47 000 habitants) et Ghardaïa (100 000 habitants) fin mars : un mort. Tiaret (170 000 habitants) et le village voisin de Biban Mesbah début avril. Gdyel (37 000 habitants) une semaine plus tard. Chlef (165 000 habitants), trois jours durant fin avril. Ksar el Boukhari (62 000habitants) le 2 mai. La liste n’est peut être pas close.

Comment interpréter cette indifférence persistante ? Il ne s’agit pourtant par d’expression de colère marginales dans des villages isolés mais bien d’explosion de la jeunesse dans des centres urbain moyens ou importants. Des routes sont bloquées, des bâtiments publics saccagés… La ville de Chlef est transformée en champ de bataille trois jours durant.

Et la répression, comme ailleurs, s’abat brutalement sur ces jeunes en colère : plus de 120 arrestation à Gdyel, « des dizaines » à Chlef, 35 dès le premier jour à Ksar El Boukhari. Les condamnations judiciaires suivent.

Ces émeutes ne sont pas des émeutes de la faim telles qu’en ont connues l’Egypte, le Cameroun, le Burkina Faso, Haiti ou plus récemment la Somalie, qu’on avait déjà un peu négligées durant quelques semaines. Non. Ce sont des émeutes de la mal-vie, des émeutes de colère devant la corruption des pouvoirs publics, les décisions administratives arbitraires qui privent des jeunes précaires de leur seul moyen de subsistance, des émeutes contre les exactions de la police envers la jeunesse, contre l’incurie des politiques publiques en matière de logement qui voient se pérenniser les bidonvilles et les abris provisoires comme ceux construits pour les victimes du tremblement de terre de 1980. Des émeutes contre les dénis du droit… Est-ce parce qu’elles nous parlent trop à nous Européens, que justement, nous avons préféré, durant toutes ces semaines, les passer sous silence ?

Avril

17. Appartements libres à squatter de suite

Depuis début avril, un prospectus circule dans Shoreditch et sur les sites alternatifs anglais. A première vue rien ne le distingue du matériel habituel d’une agence immobilière : photos et description, chaque offre de logement est détaillée. Il ne manque que le prix de vente ou de location. La raison en est simple : il s’agit du prospectus de l’agence immobilière spécialisée dans le squat qui a ouvert ses portes ce samedi 12 avril à Shoreditch, un quartier populaire et de l’Est de Londres en proie à la spéculation immobilière. Une façon de marquer ici la journée internationale des lieux alternatifs et des squats. L’affaire est très sérieuse et témoigne de l’inventivité et du dynamisme du mouvement alternatif en Grande Bretagne.

Il ne s’agit pas d’un canular du style de l’opération espropriproletari.com, montée il y a trois ans en Italie par les activistes de « Guerriglia Marketing ». Le site proposait aux grandes surfaces de recourir à des commandos pilleurs de magasins pour renforcer la notoriété de leurs enseignes grâce à l’écho médiatique suscité par l’événement.

« L’agence des squats » a bel et bien inauguré ses bureaux. dans un local squatté à Bowl Court. Elle offrira les services de conseillers sanitaires que juridiques. Elle s’appuis sur la longue expérience du London autonomous spaces movement et de l’Advisory Service for Squatters créé en 1975 qui compte des centaines de membres et publie aussi le Squatters’ Handbook (un guide de référence pour tous les squatters).

Initiative marginale ? Sans doute. Mais initiative à méditer quand la spéculation financière entraîne toutes les métropole vers une hausse sans fin des loyers et du foncier et nombre de leurs habitants vers ce « pire des mondes possible » décrit par Mike Davis : les bidonvilles et les squats qui se multiplient aujourd’hui.

16. L’oncle Sam et les banlieues françaises

Rencontre improbable : dans un luxueux appartement du XVI° arrondissement de Paris, Lora Berg, attachée culturelle de l’ambassade des Etats-Unis en France reçoit pour un petit déjeuner de travail des élus de Clichy sous Bois et Villiers le Bel. C’est respectivement de ces deux communes que sont parties les émeutes d’octobre novembre 2005 et 2007. Elle veut leur vendre un projet : faire chez eux ce qui a « réussi » à Philadelphie : repeindre les immeubles de la ville avec le concours des habitants et bien sûr des artistes de renom. Lora Berg a des arguments irréfutables : l’ambassade assure tous les frais de l’opération.

Cette information, dévoilée par le journal « le Parisien » le 21 avril est la partie visible d’une politique menée par les USA en direction des banlieues françaises depuis les émeutes de 2005 : invitation à l’ambassade et voyages d’étude pour des présidents d’association, rencontre « de terrain » de Dan Fried secrétaire d’Etat américain aux Affaires européennes en visite en France cet hiver… Des lycéens et collégiens du « 93 » (département symbole de la banlieue parisienne) ont même été invités à dîner par l’ambassadeur Craig Robert Stapleton et son épouse dans les luxueux locaux de la rue du Faubourg-Saint-Honoré !

Le monde politique français, de droite comme de gauche, qui ne voit dans ses banlieues qu’une source de désordres sociaux et d’ennuis politiques en tout genre ne comprend pas l’origine de cette sollicitude. Il aurait sans doute intérêt à rapprocher cette sorte de « plan Marshall » souterrain avec l’intérêt croissant du patronat français pour ce qu’il considère, lui, comme une pépinière de talents et d‘énergies. Il serait temps de prendre cette affaire au sérieux c’est-à-dire, à l’instar du Capital, de prendre au sérieux le peuple urbain des périphéries métropolitaines.

15. Algérie : l’émeute ou la « harga »

L’odeur de pneus brûlés et des édifices incendiés couvrait encore, mercredi 16 avril au matin, la localité de Gdyel, près d’Oran. Scènes d’émeutes, scènes de « banlieue » : la presse algérienne du lendemain matin reste interloquée devant cette explosion de colère..

La colère est jeune et elle n’est pas muette : « nous mettons en cendres les édifices d’un Etat qui ne nous écoute pas. Notre colère est contenue depuis des années. Que faire lorsque les hauts responsables de l’Etat, vous qualifient de jeunes irresponsables qui préfèrent quitter leur beau et riche pays pour aller se jeter dans la mer ? »

A Gdyel, l’étincelle est venue d’une attribution peu transparente de nouveaux locaux commerciaux alors qu’une partie des commerces permettant aux jeunes chômeurs de survivre sont systématiquement l’objet de persécution, amendes et saisie de marchandise.

Mais d’autres revendications émergent : « Nous voulons que cesse notre marginalisation, qu’on nous donne ce qui nous revient de droit et qu’on cesse de nous faire la morale concernant la « harga » (l’immigration) » Ici on appelle « harraga » ces jeunes qui se jettent dans l’aventure d’une dangereuse traversée vers l’Europe. Beaucoup échouent. Nombre d’entre eux y trouvent la mort.

La 9 avril, c’est à Tiaret, toujours dans la région d’Oran, que la colère avait éclaté après la noyade de 13 de ces jeunes. Plus de la moitié venaient de la localité où des centaines de jeunes ont déjà tenté la « Harga ». Un ministre venu sur place a été pris violemment à partie et il a fallu faire intervenir la gendarmerie nationale pour lever le blocage de la nationale 23.

Un Etat qui ne respecte pas sa jeunesse, qui préfère la répression et les leçons de morale à l’écoute, une presse qui ne « comprend pas » la colère des émeutiers : l’Algérie est-elle vraiment exceptionnelle ?

14. Agata et le BOPE

Agata Marques dos Santos avait 11 ans. Le 15 février une balle perdue dans un affrontement entre 200 policiers et des trafiquants l’a mortellement blessée. La scène se passe à Rocinda, favelas de Rio de Janeiro. Deux jours plus tard 2 000 personnes l’ont accompagnée au cimetière Sao Joao Batista. La colère monte. La police s’obstine à démentir l’évidence sur l’origine du tir.

Depuis de début de l’année, c’est la 6° victime enfantine de la guerre urbaine dans les favelas de Rio où habitent 300 000 personnes. Et la quatrième à mourir. Les autres avaient 3, 6 et 11 ans. Car si les trafiquants ont la gâchette facile, la police aussi. Dans l’Etat de Rio de janvier à septembre 2007, la police a tué 1 300 personnes dans des opérations de ce type. Les enquêtes débouchent rarement sur un procès quand la police est en cause.

Sergio Cabral, gouverneur de l’Etat de Rio, a déclaré la guerre aux trafiquants. Et ici il ne s’agit pas d’une clause de style. Le bras armé de cette politique est issu du Bataillon des opérations policières spéciales (connu sous le nom de BOPE) né en 1978 et qui dispose d’un armement lourd et mis en scène par José Padilha dans Tropa de elite, Ours d’or au festival de Berlin de 2008.

Un rapport américain de 2004 sur les « exécutions extrajudiciaires » affirme la responsabilité du BOPE dans l’assassinat de quatre jeunes gens prétendus « trafiquants ayant résisté à l’arrestation ». : Amnesty International, en mars 2006, a condamné l’utilisation du Caveirão, engin blindé spécialisé dans ces opérations.

Mais cette police d’élite reste fière de son action et de ses devises « Força et Honra », « Va er Venca ». Elle se met en scène sur son site (http://www.boperj.org/ ) différent de celui de la police militaire de Rio et a fêté dignement son 30ème anniversaire (http://extra.globo.com/geral/fotogaleria/2008/4286).

Trente ans déjà. Agata, elle, ne fêtera pas son douzième anniversaire.

13. Partout, des frontières au cœur des villes

La ville dont il est question est celle qui attire le plus de migrants du continent africain. Dans certains quartiers du centre-ville, près de la moitié des habitants sont immigrés. Les nouveaux, y sont confrontés à la méfiance de la population locale ainsi qu’à un accès limité aux services publics de base.

La Constitution du pays reconnaît l’accès aux soins de santé comme un droit pour « tous ». En réalité, cet accès est limité les sans papiers. Ici les établissements de santé publics sont obligés de prodiguer des soins d’urgence à toute personne qui en a besoin. En outre, les immigrants en situation irrégulière peuvent subir un test de dépistage du VIH et recevoir gratuitement certains traitements de base contre les infections opportunistes. En revanche, lorsqu’il est question de thérapie antirétrovirale (ARV), le seul traitement permettant de prolonger la vie des personnes porteuses du VIH, ils sont éconduits.

Plus de 1 000 personnes sans-abri, des immigrants zimbabwéens pour la plupart, viennent passer la nuit à l’église méthodiste du centre-ville « La majorité d’entre eux sont séropositifs, certains sont très faibles. Je dois vous avouer que beaucoup de personnes sont mortes du sida», a déploré l’évêque. Le directeur de l’hôpital, a déclaré : « Quinze pour cent de nos patients sont étrangers, et leur nombre ne cesse d’augmenter, nous devons donc être vigilants. Dans toute l’Afrique, les systèmes de santé s’effritent, donc si nous annonçons que nous prodiguons des soins gratuitement, toute l’Afrique viendra ici », a-t-il estimé.

Les marchandises n’ont pas de frontière, les attitudes xénophobes non plus. Mais partout dans le monde, des frontières invisibles au coeur des villes séparent et opposent les hommes. La ville dont il est question ici est Johannesbourg, en Afrique du sud !

Mars

12. Guerre aux pauvres (suite)

Le dernier film du mexicain Rodrigo Pla, « La Zona, Propriété privée » se déroule dans un quartier « résidentialisé » de l’agglomération de Mexico. Autrement dit dans un quartier aisé transformé en forteresse par ses habitants qui ont élevé des murs et engagé des agents de sécurité privés pour se protéger des menaces de la pauvreté ambiante. Trois adolescents des quartiers pauvres avoisinants pénètrent dans l’enceinte de « La Zona », Ils s’introduisent dans une des maisons, mais le cambriolage tourne mal. Plutôt que de prévenir les autorités, les résidents décident de se faire justice eux-mêmes. Une chasse à l’homme commence… La traque est sans pitié et laisse à peine une lueur d’espoir dans la solidarité humaine.

Ce film n’est pas un film de science fiction. S’il se présente comme une allégorie de l’obsession sécuritaire des USA après les attentats du 11 septembre, il est d’autant plus inquiétant qu’il frôle le vraisemblable.

Mardi 18 mars à Esqualens dans la banlieue de Toulouse, en France, un jeune braque un boulanger avec un pistolet factice. Gazé à la bombe lacrymogène par la caissière il s’enfuit sans demander son reste.

Le patron de la boulangerie ne veut pas en rester là. Il prend son 4X4, traque le jeune, le retrouve, le coince contre un mur et le tue.

Commentaires d’internautes lus sur le site de Libé Toulouse qui donne l’info :

« Ce boulanger excédé a réagit, et c’est tant mieux, si toute les petites frappes pouvait penser aux conséquences que peuvent avoir leur actes ça serait pas un mal, mais sont-ils équipé pour (penser) ? »

« Pourquoi nos bonnes âmes de gôôôôche se manifestent-elles quand un jeune délinquant est tué, et jamais quand un boulanger (ou épicier, ou quelque autre personne travaillant normalement) est tuée, agressée, blessée, frappée par ces mêmes délinquants? »

La Zona de Rodrigo Pla est-elle vraiment une fiction ?

11. France : l’Etat de guerre ?

Quatre policiers blessés, dont un hospitalisé : c’est le bilan d’un braquage qui tourne au guet-apens le 2 mars à Grigny dans la banlieue parisienne, une ville où les armes avaient déjà parlé en 2005. En fait le braquage d’une boulangerie semble avoir servi d’appât à l’opération principale : attirer la police dans u guet-apens. Comme à Villiers le Bel après les émeutes de novembre 2007, la mobilisation de la police scientifique et l’appel à la dénonciation anonyme (rémunérée) a ouvert la voie à une descente musclée et massive des forces de l’ordre. Le ton monte entre les quartiers populaires et le pouvoir.

Le nouveau journal en ligne français Mediapart (http://www3.mediapart.fr/ ) révèle le 18 mars l’existence de deux rapports internes du Ministère de l’Intérieur qui analysent les faiblesses tactiques de la police dans la gestion des affrontements de novembre. L’un émane de la Direction Centrale de la Sécurité publique et l’autre, de la Direction Centrale des Compagnies Républicaines de Sécurité. Respectivement quinze et trente et une pages.

Leurs conclusions sont identiques. Pas d’entraînement, défaut de stratégie, défaut d’information, défaut de matériel… Bref beaucoup trop d’improvisation.

Les rapports font un certain nombre de préconisations : la création d’une brigade spécialisée, la dotation des troupes en nouveau matériel, notamment en matériel aérien ou en « flash-ball » plus performants, la renaissance des brigades motocyclistes dissoutes après la mort d’un manifestant, Malik Oussékine, en 1986, l’engagement systématique du « RAID »[1] (brigade sopécialisée dans l’intervention à haut risque), l’augmentation des stocks de munitions et l’élaboration de « dossier secteur » pour chaque quartier sensible.

Nous voici donc pleinement rassurés. A défaut de plan social et urbain ambitieux pour les banlieues, le gouvernement va se doter d’un plan militaire digne de ce nom. Qui a parlé de guerre aux pauvres ?


 

[1] « Recherche Assistance Intervention Dissuasion »

10. La banlieue est en Afrique

L’Europe débat de la vie chère. L’Afrique s’enflamme. D’après les dernières estimations officielles, les émeutes au Cameroun au mois de février ont fait quarante morts. Plusieurs grandes villes avaient connu de violents affrontement notamment la capitale économique, Douala (26 morts tombés sous les balles de la police). A l’origine de l’explosion : une grève illimitée lancée par les organisations syndicales des transporteurs urbains qui réclamaient une baisse du prix du carburant. La grève, très suivie, a ouvert les vannes de la colère contre la vie chère entre le 23 et le 28 février. La répression a été féroce. Début mars , quelque 200 personnes, en majorité des jeunes, sans assistance d’avocats, auraient été condamnées à 2 ans d’emprisonnement par le tribunal de première instance de Yaoundé.

A peu près au même moment, le coût élevé de la vie a donné lieu à des émeutes dans trois grandes villes du Burkina Faso. L’émeute a d’abord touché Bobo-Dioulasso, la deuxième ville du pays, le 20 février. Elle s’est poursuivie à Bobo le lendemain ainsi qu’à à Ouhigouya, la troisième plus grande ville, située à quelques centaines de kilomètres au nord de Bobo-Dioulasso, et à Banfora, dans l’ouest. Des édifices publics ont été détruits ou incendiés, notamment par des marchands et des commerçants, descendus dans la rue pour dénoncer la hausse des impôts et du prix des marchandises.

Début mars, c’est dans l’ouest de la Guinée, à Fria qu’après trois jours de coupures d’électricité, de violentes manifestations ont eu lieu.. Les manifestants s’en sont pris à des hôtels et aux domiciles d’expatriés travaillant pour une usine de transformation de bauxite, responsables selon eux des coupures d’électricité.

L’émeute urbaine deviendrait-elle l’une des nouvelles dimensions de la mondialisation ?

9. La Chine aussi…

La Chine a-t-elle ses banlieues ? La croissance urbaine en Chine défie aujourd’hui l’imagination et les sens des mesures et des échelles occidentales. On le sait en théorie. On l’imagine mal. Cette urbanisation se nourrit de prodigieuses dynamiques industrielles et de non moins prodigieux mouvements de population. La Chine est un monde à elle seule. Elle n’a besoin de personne pour connaître les tensions et les bouleversements humains de la mondialisation. Les immigrés en Chine sont chinois (d’une province lointaine). Les sans papiers en Chine sont eux-mêmes chinois mais résidents d’une ville sans permis de résidence.

Même si le contrôle de l’information ne laisse filtrer que quelques éléments, nous savons avec certitude que la Chine connaît aujourd’hui tensions sociales urbaines et émeutes en nombre respectable.

Trois morts et une trentaine de blessés en novembre à Chongqing à l’occasion de l’ouverture d’un magasin Carrefour. Dans la même ville en juillet, 10 000 personnes avaient manifesté contre l’arrestation d’un couple qui protestait contre les autorités accusées d’avoir trop tardé à transporter leur fils mortellement poignardé dans une rixe. Et comme souvent (ou comme partout) l’émeute se termine par la destruction de la voiture de police.

A Zhengzhou en juin, l’émeute étudiante avait eu comme point de départ l’arrestation arbitraire de deux jeunes par la police.

A Dongguan en 2004, accusé d’avoir volé une mobylette, un jeune travailleur migrant avait été battu à mort par la police dans la ville. Suite à cet incident, des milliers de personnes étaient descendues samedi dans la rue pour affronter les forces de police. Bilan non officiel de cette émeute de grande ampleur rapporté par la presse de Hongkong : 4 morts et une centaine de blessés.

Vous avez dit mondialisation ?

Février

8. Villiers le Bel : l’émeute criminalisée

Le 18 février 2008, sur la base de dénonciations anonymes payantes 100O policiers et on ne sait pas combien de journalistes investissent la petite ville de Villiers le Bel et opèrent une trentaine d’interpellations pour participation aux émeutes de novembre 2007. L’opération est impressionnante, menée comme une opération militaire. Tout a été mis en œuvre comme pour une enquête criminelle : examen de la vidéosurveillance, police scientifique, relevé d’ADN sur les canettes de bière…

L’émeute qui a suivi la mort toujours inexpliquée de deux jeunes en novembre est qualifiée juridiquement de « crime». On attend des condamnations « exemplaires ».

La presse critique la médiatisation de l’opération mais passe les images à l’envie. La Ministre dément la médiatisation mais ne convainc personne. La gauche dénonce l’opération qui stigmatise la ville et se demande si la banlieue n’attend pas autre chose…Mais un consensus semble régner sur le fond : « ce n’est pas bien de s’en prendre à la police, on ne peut quand même pas défendre des émeutiers ». Même lorsqu’on arrête chez lui comme un criminel au petit matin le frère de l’une des victimes.

Pas une voix, je dis bien pas une voix , n’a mis en regard la débauche de moyens déployés contre les supposés émeutiers et l’absence totale d’information donnée sur l’avancement de l’enquête sur la mort des deux jeunes Moushin et Larami, dont les noms ne sont même pas prononcés et qui restent les deux victimes avérées de ces journées,

Le pouvoir a clairement choisi ses ennemis : ce sont ceux- qui s’indignent, ceux que la douleur étouffe. La gauche, elle, reste silencieuse. Comme si la violence de cette répression ne concernait pas les libertés publiques. Comme si les victimes ne faisaient pas partie du peuple. Comme si tout cela se passait dans un autre monde : la banlieue sans doute.

7.Six jours d’émeutes au Danemark

Que s’est-il passé à Copenhague début février ? Peu d’agences de presse se sont fait l’écho des six jours d’émeutes qui ont embrasé plusieurs quartiers. Tout est parti dimanche 10 février de Norrebro, quartier déjà théâtre d’affrontements en mars et en octobre 2007 suite à la fermeture d’une maison pour jeunes autogérée, la Ungdomhuset. A Copenhague on compte 28 voitures incendiées, 35 feux de bennes à ordures et 14 de poubelles. Mais d’autres foyers de tensions sont apparus : à Arhus, dans l’ouest du pays, à Odense, où on signale le début d’incendie volontaire d’une école et en Zélande du Nord

Une certaine presse danoise a eu beau jeu d’y voir la « réplique islamiste » à une nouvelle publication de caricatures de Mahomet par 17 quotidiens du pays le 13 février. Mais l’exaspération qui a éclaté là a sans doute d’autres raisons.

Récemment la police a été autorisée à effectuer des recherches d’armes même en l’absence d’indices ou de soupçons. Elle a mené des opérations de type aléatoire dans des quartiers de Copenhague à forte concentration immigrée. Il s’agit notamment de Noerrebro et Vesterbro où ont justement démarré les émeutes. Nulle besoin de caricatures : les contrôles policiers au faciès systématiques ont suffi à souffler sur les braises et à lancer dans la rue des émeutiers de 10 à 12 ans pour certains.

Pourtant les autorités sont perplexes : « Nous ne savons pas exactement ce qu’il y a derrière ça », a déclaré à l’AFP Flemming Steen Munch, porte-parole de la police de Copenhague. Et comme il se doit le gouvernement a déclaré qu’il appliquerait la tolérance zéro contre les fauteurs de trouble. Plus de 55 personnes, âgées de 15 à 25 ans, ont été arrêtées, inculpées d’incendie volontaire et violences contre agents de la force publique. La routine de l’autisme politique ordinaire.

6. Guerres urbaines, guerre aux pauvres

Rio de Janeiro, 30 janvier au matin : une vaste opération de police commence dans deux favelas du nord de la ville Jacarezinho et Mangueira. Opération quasiment de routine dirigée contre les trafiquant de drogue, loin des mois de combats entre la police et les réseaux de celle d’Alemão au début de l’année. Les quartiers pauvres du sud deviennent des théâtres habituels de guerre urbaine. A l’Aube du 30 janvier on compte 9 morts selon les agences locales citant la police, « trafiquants présumés ». Dans la matinée, l’opération continuait et la police, prudente, prédisait un alourdissement du bilan. Mais de la réalité du bilan nous ne saurons rien en Europe. Silence des agences. Cette guerre là est bien lointaine.

12 février, à Paris, XIII arrondissement, 400 policiers sont mobilisés dans une opération d’une grande brutalité contre un foyer de travailleurs migrants. L’opération est présentée par les actualités télévisées comme une volonté de lutte contre les « marchands de sommeil » et l’habitat insalubre. Les journalistes joignent l’image à la parole. On a peu de peine à comprendre dans quelles conditions infâmes étaient logés ces travailleurs de l’ombre, ouvriers pour la plupart, soutiers de la mondialisation. On n’est pas loin des favelas de Rio au cœur de la capitale d’un des plus riches pays du monde.

Certes, ici il n’y a eu ni combats ni morts à déplorer. Juste une trentaine de portes ont été brisées. Mais ce ne sont pas les « marchands de sommeil » qui ont été arrêtés. Ce sont 105 étrangers en situation irrégulière qui ont été transférés en centres de rétention administrative essentiellement des Maliens et des Sénégalais et risquent une expulsion.

L’opération « humanitaire » était bien une rafle destinée à grossir les chiffres d’expulsion affichés par le ministre de l’Identité nationale. Sommes-nous en guerre ?

5. Danemark : le bonheur loin des banlieues?

Connaissez-vous Ringkøbing, petite ville danoise où 10000 personnes vivent au bord de la mer du Nord ? L’université de Cambridge, dans une étude sur le bonheur en Europe, l’a placée en tête du hit parade. Les administrés de Torben Norregaard; maire de Ringkøbing sont heureux et le disent.

Ce résultat n’a pas manqué de susciter des commentaires, parfois ironiques : Voici bien l’apologie du bonheur mesquin de la petite ville provinciale repliée sur son conformisme, ce « sens élevé de la communauté » mis en avant par le maire. Mais dans le même temps, c’est la ville horlogère du Locle (10240 habitants), au cœur du Jura neuchâtelois qui a été classée « ville la moins attrayante de Suisse » !

Quel est alors le secret de Ringkøbing qui ne fait pas figure d’exception dans un pays souvent bien placé dans les enquêtes sur la qualité de la vie ? Est-ce un paradis fiscal ? Un laboratoire de la modernité néolibérale ? Certes non. Les impôts sont élevés (la moitié du revenu) et la notion de « bouclier fiscal » ignorée. C’est cette fiscalité qui permet une couverture sociale qui fait presque figure d’anachronisme : accès gratuit à l’assurance maladie, à l’école, aux maisons de retraite. N’en déplaise à certains, ce taux de couverture sociale ne décourage pas l’emploi : le chômage est bas.

Le sentiment de « sécurité », dont parlent les danois de Ringkøbing n’a rien à voir avec un quelconque déploiement policier. Ici c’est l’insécurité sociale qui est combattue et les institutions y gagnent en légitimité.

Sans doute la ville de Ringkøbing est-elle loin des banlieues. Elle nous rappelle pourtant des choses simples : la confiance dans l’Etat, et la paix civile passe par l’organisation de la solidarité publique, sûrement pas par sa mise en pièce. Une leçon a méditer

Janvier

4. France : l’impossible « plan banlieues »

Le nouveau pouvoir installé en France depuis le 6 mai 2007 pensait construire un consensus sur la stigmatisation des populations les plus précarisées: immigrés, sans papiers, quartiers populaires. Depuis son arrivée, le gouvernement des Nicolas Sarkozy a, certes, engrangé les succès dans la remise en cause du droit du travail, des retraites, du statut des universités, la fragilisation du service public de l’audio visuel ou les cadeaux fiscaux aux plus aisés. Mais la surprise de ces derniers mois est certainement constituée par la résistance de la société à la chasse à l’homme organisée sous prétexte de lutte contre « l’immigration clandestine ». A travers le « Réseau éducation sans frontière », des parents, solidaires d’autres parents quelle que soit leur origine ou leur situation, protègent les enfants menacés, anticipent les rafles, se mobilisent contre les détentions arbitraires.

Dans ces conditions, ce n’est sans doute pas un hasard si ce même gouvernement cafouille devant l’échéance qu’il avait lui-même fixé : le « plan Marshall » pour les banlieues. Au-delà des tensions entre la ministre, la très catholique madame Boutin et sa secrétaire d’Etat venue du PS, la fondatrice de « Ni pute ni soumise », Fadela Amara, l’embarras politique est bien réel.

En novembre, la mort de deux jeunes de Villiers le Bel dans une collision avec une voiture de police a fait resurgir le spectre de l’émeute de 2005. Cette fois ci l’embrasement fut sans doute court et localisé. Mais cette fois ci les armes ont parlé. Quoiqu’il en dise, le pouvoir sait que la colère est profonde et que les problèmes des quartiers populaires ne se résoudront ni par une augmentation des effectifs de police ni par des effets d’annonce qui n’impressionnent plus personne. Les banlieues ne sont pas solubles dans le sarkozysme.

3. Davos, la bourse, les banlieues

Cette semaine est marquée par trois événements dont on ne verra pas immédiatement qu’ils sont étroitement liés les uns aux autres : le sommet économique mondial de Davos, le forum social des banlieues au Brésil et la tempête boursière..

Davos est, par excellence, le sommet de la mondialisation. C’est parce que Davos se tenait fin janvier que depuis le début du millénaire, le mouvement altermondialiste a pris date et convoque le forum social mondial dans la dernière semaine de janvier. En 2007 c’était à Nairobi. En 2009 ce sera à Belem.

Ce sommet économique mondial se réunit aujourd’hui sur fonds de crise boursière. A l’origine du Tsunami qui fait trembler les places financières mondiales : l’affaire des « subprimes » américaines dont on a déjà entendu parlé cet été. De quoi s’agit-il ? D’une façon, inventée par les marchés financiers, de faire du profit sur la misère humaine. Des prêts sont accordés sans vérification de ressources, en général pour des achats immobiliers, à des ménages modestes. Financièrement le risque est grand et donc le taux d’intérêt très élevé. Le risque devenu promesse de profit (par le taux d’intérêt) se transforme en produit financier intéressant qui se revend et se rachète dans toutes les places mondiales. Oubliées les millions de familles qui, faute de pouvoir rembourser, se retrouvent à la rue aux USA ! Retour au réel : une fois ces millions de familles ruinées, le produit financier se dégonfle et perd de sa valeur. Il reste une morale dans ce monde et on ne fait pas impunément du profit sur la pauvreté urbaine !

Vive le Krach ? Vive surtout le « forum da périphérias » qui se tient du 24 au 26 janvier à Dunas, Pelotas, Rio Grande do Sul, Brasil.( http://www.uniperiferia.org.br/index.htm ). Puisque 2008 sera une année sans Forum social Mondial, c’est sans doute la meilleure réponse possible au sommet de Davos !

2. Le pire des mondes possibles

Les remarques acerbes faites par Benoit XVI à Walter Veltroni sur « l`état de dégradation » et « l`aggravation de la pauvreté » dans certains quartiers de la périphérie romaine ont fait le tour de l’Italie et sont en train de faire le tour du Web mondial. Au-delà des polémiques politiques ou des comparaisons hasardeuses -l’architecte Massimiliano Fuksas déclarant « les banlieues de Paris et de Londres sont beaucoup plus dégradées que les nôtres »-, l’épisode mérite réflexion.

La remarque de Benoit XVI devrait en effet valoir, selon l’expression latine consacrée, « Urbi et orbi », « Dans la ville de Rome et dans le Monde ». On ne saurait trop conseiller à tous ceux qui se préoccupent de l’état des banlieues de leur ville d’avoir un regard un peu plus mondial sur ce que Mike Davis appelle dans son dernier livre « Le pire des mondes possibles ».

Au-delà des quartiers dégradés de périphérie c’est en effet une part croissante de la population urbaine mondiale qui vit aujourd’hui dans des bidonvilles : 55 % en Inde, 38 % en Chine, 33 % en Argentine, et même 6 % au USA ! Certains bidonvilles sont de vraies mégapoles comme celui de Nezal-Chalco-Izta à Mexico avec ses 4 millions d’habitants. Mais si les 30 plus gros bidonvilles sont dans la périphéries de villes du sud, les métropoles du nord ne sont épargnées ni par les bidonvilles qui refleurissent dans les interstices de la périphérie, ni par cette forme moins visible de dégradation des conditions de vie urbaine qu’est le squat.

Ces urbains en souffrance ne constituent pas une population surnuméraire : ce sont les soutiers de la mondialisation, les ouvriers surexploités de la nouvelle production urbaine, le défi social et politique auxquels sont confrontés tous les gouvernements urbains du monde. Les périphéries urbaines ne sont pas aux marges de notre monde : elles en sont le centre.

1. Banlieue : Bonne année 2008 !

Les banlieues ont été au rendez-vous de la Saint-Sylvestre : 878 véhicules ont été brûlés durant la nuit du réveillon. Un bonne moyenne au regard des 425 incendies de l’an dernier et des 333 deux ans avant. Par tradition, c’est l’Alsace (une centaine de véhicules) et les villes de Strasbourg (28 voitures), Mulhouse (15) et Colmar (15) qui gagnent au score. Mais la Bretagne n’est pas en reste et quarante voitures sont incendiées dans la région de Nantes.

« Nous sommes là » rappellent ainsi les jeunes des quartiers populaires. La géographie des fêtes n’est pas forcément celle de l’année. La Seine-Saint-Denis (le fameux 9-3) d’où étaient parties les émeutes de 2005 est resté calme. Comme le Val d’Oise, où se situe la ville de Villiers le Bel où deux jeunes ont été tués fin novembre par un véhicule de police.

Non : la Saint-Sylvestre n’est pas un moment de colère. C’est un moment on rappelle son existence à de vieilles connaissances. C’est à la totalité de la classe politique que ces jeunes ont envoyés leur vœux, à cette droite au pouvoir et à cette gauche respectueuse réunies dans la condamnation des « voyous » et dans le silence sur les discriminations qui frappent ces jeunes et leurs familles.

Que sont ces quelques 878 véhicules face à la situation ordinaire ? Les émeutes de 2005 comme les affrontement à Villiers Le bel en novembre ne sont pas des coups de tonnerre dans un ciel serein. Près de 40 000 véhicules ont brûlé en France en 2007. C’est en moyenne tous les quinze jours que se déclenche une émeute dans un quartier. Le pouvoir le sait et s’y prépare : le 31 décembre les quartiers de Strasbourg ont été survolés par des « Drones » ces avions espions sans pilotes d’origine militaire qui font maintenant partie du matériel de la police urbaine.

~ par Alain Bertho sur 27 février 2008.