Nouvelles formes de travail, réseaux de coopération et participation démocratique
Giovanna DEMONTIS 2005
« La «machine universelle» s’affirme graduellement, minute après minute, et quand la crise éclate, dévoilant à tout le monde sa portée historique, il est désormais «trop tard»: on ne peut plus retourner en arrière, et soit on nage avec le courant, soit on continue à bouder le temps présent; soit on cherche à tirer «l’équivalent moral» de l’époque précédente, soit on s’empoisonne de ressentiments en faisant appel à des souvenirs toujours plus fanés.Le nouveau n’efface pas le passé, mais seulement fait du passé un obstacle pour affronter le futur avec intelligence, avec des capacités de créer de nouveaux affects, de produire de nouvelles luttes politiques.Dans cette transition, les temps longs de diffusion de la nouvelle «machine universelle» entrent en collision avec les temps brefs de la vie. Comme pendant l’Exode d’Egypte, on emporte en toute hâte ce qu’on a de plus précieux pour pouvoir «errer» dans le nouveau monde sans s’y perdre. D’habitude ce sont des choses qu’on peut cacher lorsqu’on traverse la frontière. Et la chose la plus facile à emporter «clandestinement» dans le nouveau monde c’est l’amitié, le «pont sur l’abîme» qui permet de traverser des territoires inconnus, l’amitié que Deleuze et Guattari ont conceptualisée philosophiquement avant de disparaître pour toujours »
Christian Marazzi, La place des chaussettes
Introduction
Au début il y avait la ville, la résistance, les ouvriers…
La recherche qui prend place dans les pages qui suivent se situe à un carrefour crucial de ma vie personnelle et professionnelle. Je parle des deux en même temps parce que, pour moi, comme pour beaucoup des personnes dont il est question dans cette étude, les deux choses sont indissociablement liées.
J’ai vécu ma jeunesse en Italie, au milieu des années 70.
J’ai fait partie du mouvement chaotique et bouillonnant qui, je l’ai compris en écrivant, a accompli de façon douloureuse et radicale un effort énorme : élaborer une conception alternative de la modernité.
Une conception qui s’opposait au modèle du capitalisme tayloriste de consommation et un mouvement qui a secoué l’ordre politique et économique italien de façon irrémédiable.
La restructuration du système de production était, sans doute, une exigence historique du capitalisme international. Mais, à l’intérieur de ce processus le laboratoire social et productif italien a constitué une des expériences les plus considérables pour déchiffrer le passage d’une époque capitaliste à une autre post-industrielle.
L’intérêt du mouvement italien consiste d’ailleurs dans le fait d’avoir entraîné l’éclatement des contradictions du modèle en le révélant “fini”
D’autre part, une des raisons de la crise du “système des partis” éclatée de manière retentissante avec les enquêtes des “Mains propres”, mais aussi la crise des syndicats et de la gauche italienne en général sont à rechercher dans leur incompréhension de la charge d’innovation qu’avançait avec cette vague rebelle.
C’est “le 77”, le mouvement qui prolonge et complète celui de 1968, et qui couronne dix ans de luttes, d’idées, de tensions créatives.
Le mouvement de 77 a révélé la maturité atteinte par le conflit capital/travail.
Deux concepts sont indispensables pour expliquer ce qui s’est passé à ce moment et développer mon argumentation : le refus du travail et la défaite ouvrière.
Ma génération s’est forgée sur le refus de la fracture de la personnalité, sur le refus du travail l’aliéné, sur le refus de la fragmentation du travail intellectuel, sur un singulier besoin de totalité.
Le mouvement de 77 en Italie peut être défini comme l’instant fragile pendant lequel une nouvelle composition de classe s’est manifestée sous des formes qui n’étaient plus exactement celles du prolétariat traditionnel, mais n’étaient pas encore véritablement Autre.
Pendant ce temps, un monde entier, celui des usines, de la résistance, de la politique représentative était en train de s’effondrer.
C’est justement quand le sentiment d’impuissance nous laisse croire que tous les champs du possible sont clos qu’il “ s’agit d’encourager les personnes et les collectifs à considérer autrement les problèmes, c’est à dire comme des processus sur lesquels est possible d’avoir prise.”[1]
Pour pouvoir le faire, il est nécessaire d’examiner l’histoire récente : voir à travers quels passages notre monde contemporain s’est construit pour “changer le cours des sciences et des techniques … pénétrer dans l’arène, aller s’asseoir à la table des experts”[2]
Ce sont les objectifs de ce travail:
– Analyser les traits saillants de la transition du fordisme au post-fordisme, de la production-consommation de masse aux systèmes de production et de distribution flexible. Ce qui contraint l’analyse à se mouvoir au-delà des divisions disciplinaires et des spécialisations, au-delà de la division du savoir qui a caractérisé la dernière décennie.
– Réfléchir sur l’action politique entendue comme mise en forme et mise en œuvre d’une volonté collective quant à la façon de vivre.
“J’approche des thèmes globaux à partir d’exemples locaux, il est bien évident que ces derniers ne peuvent à eux tous seuls condenser toutes les transformations de la société. Le but est d’esquisser des s de changement sur la base d’analyse d’ordre pragmatique, c’est à dire capable de prendre en compte les façons dont les personnes s’engagent dans l’action, leurs justifications et le sens qu’elles donnent à leurs actes….
Une telle entreprise est irréalisable à l’échelle globale, c’est sans doute la raison pour laquelle les approches globales sont construites à travers des facteurs explicatifs d’ordre macroéconomique traites comme des forces extérieures aux hommes : à nous de nous y adapter ou mourir … Les petits réseaux ou les luttes locales que je décris ne sont pas un exemple généralisable pour le monde. Mais il y a des bonnes raisons pour penser que des processus similaires se vérifient partout ailleurs dans les autres pays développés, selon les spécificités de l’histoire politique et sociale.”[3]
En accord avec ces mots je vais donc décrire deux petits réseaux locaux un à Gênes, l’autre à Paris.
L’observation doit permettre d’exposer certains nombres de pratiques, de présenter les sujets qui en sont acteurs ainsi que une ébauche de leurs modes de vie et des convictions qui les accompagnent.
Les individus en question sont pris en compte en tant qu’acteurs d’un territoire. Ces personnes habitent le même quartier et ils en déterminent une partie de ses caractéristiques.
Il s’agit de vérifier l’existence d’un dénominateur commun qui lie les membres de chaque réseau en partant des situations subjectives externe au travail, et donc non réductibles à des éléments corporatifs.
Il s’agit vérifier la possibilité de définir le fondement de la citoyenneté à partir d’une notion dans lequel la représentation politique serait l’émanation directe de projets concrets définis socialement à partir des groupes et/ou associations, hommes, femmes, qui agissent sur le terrain.
D’une société à une autre : changement de paradigme
1. Généralités : post fordisme
Il a fallu aux “géants apprendre à danser”.
Le chômage de masse qui touche la plupart des pays européens trouve origine dans l’exigence de rendre flexibles les grandes machines bureaucratiques privées et publiques, de réduire les coûts du travail considéré comme excessif dans un contexte économique toujours plus global et mondialisé, où le développement est devenu difficile et la lutte sans merci.
Pour réduire le poids des charges sociales les entreprises ont choisi l’externalisation de segments entiers de production : la sous-traitance, à savoir le recours à des fournisseurs, consultants, anciens salariés qui se transforment en “travailleurs indépendants“, pour augmenter la productivité et l’efficience des grandes entreprises. On parle à ce propos de ”production allégée”.
La structure de l’organisation de l’entreprise s’est modifiée de façon absolument radicale, c’est la différence plus voyante entre le mode de production émergent et celui de la période passée, dit “fordiste”.
L’entreprise maigre, “allégée”, “dégraissée”, a perdu la plupart de ses échelons hiérarchiques mettant au chômage des couches entières de salariés, ouvriers et cadres.
La production s’effectue en “flux tendus“ (“juste à temps“), pour éviter d’accumuler des stocks excessifs (donc destinés à se déprécier dans le temps) et le travail interne s’organise de la façon la plus flexible possible.
Si, dans le fordisme, temps et modes de production étaient fermement programmés et programmables, dans la période post-fordiste tout est soumis à beaucoup plus d’aléas et on est contraint de se remettre aux occasions offertes par le marché. Occasions qu’il ne faut d’ailleurs pas laisser passer parce que, dans une période de forte concurrence et de saturation des marchés, chaque variation insignifiante de la demande peut être fatale ou profitable pour l’entreprise et la poursuite de sa production.
La production est obligée de s’adapter, elle doit suivre le mouvement, se structurer de manière à pouvoir augmenter le rendement (la productivité) sans augmenter considérablement la quantité.
Les gains de productivité ne peuvent plus s’effectuer avec les “économies d’échelles“ qui, dans le fordisme, étaient obtenues en augmentant la quantité des biens produits (réduisant de la sorte le prix unitaire de ceux-ci), il faut produire des petites quantités de nombreux s de produits, avec la réduction à zéro des défauts et la rapidité de réponse aux oscillations du marché.
L’entreprise devient nécessairement “minimaliste“, dans le sens où tout ce qui excède la capacité d’absorption du marché doit être éliminé.
“Avec le passage de la production de masse, fondée sur une division poussée entre travail d’exécution et travail de conception, à une production flexible fondée sur une adaptation immédiate et permanente du travail aux oscillations du marché, «la communication, le flux d’information, entrent directement dans le processus productif» et ont une valeur directement productive.
La différence qualitative par rapport au mode de travailler fordiste, est remarquable. Sous le fordisme, selon les préceptes de l’ingénieur Taylor, il fallait une force de travail spécialisée et parcellisée afin d’exécuter le même mouvement toute la journée, dans le post-fordisme le type de force de travail “idéale“ est celle qui possède un haut niveau d’adaptabilité aux changements de rythme et de lieu, une force de travail polyvalente qui sache “lire“ le flux d’informations, qui sache “travailler en communiquant“.
Par rapport au type de travail fordiste, le post-fordisme comporte des re-associations de fonctions, auparavant rigidement distinctes, une «reconfiguration» en la personne de l’ouvrier d’une série de séquences productives d’exécution, de programmation, de contrôle de qualité, ce que les Américains appellent le reengineering.”[4]
2. Le “decentramento produttivo” et le laboratoire italien
L’Italie a été l’un des laboratoires sociaux et productifs plus intéressants pour déchiffrer le passage d’une époque à une autre, d’une phase du capitalisme à un autre.
Le fordisme portait en lui, comme processus indispensable, la société de consommation et un modèle d’organisation sociale hiérarchisé qui, de l’usine, s’étendait à toute la société ainsi qu’aux formes de représentation politique.
Au cours des années 70, la grande entreprise fordiste classique rentre en crise. En Italie comme ailleurs ce mastodonte est accablé par les difficultés de gestion des rapports au sein de l’industrie et par les rigidités (et les comportements de sabotage) au niveau de la force de travail.
La grande industrie se décentralise. D’autres entreprises, des PME, réalisent pour le compte de la grande entreprise fordiste certains produits qu’elle-même fabriquait auparavant. Ou alors des petites entreprises sous traitantes exécutent certaine opération du processus productif, ce qui veut dire que d’importants secteurs de production sont déplacés de la grande entreprise vers l’extérieur.
Ce processus permet de faire appel à de nouvelles ressources, à de nouveaux marchés de travail et notamment à ceux qui ne sont pas réglementés.
L’externalisation permet l’accès à une économie informelle, ultra légère, qui échappe à la législation fiscale et aux règles contractuelles.
La première conséquence de ce phénomène est une importante flexibilité des salaires, qui en produit une deuxième, fondamentale : la possibilité d’utiliser de nouvelles formes de coopération productive liées à des nouvelles dimensions sociales (familles et territoires).
En décentralisant, la grande industrie suscite la formation d’unités productives et de réseaux de sous traitance.
Cette nouvelle articulation de la grande industrie, des PME et de l’économie souterraine produit comme effet ultérieur une nouvelle configuration du marché du travail et des conditions sociales générales du développement économique et plus précisément de l’interrelation entre l’économique et le social.
Analyse l’exemple italien permet de mettre à jour un certain nombre de circonstances : l’importance de la transformation sociale et de l’élément subjectif dans le processus de socialisation de la production qui, à partir des années 70, a recomposé le tissu industriel italien.
Nonobstant la grande industrie ait réussi à contrôler et à réorganiser selon ses normes un tissu social caractérisé par une forte conflictualité, les sujets qui poussaient à la construction d’alternatives au sein du tissu productif ont réussi, dans le courant de ce processus, à édifier des figures originales de sujets productifs.
Pour construire des remarques en toute clarté, je reprends la périodisation de l’expérience telle que présentée par Lazzarato, Moulier Boutang, Negri et Santilli dans leur texte : “Des entreprises pas comme les autres, Benetton en Italie, le Sentier à Paris.”
1) Dans les années 1965/1974 (surtout en 68/69), le niveau élevé de conflictualité dans les grandes usines desserre les brides de la gestion du processus de production permettant une certaine délégation de pouvoir.
La grande entreprise réagit en tentant de décharger les tensions et les résistances à l’extérieur de l’usine – cette épreuve est (entre autre) une conséquence du refus du travail – c’est en effet la période plus puissant des luttes ouvrières.
C’est le moment du déploiement étonnant et irrépressible, la phase de la plus vigoureuse expansion des PME sur le territoire, c’est là où elles inventent leurs nouvelles structures sociales. Un peu comme si le dualisme de pouvoir existant sur le terrain social se transférait sur le territoire opposant la grande industrie et les PME.
2) De 1974/1979. La situation déterminée à partir de 68 se consolide. Toutefois la première crise pétrolière, les campagnes d’austérité, les effets du “compromis historique”[5] affaiblissent la situation, mais ils ne réussissent pourtant pas à la compromettre.
Cela nous donne la possibilité de discerner la connexion existante entre l’amplification et l’approfondissement des luttes à l’usine et l’agencement des aires décentralisées de PME. On pourrait affirmer que le tissu des PME affermit et renforce la lutte ouvrière à l’usine.
L’ouvrier sait maintenant que sortir de l’usine n’est plus la catastrophe, mais au contraire une alternative, une potentialité qui lui permettrait de développer une autre activité productive, éventuellement autonome.
3) En 1979/1980 la défaite de la classe ouvrière FIAT, entre juin 1979 et mars 1980, retourne complètement le cadre. Les PME parviennent à se conserver ainsi que leur expérience de coopération sociale productive, et qui par certains aspects se montre d’une considérable solidité. Mais désormais la tendance à la consolidation l’importe sur l’innovation. Leur expansion s’arrête.
Certains problèmes comme ceux liés au décèlement du crédit deviennent accablants. C’est aussi l’époque de l’expansion généralisée des nouvelles techniques informatiques. Le terrain de l’affrontement se déplace, certaines difficultés se manifestent dans leur ampleur, c’est le cas de la difficulté des rapports entre PME et secteurs scientifiques … ce rapport est évidement à l’avantage du patronat des grandes entreprises. Les règles de normalisation et de réduction à la simple sous traitance de l’externalisation commencent à triompher.
4) Depuis 1985 la contre attaque explicite de la grande entreprise se fait explicite. La reforme fiscale essaye de faire émerger l’économie souterraine et de la régulariser. La reforme du crédit a enfin lieu. Le marché du travail s’ouvre aux flux des immigrés.
“Le processus de normalisation, c’est à dire la réduction de la décentralisation productive à la sous-traitance et à la dépendance financière remporte la victoire. L’usine diffuse ne peut plus apparaître comme un élément capable de promouvoir une activité productive autonome, ni d’organiser le travail qui s’est libéré de la grande industrie. Mobilité et flexibilité du travail, processus d’innovation, coopération sociale élargie deviennent des éléments de la composition du capital.”[6]
L’expérience de ces années a mis en évidence l’importance du facteur humain et social dans la production. Mobilité et flexibilité sont apparues comme des comportements et initiatives de lutte et au-delà des luttes.
Un nouveau sujet productif est apparu, capable de réunir par lui-même la tradition de la grande usine, une nouvelle expérience de la coopération sociale et une capacité d’initiative, d’organisation de connaissance, d’organisation de synergies et de mise en place d’interactivité sociale.“
Si on analyse le phénomène du point de vue du “decentramento produttivo” on peut observer que la concentration territoriale de la production de période des années ‘50-’60, dite du “Miracle économique”, fut caractérisée par un groupement des capitaux et de travail principalement dans les territoires déjà développés et que dés le debout des années 70 la stratégie de decentalisation inversait la localisation du développement en conséquence de la recherche d’une majeure mobilité et flexibilité sociale et productive.
L’organisation du cycle de production changea, spécialement dans la petite entreprise, avec des productions plus réduites et spécialisées. Nous pouvons résumer pour cette phase les tendances suivantes:
a) passage de la concentration à la diffusion territoriale;
b) inversion du processus de croissance moyenne des entreprises
c) accentuation de l’importance de la petite entreprise, prolifération de PME avec des formes et des rythmes d’exploitation de la force travail plus intensifiés (augmentation des rythmes, de la productivité, travail à la pièce, flexibilité salariale, externalisation rétribution au noir d’une partie du processus de production, négation des droits syndicaux, etc.)
d) accentuation de la spécialisation des secteurs traditionnels, augmentation de la production, surtout de la productivité du travail tandis que la gratification salariale fut marginale;
e) perte progressive d’occupation par cause de la compétitivité interne qui demandait une main d’œuvre de plus en plus spécialisé, qui commençait à se concevoir comme une véritable aristocratie ouvrière.
Voilà donc que dans les usines travaillait une classe ouvrière nouvelle, transformée par effet les nouvelles formes productives qui réduisaient le pois de l’ouvrier professionnel pour faire augmenter celui de l’ouvrier commun, sans qualification, assujetti à la chaîne.
Ces ouvriers étaient nommés par les idéologues “operaisti”: ouvrier masse. Il s’agissait des jeunes ouvriers méridionaux, immigrés tout récemment, contraints à des boulots sans qualification, entourés par l’hostilité de villes du Nord, Tourin tout particulièrement.
L’un de ces “operaisti” Mario Tronti considérait cette nouvelle classe ouvrière prête à la révolte insurrectionnelle. Ce fut ce qui arriva dès 1962 à Turin avec la “révolte de Piazza Statuto”, des séries répétées d’accidents qui durèrent trois jours et qui eurent comme épicentre la place. 1.251 personnes furent fermées, parmi eux 291 étaient des jeunes et les trois quarts d’eux méridionaux, 90 furent arrêtes et jugées immédiatement, une centaine dénoncée. Les policiers blessés furent 169.
Le journaux ne se priverent pas de faire remarquer la presence des jeunes ouvriers meridionaux qui furent definis: “teppisti”, “teppaglia”, “facinorosi”, “giovinastri” che si erano introdotti nella manifestazione operaia e che, verso la fine della giornata di sabato 7 luglio, erano riusciti a togliere « di mano il controllo della situazione » ai dirigenti sindacali”[7].
Pour ces jeunes immigrés, il n’y avait pas d’excuses, surtout pas de la part de forces de gauche. Au contraire ce dernières, accusé d’être les organisatrices de la manifestation et, pour les communistes, d’être les responsables des accrochages, réagirent en prenant les distances et définissant les jeunes comme les “teddy boys di Valletta” scaricati in piazza da “lucide Giuliette T, spider e sprint” guidate da individui che li “assoldavano” nei bar e nella periferia al prezzo di “1200 lire”[8]
Ces jeunes sortaient des schémas interprétatifs préconstitues, antifascisme/résistance. Ils représentaient avec leur comportement violent, bagarreur, leur recherche du « casino per il casino »[9], le prototype italien des modernes révoltes de la jeunesse qui avaient déjà intéressé la société anglaise, française et de l’Allemagne occidentale.
La violence de ces révoltes était l’expression de couches marginales, exclues de la participation aux biens matériels et immatériels que la publicité et les vitrines affichaient et invitaient à consommer.
L’absentéisme en usine atteignit des proportions énormes, en 1968 et dans les années qui suivirent, aussi bien en Italie qu’en France.
Les luttes dans les usines de Porto Marghera en 1968 et à la Fiat de Torino en 1969 portèrent à “une perte progressive du contrôle au niveau de l’atelier et de l’entreprise … le mouvement de délégués – avec ses assemblées, ses délégués et ses conseils d’usine – s’éteindra à une centaine d’entreprises et … parviendra, au début des années 70, à s’emparer d’une partie importante du contrôle des modalités de travail chez FIAT”[10] et encore chez Pirelli, à l’Alfa e à la Sit-Siemens
3. Les mouvements de 1968 en Italie et en France
La spécificité des mouvements de 1968, ce qui en fait un moment particulier de notre histoire récente, est dans le fait qu’ils ont permis à des nombreuses et différentes crises sociales déjà coïncidentes de se synthétiser.
Dans les entreprises et les universités, ouvriers et étudiants se révoltaient : c’était la critique tous azimuts de l’exploitation du travail de masse et du fordiste en tant que “ culturel”.
Ce dernier était déjà en crise dans les pays occidentaux et les revendications qui accompagnaient la contestation étaient raccordées par une forte demande de scolarisation comme alternative au “bagne” de l’usine.
Ces contestations eurent en France et en Italie un caractère exemplaire, elles y furent les plus intenses de tous les pays occidentaux mais elles obéissaient dans les deux pays à des dynamiques et à des temporalités différentes.
“La période considérée présente ainsi un caractère charnière et ambivalent … tout en mobilisant des références et un discours hérité du siècle dernier, elle préfigure des valeurs et des thèmes revendicatifs inédits qui se retrouveront plus tard”[11]
Les mouvements ont imposé “bottom up ” des conquêtes qui étaient (surtout en Italie) tièdement soutenue par la gauche institutionnelle.
Et ce fut exactement pendant la phase de baisse des mouvements de contestation, dans la deuxième moitié des années soixante dix, que parmi les jeunes du 68 commençait à émerger une tendance qui portait attention à tout les formes d’existence “alternatives” : elle se motivait en partie à cause du déclin des idéologies inspirées de l’histoire du communisme et en partie à l’apparition des premiers signaux du processus de restructuration des grandes usines.
Cette transformation n’était pas très significative sur le plan de la quantité, mais avait une importance discrète dans le schéma culturel du changement de la mentalité.
Elle portait avec soi la mise à l’écart d’un héritage culturel qui avait été construit conjointement par la pensée de l’occident capitaliste et par l’utopie du socialisme réalisé.
Elle signifiait la rupture, le dépassement d’une forma mentis qui semblait être la seule possible de la moderne société capitaliste : le travail dépendant, salarié comme « forme naturelle » du travail.
La génération 68 avait une expérience de mouvement suffisamment utopiste et ambitieuse pour se lancer dans le défi de la construction d’alternatives.
C’est un peu l’histoire de ceux qui n’ayant pas eu la possibilité d’éliminer les patrons voulurent, au moins, s’en passer dans leur vie personnelle.
Les expériences d’animation dans le mouvement confortaient la conviction d’avoir suffisamment de ressources humaines pour réussir, ce qui encourageait la volonté de s’exclure des institutions fondées sur le respect des hiérarchies et des procédures.
Il s’agissait d’une force travail particulièrement adapté aux sociétés des services ou aux media.
Les initiatives de travail autonome prendraient rarement la forme de l’entreprise individuelle. La forme coopérative consentait aux singularités, d’une part, de concevoir son expérience comme un renouveau du socialisme. Mais aussi une meilleure organisation des ressources et une plus fine perception du marché par rapport à l’entreprise individuelle.
Ces mouvements ont déployé un effort énorme pour essayer d ‘élaborer une nouvelle conception de la modernité. Une conception qui s’opposait au model de la société capitaliste de consommation et de façon intrinsèque à la formidable efficacité du hiérarchique fordiste-tayloriste.
i.1977 et le refus du travail
Le post fordisme, en Italie, est tenu à baptême par le mouvement de 77.
Ce mouvement a constitué, la deuxième phase des évènements des années 68 : les luttes d’une force travail scolarisée et précaire qui détestait l’étique du travail traditionnel.
La relation entre les deux mouvements est intime, mais ils sont extrêmement différents.
68 est pour certains la dernière tentative de contraposition ente une société idéale et la modernité. La dernière flambée d’une vision du monde archaïste et utopiste en même temps.
Les jeunes du 77, de dix ans plus jeunes que ceux de soixante-huit, étaient attisés par une véritable “angoisse de l’usine”.
Parmi eux beaucoup avaient grandi à l’ombre des cheminées d’usine en entendant les sirènes des grands complexes industriels appeler au travail. Ils gardaient le souvenir de l’aube obscure qui engloutissait les relèves, des formes indistinctes, dans le ventre des manufactures.
Les images du terrorisme rouge de grands pôles industriels (Turin, Gênes, Milan etc.) achèveront l’évocation de la vie d’usine à travers des teintes plombées, renfonçant la vision des portes du monde se renfermant sur eux et les plongeant dans l’angoisse de l’aliénation.
Leur besoin de fuir la journée de travail, le travail normatif, l’occupation stable était plus forte que celui des jeunes des 1968, il était conforté par une matérialité sociale et économique qui s’acheminait vers le présent qu’on connaît. Et qui rendait dès lors le sentiment de leur existence précaire et sans garantie pour l’avenir.
Tout le drame des années 70 et 80 en Italie s’est joué dans la contradiction entre le “mouvement” et le mouvement ouvrier officiel qui, après s’être ouverte en 68 et s’est résolue, en 77, comme une rupture irréversible.
Cette rupture s’incarne dans le “refus du travail”.
Le débouché d’un mouvement qui résumait et dépassait pratiquement toutes les expériences du siècle: la révolution, la révolte existentielle des années soixante, la générosité des hippies, les émeutes noires, l’anticolonialisme, la vision communautaire utopiste chrétienne et communiste, la culture métropolitaine, la guérilla …
Les “non garantis” de 77 s’orientaient contre toutes les formes d’organisation sociale et politique fondée sur la discipline, la norme, le conformisme. Ils pratiquaient une politique de base, complètement transversale, un refus de déléguer ou si l’on préfère exprimaient la volonté d’exercer le pouvoir directement.
Les institutions historiques du mouvement ouvrier furent investies d’une critique radicale en tant que représentants et co-producteurs du travail dépendent et normatif.
L’incompréhension de la gauche institutionnelle et du syndicat fut la tragédie qui encore marque le pays.
Syndicats et partis sont passés au-delà de cette extraordinaire charge d’innovation, ils n’ont pas vu qu’il s’agissait de la conflictualité précoce d’une force de travail en train de devenir l’axe porteur de la nouvelle organisation sociétaire.
En soudant leur alliance avec le capital et les corps répressifs de l’Etat ont perpétré leur suicide.
L’ordre économique et politique italien en est sorti irrémédiablement bouleversé : la crise du système des partis y trouve un de ses raison d’origine.
En considérant les choses à des années de distance il est encore plus difficile de comprendre “leur réaction … rageuse et inconsidérée. Ils ont considéré cette génération comme des antisociales ; sans voir qu’ils étaient simplement l’autre visage des districts industriels, la force-travail du secteur tertiaire pauvre et des entreprises de prestation de services, l’armée de réserve de la flexibilité et de la précarisation de l’existence.”[12]
Somme tout le mouvement de 77 fut assez éphémère, pourtant, fuite du contrôle, symbolique du voyage, l’amour pour l’Amérique utopie de l’indépendance.
Et beaucoup d’existences choisirent de se rendre autonomes sur le marché du travail.
ii.Districts industriels ou postfordisme à l’italienne
En 1977, pendant la période de la crise énergétique naît model interprétatif de Arnaldo Bagnasco.
Il se fonde sur la subdivision du territoire en trois grandes aires géographiques et économiques, élaborés à partir de l’analyse d’indicateurs socio-économiques.
Les Trois Italies sont ainsi identifiés:
1) Nord-ouest: caractérisé par la grande entreprise, qui impose sa centralité et détermine le model de développement;
2) Centre Nord–Est: caractérisé par les PME : des formes de développement qui assument des caractéristiques locales et qui recouvrent des configurations socio-produttives particulières, imposés par ces entrepreneurs qui sont capables d’exploiter les économies locales et se révoltent au capitalisme des grandes familles;
3) Meridione: caractérisé par le sous-développement, une économie désagrégé et re-organisé en fonction de la dépendance extérieure; un Sud qui est configuré comme un marché coloniale, dont le retard, même en matière d’occupation, est fonctionnel, aux déterminations du capital national et aux choix politiques fondés sur “l’assistenzialismo”, sur le “clientelismo”.
Ainsi dans les zones de la “troisième Italie” (Vénétie, Emilie Romagne, Toscane, Marches) les systèmes des districts et de la production flexible initient au ”postfordisme à l’italienne“ qui sera une des principales sources de travail indépendant surtout sous la forme de l’entreprise d’artisan.
“La formation des districts industriels fut un phénomène dont la portée historique ne peut être comparée aux changements de mentalité produits par les mouvements de contestation, ni en des termes qualitatifs que quantitatifs”[13].
Les comportements sociaux étaient effectivement differents. L’ouvrier FIAT, enfermé dans la cage d’un salaire qui, malgré des années de lutte, n’augmentait pas était un sujet profondément différent de l’ouvrier de l’usine textile que poussé par son patron, montait sa boite et que pouvait voir son facturât grandir d’une année sur l’autre.
Les districts, ces lieux hybrides, ces “ territoires habités par la production” ; sans être en mesure de façonner une configuration urbanistique propre, ont produit des formes de cohésion sociale et structures de relations sociales coopératives (osmose des processus d’innovation, formation des travailleurs …) qui s’écartent de la figure du salarié pour pressentir le travailleur autonome.
Marshall définit le district comme une “ factory without walls ”, une usine sans murs, dispersé sur le territoire, mais l’usine n’a pas disparu : elle s’est socialisée!
« Al livello più alto dello sviluppo capitalistico, il rapporto sociale diventa un momento del rapporto di produzione, la società intera diventa un’articolazione della produzione, cioè tutta la società intera vive in funzione della fabbrica e la fabbrica estende il suo dominio esclusivo su tutta la società »[14]
Les districts industriels ont montré clairement comment cela allait se faire. La littérature sur les éléments d’organisation du model ou sur le contexte socio-politique qui en a favorisé le développement sans conflictualité… est très vaste, mais elle est presque exclusivement dédiée à l’esprit de création entrepreneuriale …
En mettant l’accent sur, sur l’optimisme du profit, sur la richesse produite, sur le bien être généré les districts ont été représentés comme un de production capitalistique efficace et dynamique, capable de produire cohésion sociale.
Il est difficile de trouver du matériel à propos des conditions (surtout les horaires) de travail dans les districts, tellement il est rare presque inexistant.
Une réflexion à posteriori dénote que mettre en emphase l’entreprise signifiait donner place à l’aspect du succès, mettre en évidence l’aspect “work” voulait dire mettre en évidence le malaise.
La fantaisie et la créativité qu’expliquait le succès de la petite entreprise cachaient le malheur ouvrier à la chaîne.
Les districts industriels ont contribué à créer une nouvelle image de la gauche italienne, comme porteuse d’un model de développement sans conflits de classe qui a été opposé à l’image cauchemardesque de la grande usine secouée par les grèves et flagellée par les péripéties du sabotage ouvrier.
Il est utile de dépenser quelque mot à propos d’un des prototypes plus intéressants : l’exemple émilien.
Il est intéressant de remarquer dans sa construction la parfaite symbiose entre le social, le industriel et le politique qui lui est tout à fait spécifique et particulier.
Cette expérience s’est développée sans l’aide de l’Etat ni de ses mesures d’assistance au développement et mêmes en opposition avec elles, sur la seule initiative de groupes politiques de gauche et des leurs administrations locales.
L’intervention des communautés locales, outre le plus ample soutien à l’implantation d’infrastructures essentielles et de services industriels supplémentaires (rationalisation du territoire), a signifié la gestion directe du marché du travail et indirectement mais toujours efficacement de la politique de financement, mais surtout le consensus politique pour l’industrialisation diffuse.
L’imbrication des politiques de soutien à l’industrialisation privée ou artisanale, de celles des coopératives, des politiques syndacales et de celles de développement toutes dans les mains de la même instance politico-administrative locale, a produit un multiplicateur exceptionnel.
Il s’est agi, en même temps, d’une expérience qui s’est développé à partir du bas et qui était donc profondément imbriqué dans tous les mécanismes de légitimation locale et de la vie politico-sociale.
La mentionner veut dire souligner la puissance positive qui peut assumer l’institution locale quand elle est en synchronie avec les forces vive qui agissent dans le territoire.
iii.Le cadre français ou les garanties
Dans tous les pays européens le 68 s’achève rapidement.
En Italie le du cycle de lutte de 68 débouche et s’accompli avec les mouvements de 77.
En France, les années qui suivent mai 68 sont marquées, par la plus importante avancé sociale depuis la libération.
En Italie le mouvement devait récupérer une situation extrêmement arriérée. Le faire à demandé un long parcours d’approfondissement critique et de crise avec le mouvement ouvrier officiel qui eut comme effet “secondaire” un enracinement social inconnu aux autres pays européens.
En France la “grande politique contractuelle” a augmentait dans des proportions importantes la sécurité des salariés et a contribuait à mettre en place un statut du salarié.
Parmi les accords, qui concernaient 5 à 9 millions de salariés, on peut rappeler :
l’accord national inter professionnel sur la sécurité de l’emploi (1969), les quatre semaines de congés payés (1969), la création du SMIC (1970), la déclaration commune sur la mensualisation (1970), l’accord sur les indemnités journalières de maternité (1970), l’accord national interprofessionnel sur le droit à la formation continue (1970), l’accord sur les préretraites et les garanties de ressources attribuant aux ayants droits 70% de leur salaire antérieur (1972), la loi sur le renforcement des pénalités en cas de transgression du droit du travail (1972), la loi sur la généralisation des retraites complémentaires (1972), l’accord d’indemnisation totale (90% du salaire brut) du chômage pendant un an (1974)…
“… ces avantages, ces “acquis” ont étés obtenus au prix d’un maintien du statu quo en matière de pouvoir dans l’entreprise et d’autonomie”[15]
Le patronat français craignait surtout une désorganisation de la production et une perte du contrôle au niveau de l’atelier, l’exemple des conflits des usines FIAT (contrôle des heures supplémentaires, affectations, déplacements, promotions catégorielles…) était particulièrement inquiétant.
Malheureusement la “grande politique contractuelle”, malgré son coût, n’avait pas donné les résultats escomptés. Elle n’avait pas ramené la paix sociale ni surtout interrompu le processus de désorganisation de la production.
Il fallait autre chose pour retrouver le contrôle des entreprises qui apparaissait doublement nécessaire à cause des coûts de la désorganisation et des avantages acquis.
La CNPF lançait alors une nouvelle politique de “gestion concurrentielle du progrès social ” il ne faut plus “accumuler de nouveaux avantages sociaux … mais reformer les structures pour donner plus de souplesse et de liberté à l’entreprise”[16]
Les entreprises se trouvaient à gérer le “social ” et prendre en charge les “aspirations” et les “revendications” des salariés.
Il s’agissait de reprendre le contrôle aux syndicats pour le donner au management.
La lutte contre les syndicats et l’octroi d’une plus grande autonomie et d’avantages individualisés étaient menés en changeant l’organisation du travail et en modifiant les processus productifs, en modifiant la structure de l’entreprise en en démantelant les unités organisationnelles et les catégories de personnes, c’est à dire l’ensemble des collectifs sur les quels les syndicats prenaient appui.
Ces multiples transformations se trouveront coordonnés, rapprochées et labellisées dans un vocable unique : celui de flexibilité.
A processus terminé le monde du travail sera fait d’instances individuelles connectées en réseau.
4. Les classes moyennes. Du nouveau
La classe moyenne comme « milieu social fordiste », expression du progrès économique et de l’intermédiation étatique est aujourd’hui en crise. Ce qui ne veut forcement dire « prolétarisation » ou “homogénéité de comportement et d’objectifs.”
L’appauvrissement et la précarisation des classes moyennes se manifeste comme phénomène à la fin des années 80 et 90 : toutes les études sur la nouvelle pauvreté, fondées sur l’analyse des seuils de pauvreté relative, montrent qu’au cours des quinze dernières années, le phénomène de la polarisation des revenus s’est aggravé et que la sensibilité des seuils, autrement dit la précarité, est particulièrement élevée à la moindre variation des seuils.
Le sentiment est que, ceux qui émergent de la transformation du mode de production et de consommation fordiste se constituent un milieu chargé de regrets pour la stabilité perdue, pour les droits et les garanties supprimées, pour l’écroulement des institutions de la représentation politique.
”Ce qui fait de notre période … une époque de changement social accéléré, est, en définitive, le sentiment d’une « justice offensée » chez ceux qui se sentent justement privés de leur statut et menacés sur le plan de la sécurité.
Paradoxalement, la plus profonde ré articulation de la société dans l’histoire de l’humanité tire son impulsion de l’hostilité au changement qui poussa les perdants et les menacés à une action défensive (c’est-à-dire subjectivement conservatrice) … c’est précisément de cette base qu’est en train de naître la nouvelle classe moyenne. Celle-ci naît comme revendication de pouvoir politique, reflet de l’exclusion des centres de la décision économique et de l’exclusion des garanties sociales étatiques ; elle naît en somme de la nouvelle forme de production à réseau.
Les tentatives pour produire une représentation de la « classe moyenne » sont davantage rattachées à la construction des nouveaux dispositifs institutionnels de gouvernement capitaliste qu’à la consistance quantitative de la classe moyenne.”[17]
Cette prolétarisation des couches moyennes est une des raisons des évolutions de la classe politique vers des stratégies de démantèlement des institutions sociales protectrices : les pauvres et les exclus ne votent pas.
Le problème qui se pose en conséquence est celui du rôle économique de l’État dans sa fonction de défenseur de l’intérêt général et garant de la demande effective.
Cette délégitimisation, renforcée par la montée des déficits, de la dette et de la pression fiscale, oblige les pouvoirs publics à se comporter comme une entreprise privée et à soumettre à des arbitrages comptables des dépenses d’investissement que la collectivité devrait impérativement engager aujourd’hui pour espérer demain bénéficier des retombées
iv.Effets de la précarisation de l’existence
Les phénomènes de précarisation post fordisme sont caractérisés essentiellement par quatre phénomènes :
1. miniaturisation de l’entreprise jusqu ‘à l’entreprise individuelle, avec un développement important du travail autonome.
2. il décentralisation de la production des grands entreprises
3. l’existence d’un phénomène de joblessness, c’est à dire le manque d’un travail stable capable de donner une identification sociale. Cette privation ne consente pas l’accumulation d’une identité professionnelle homogène et ne permet pas l’accès à une position sociale définie par le travail;
4. l’existence de “boulots” dont le revenu ne permet pas, a ceux qui les exercent, de dépasser le seuil de pauvreté c’est ce qu’on appelle les working poor;
“La notion de précarité comme “pauvreté potentielle“ (donc distincte de la pauvreté) inclut l’idée d’instabilité (par exemple du revenu, lorsqu’il est sujet à oscillations imprévisibles) et de fragilité (manque de pouvoir contractuel, par exemple)…
Dans cette “société en sablier“, comme l’a définie Alain Lipietz, la précarité remonte vers ceux qui sont “juste au-dessus du col“, ce qui diffuse le sentiment d’être “les prochains à y passer“, à basculer du côté des exclus.
La notion de précarité renvoie donc, en utilisant la terminologie de Pierre Bourdieu, à la “misère de position“ (sentiment d’être attiré vers le bas, dans un mouvement qui nous échappe) plutôt qu’à la “misère de situation“ (pauvreté objective)”[18]
Dans ces dernières années les éléments qui étaient latents, ont révélé leur complexité. Le voile d’ignorance derrière lequel se cachait la confrontation politique avec le nouveau paradigme socio-économique a été enfin déchiré.
“Andrew S. Grove, directeur général de Intel Corp, répondant, dans une interview à Business Week, à la question du temps de diffusion des nouvelles technologies informatiques, expliquait combien l’expérience de l’innovation est différente de l’expérience de l’immigration.
Hongrois, ayant fui son pays durant la révolution de 1956, Grove est arrivé aux États-Unis au début des années soixante et il a été l’un des pionniers de la fameuse Silicon Valley.
La différence, selon Grove, consiste dans le fait qu’alors que l’immigration constitue une rupture, une césure radicale entre l’avant et l’après… (qui) comporte des déchirements, des souffrances, et donc la conscience de ce qui est en train d’arriver dans sa propre vie.
La transformation technologique dans le nouveau monde est une expérience qui se vit minute par minute, chaque jour. La transition est graduelle, et au bout d’un certain temps, on se retrouve avec un rasoir ou une brosse à dents électriques en main.
… L’expérience de la nouvelle “machine universelle“ est quelque chose qu’on réalise que lorsqu’elle fait déjà partie de notre quotidienneté, lorsqu’elle est déjà entrée dans nos maisons, dans les gadgets de nos enfants”[19].
L’affirmation graduelle de la flexibilité post-fordiste a généré un mal être existentiel croissant, un climat d’insécurité diffus, un désarroi social et politique dont l’explication n’est pas seulement conjoncturelle.
Incontestablement, le chômage de masse, la précarisation et la paupérisation de couches toujours plus amples de la population active, sont des phénomènes qui concourent à expliquer ce climat d’insécurité, ce “no future” qui fut un mot d’ordre des certains des mouvements des années 70.
v.Organisations et limites des luttes précaires
Le travail précaire et autonome entreprend son chemin au sein de la société nouvelle. Mais il s’agit d’un nouveau monde qui doit frayer son chemin dans les plies de l’ancien.
Les travailleurs précaires et autonomes sont les “invisibles”, ils sont “… sortis de l’histoire séculaire des conflits du travail et de son système de droits qui était construit sur la reconnaissance de la légitimité de ces conflits … ils sont sortis de la démocratie moderne et de ses mécanismes de fonctionnement … tout d’abord de celui qui assurait visibilité et représentation au sujet faible …”[20]
Il est suffisant de considérer l’impraticabilité de la grève pour comprendre leurs difficultés à être représentés.
Il nous est difficile d’imaginer une action collective sans l’instrument historique du conflit de travail.
Il manque la possibilité de rétorsion face au commissionnaire.
Les travailleurs précaires et autonomes sont mutilés dans la forme historique de lutte (la grève) et de représentation (le syndicat) traditionnelle du travail.
Leur statut peut se construire seulement à travers des formes de coalition et de tutelle des intérêts collectifs capables d’inscrire le conflit dans une forme “autre” par rapport à celles connues historiquement par le mouvement ouvrier.
Pour l’instant seulement le recours à la loi ou la forme de la mutuelle (società di mutuo soccorso) semble correspondre aux besoins. Mais le concept de base de la mutuelle est la fourniture de services aux adhérents, il faudrait arriver à définir les services et leur forme d’affectation avant que ce type de travail soit capable d’auto tutelle.
Ces travailleurs accusent aujourd’hui un défaut d’identité qui le porte à l’isolement et à la fuite face à l’Etat entendu en tant qu’administration des droits et des ressources collectives.
La démocratie est à nouveau en cause. Puisque les travailleurs précaires et autonomes sont sortis du système des droits acquis par le travail salarié ils ont des difficultés à se sentir citoyens.
D’ailleurs une démocratie ne se constitue pas sur le pouvoir de négociation d’une seule catégorie mais sur un pouvoir dont l’exercice est praticable par tous ces qui en ont le droit.
Entre temps des réseaux d’aide se mettent en place : par exemple en Italie s’est constitué une sorte d’équipe qui apporte une assistance légale sur la précarité (info, solutions, solidarité).
Cette initiative tente de faire le lien entre les différentes problématiques concernant la précarité : immigration, logement, etc.
Sur Internet un portail d’accès existe, “ le portail des invisibles ” qui matérialise et fournit des informations ou des solutions relatives à la précarité.
Un nombre important de réseaux et d’organismes de lutte existe et ouvre pour la reconnaissance de droits des travailleurs précaires.
Parmi eux j’ai focalisé mon attention sur les PAP : Précaires Associes de Paris, qui a son siége dans le 19eme arrondissement de Paris et sur le Cobas della scuola de Gênes qui siége dans le quartier Maddalena.
Pendant toute l’année 2005 j’ai participé à leurs réunions, j’ai collectionné leur production écrite (interluttants etc.)… et j’ai reçu quotidiennement sur mon courrier électronique les informations relatives à leurs actions et rendez vous variés.
Le réseau des Précaires Associes de Paris assemble différents réseaux dont la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de France, le Collectif résistance au travail obligatoire, le Collectif des Mal Logés en Colère, AC ! Agir ensemble contre le Chômage, Act Up, Droits Devant, CNT et bien d’autres.
La Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de France sont sûrement les collectifs plus connus.
Cela est du principalement aux évènements de l’été. Le festival d’Avignon et bon nombre des manifestations culturelles prévues furent bloqués par les luttes des intermittents du spectacle.
Ceci fit remonter aux yeux du grand monde les problématiques des travailleurs intermittents et précaires.
Pour introduire leurs thématiques de lutte je produis ci après des extraits de l’appel à l’Euro May Day 2005, la journée de lutte européenne des travailleurs précaires et autonomes. Tout d’abord la version “européenne” et ensuite la version “italienne”.
”Appel à l’EuroMayDay 2005
MAYDAY MAYDAY MAYDAY MAYDAY MAYDAY
La condition de vie et de travail la plus répandue en Europe est la précarité.
Celle-ci touche davantage de personnes chaque jour et dans chaque aspect de la vie : choisie ou subie, la majorité de la population expérimente la précarité généralisée.
Les précaires sont actuellement au cœur du processus de production de richesses. Or, malgré cette centralité, nous restons invisibles et ne comptons pour rien dans les formes traditionnelles de représentation sociale ou politique et dans le calendrier européen.
Précaires d’Europe, travailleurEs flexibles et temporaires, migrantEs, étudiantEs ou chercheurEs, serfEs démotivéEs du salariat, licenciéEs ou employéEs rompuEs au temps partiel, salariéEs à l’emploi discontinu, chômeurEs volontaires ou non, nous nous emparons du présent et nous battons pour de nouveaux droits collectifs et gagner ainsi en libertés.”
Mayday, Mayday ! L’appel italien
“Un spectre hante l’Europe, celui de la précarité. Mais pas d’inquiétude, nous sommes en train de le combattre en rassemblant nos forces, désirs, besoins, rêves et relations. Après quatre années de Mayday, nous pouvons dire que nous sommes toujours là pour regarder autour de nous, et décider quel chemin il convient de suivre.
…Le pire destin c’est la routine, seuls à graviter entre bureau, métro, télé et café.
…Nous réaffirmons l’autonomie et “l’alternative” des contenus et des méthodes de la Mayday Parade par rapport aux célébrations nationales du premier mai organisé par les syndicats confédéraux place San Giovanni à Rome”
Ce groupement de collectifs, très actifs, produit une profusion de micro actions qui se déroulent toutes avec à peu prés le même scénario que je peux décrire pour avoir participé à la mise en scène.
A l’occasion il s’agissait de l’occupation de la Boutique SNCF de Avenue Secretain dans le 19eme, mise en œuvre par le groupe local de AC !
Un petit groupe de personnes (quinze, vingt au maximum) occupe rapidement les locaux en question, le ton est agressif et immédiatement il y a des altercations.
Les personnes présentes sur les lieux (pour faire des billets de train) suivent les échanges verbaux de façon très étonnée. Le tout est très rapide et même s’ils voulaient (ce qui n’est pas le cas) il serait difficile de prendre la parole. Leur moment vient généralement après, quand a lieu la distribution des tracts. La distribution s’effectue à l’intérieur.
L’extérieur est rapidement mis sous contrôle par la Police qui arrive subitement avec un grand déploiement de force.
C’est d’ailleurs à cause de la présence massive de Police que les passants, et ceux qui sont à l’extérieur arrivent à comprendre qu’il est en train de se passer quelque chose.
Mais il n’est pas clair de quoi il s’agit et où, si on identifie le lieu on se garde bien d’aller fouiller son nez. Le CRS fonctionnent en bon déterrent.
A l’intérieur on explique à l’assistance les raisons des chômeurs et pourquoi ils devraient voyager gratuitement, à l’occasion l’audience n’était pas forcement contre. Mais le contexte désagréable et ne favorise pas l’expression d’une quelconque solidarité
Après quelque autre échange acide avec le responsable de l’agence nous sommes partis. La Police dehors faisait peser sa présence.
Je suis rentrée. Les autres sont partis en discutant la portée de l’action.
Ce qui m’intéresse ici de discuter n’est pas la légitimité de l’action ni son bien fondé.
L’objectif est de considérer ces pratiques en essayant de comprendre si elles sont encore d’actualité. Si elles sont susceptibles de rallier des individus extrêmement sensibles mais en retrait comme les personnes au cœur de cette recherche.
Je me suis occupé du mouvement de 77 en Italie parce qu’il représentait l’émergence d’un nouveau mode de concevoir le travail et l’agir social. Mais les luttes des années 70 (je reste volontairement dans le vague) étaient comme un enfant dans le corps d’un vieillard.
Une grande force positive enfermée dans des schémas expressifs anciens, ceux (invariablement) du mouvement ouvrier. Il n’était pas possible autrement.
Aujourd’hui “la démocratie est en train de devenir, pour la première fois, une possibilité réelle à l’échelle globale”[21]
Les textes que je viens de reproduire portent les stigmates de la cristallisation d’une expérience. Il est inévitable c’est dans la dynamique de tout ce qui est vivant.
Ces moyens d’expression et de lutte correspondent à la phase historique qui vient de se terminer. Ils sont périmés, inutilisables, morts aux yeux des nouveaux porteurs de luttes. Un mouvement peut survivre si, et seulement si, sait faire de ses mots d’ordre le point de départ des luttes qui viendront.
Le refus du travail aliéné de nature fordiste, le refus de la délégation, le besoin de participation directe sont au cœur de la modernité.
Tout mouvement laisse des sédiments que j’appellerai avec un peu d’amertume les oubliés de l’histoire (du point de vue subjective)
La peur qui les imprègne en est un symptôme éloquent. “Nous sommes pourtant là”, “nous” qui ? Les précaires (malgré la dureté de l’existence) ne craignent pas disparaître …
C’est un sujet politique agonisant qui s’exprime.
DU POSSIBLE, SINON J’ETOUFFE
Précarisés, expulsés, pressurisés, nous sommes pourtant bien là.
Combien coûte un logement ?
Combien coûtent les transports en commun ?
Combien coûtent le pain, la viande ?
Et nous, que valons-nous encore ?
Quel sens donner à nos vies lorsque les droits les plus élémentaires sont remis en question ou bafoués ?
Bâtir des forces contre la peur.
Ne laissons pas détruire les droits collectifs et la solidarité entre tous. A partir de nos pratiques et expériences, exigeons des droits nouveaux !
Ce que ces mois de lutte nous ont appris, nous voulons le partager avec tous.
Nous voulons librement circuler, penser, travailler.
Nous voulons du temps.
Nous voulons des soins, des médicaments.
Nous voulons apprendre.
Nous voulons fabriquer, bricoler, inventer.
Nous voulons de l’attention, du repos.
Nous voulons un toit et de l’eau.
Nous voulons chercher. Nous voulons continuer.
Nous voulons vivre.
Le 19 avril 2005 un Communiqué signé par la Coordination intermittents précaires de Ile de France, Act Up, AC !, Droits Devant, CNT démarre par : “Nous, précaires, intermittents, chômeurs, travailleurs flexibles, mobiles, migrants, malades, handicapés,” quand je l’ai montré à Alain pour avoir son avis il s’est exclamé : “qui peut avoir envie de se reconnaître là dedans ?”
« Donne-moi tes pauvres, tes exténués
Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les-moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte
De ma lumière, j’éclaire la porte d’or ! »[22]
Ce sont les paroles de la poétesse Emma Lazarus, elles sont gravées au pied de la Statue de la Liberté à Ellis Island.
“Il rifiuto del lavoro era immaginabile in una società fordista, oggi diventa sempre meno pensabile. C’é il rifiuto del comando sul lavoro, che è tutt’altra cosa. Quando si dice esodo si tratta di riuscire a costruire delle nuove forme di vita”[23].
Organisation de l’enquête empirique
a. Présentation
Cette recherche se fonde sur l’étude comparative de deux configurations à priori semblables au départ qui s’avèrent, sous certains points de vue, plus différents que prévu à l’arrivée.
L’observation doit permettre d’exposer certains nombres de pratiques, de présenter les sujets qui en sont acteurs ainsi que une ébauche de leurs modes de vie et des convictions qui les accompagnent.
Les individus en question sont pris en compte en tant qu’acteurs d’un territoire. Ces personnes habitent le même quartier et ils en déterminent une partie de ses caractéristiques.
Il s’agit de vérifier l’existence d’un dénominateur commun qui lie les membres de chaque réseau en partant des situations subjectives externe au travail, et donc non réductibles à des éléments corporatifs.
Il se fait d’observer autour de quels objets ce dénominateur se constitue. Paradoxalement, on parviendra au constat que la nature du travail effectué est, en effet, un des facteurs qui forment le réseau.
Ce premier élément d’observation posé, la deuxième intention est de comprendre la nature et les modalités de leur agir social et politique
Un troisième objectif est de déterminer quel type de connexion existe entre les deux réseaux et les gouvernements locaux respectifs et de quelle façon cette relation s’aménage ou ne s’amenage pas.
Tout d’abord seront présentés les territoires de l’enquête : le quartier de la Maddalena à Gênes et le quartier Secretain à Paris.
L’analyse comparative des principaux points de similitude et de dissemblance s’ordonnera autour de quatre grands thèmes :
– Genèse, le lieu de rencontre, la vie quotidienne.
– Les histoires de vie, éléments de biographie communs.
– Travail flexible : temps de vie, temps de travail.
– L’agir commun.
b. Les territoires retenus
“La città contemporanea evidenzia la sua natura dinamica, il suo essere città- flusso, concepita come un accampamento sulle rive del tempo, attenta alla sua eredità storica ma governata dal movimento, dalla trasformazione, dalla transitorietà.”[24]
Gênes, centre historique, quartier Maddalena
Gênes a encore perdu 11,1% de ses habitants entre les deux recensements : 950.849 en 1991 contre 870.553 en 2001.
“Capitale de la manufacture publique, Gênes à été victime de la deindustrialisation comme aucun autre site productif e la crise des ses industries a eu un rôle non secondaire dans son déclin démographique e sur la vie professionnelle de milliers de jeunes, obligés à se transférer ailleurs pour trouver des débouchées professionnelles.
Les plus grands secteurs productifs qui sont restés à Gênes (énergie, transports, information technology, chantiers) attendent depuis des années des éléments de sécurités sur leurs futurs.
Ils ont été définis non stratégiques par un holding industriel plus attentif au secteur défense /aérospatial, on a pensé souvent à les vendre ou à les faire confluer dans un nouveau holding plus orienté vers des activités civiles.”[25]
Face à l’impossibilité de revêtir une forme homogène, la ville a assumé un caractère de “bricolage”, elle s’est fragmentée dans l’incapacité de dominer la complexité des systèmes urbains.
La crise économique et industrielle des années ’80 a laissé des marques profondes: chômage, exclusion, immigration. Le déclin a investi les secteurs, autrefois forts, du développement génois, capitaux publics, sidérurgie, industrie privé.
Les zones importantes de friches industrielles sont les signes, les stigmates de la deindustrialisation. La transition d’un industriel à un model post-industriel, n’est pas sans surprises. Sur le terrain économique on a vu la fragmentation de l’occupation dans l’industrie, l’affirmation de la micro entreprise le nouvel élan du local, cela s’accompagne à une demande accrue d’amélioration des conditions de vie urbaine.
“ Le G8 et le programme pour Gênes capitale européenne de la culture rejoignent ces objectifs de visibilité, attractivité et identité nouvelle. Gênes veut sortir de l’ombre, réapparaître sur les carte géographiques et discuter de la globalisation.
Depuis 90, Gênes subit des transformations importantes au niveau architectural et urbanistique.”[26]
Le quartier de la Maddalena, comme tout le centre historique est au cœur de ces changements.
Il compte 98.269 habitants pour une surface de 548,2 hectares.[27]
Il est situé au cœur du centre historique, un lieu grouillante de vie, d’histoires, de trafiques, des mondes differents qui partagent les mêmes espaces, s’effleurent et s’ignorent réciproquement.
Ici les rejetons des la noblesse locale habitent en proximité des immigrés qui s’installent dans des anciens palais de la renaissance dégradés et croulants.
Peu loin de là des boutiques d’alimentaires, ou de produits ethniques, des boutiques avec des prétentions (mode, antiquaires, galeries) et au pied des immeubles une armée de prostitué converse devant des locaux signalés par des lumière rouges.
Un quartier entier qui historiquement est habités par les transsexuels demeure à coté des plus importants départements universitaires du pole littéraire, les junkies se retrouvent dans de ruelles, des placettes qui penchent sur des écoles, des musées, des églises : des petits bijoux moyenâgeux perdus dans les boyaux de cette “ville intestinale” comme la disait Gino Paoli, auteur génois.
Mais cela change vite et dans ce fatras de pierre, sans arbres et sans jardins, dans ce lieu qui abritait une population hétérogène d’immigrés et de “lumpen” les prix flambent : “la Maddalena” est aujourd’hui en pleine gentrification.
Il a fallu, pour cela, attendre très long temps, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale les débris des bombardements patientaient en espérant être ramassés par une “administration de bonne volonté” et maintenant que le processus est en route les génois n’en reviennent pas.
Paris, 19eme arrondissement, quartier Secretain
Paris est une capitale assez petite, seulement 87 km2 : une ville qu’on peut traverser à pied.
Une ville qui change : alors qu’à la Libération, Paris comptait 65% d’ouvriers et d’employés pour 35% de cadres et de patrons, les proportions se sont aujourd’hui inversées.
On est passé d’une ville populaire à une ville bourgeoise.
Dit Monique Pinçon-Charlot : “La gentrification est un processus culturel et géographique qui transforme les quartiers populaires du centre et de l’est de Paris au bénéfice (d’une) … nouvelle petite bourgeoisie émergente.
Son mode de vie est très différent de celui des petits bourgeois traditionnels. … Peu représentatif de l’ensemble national à cet égard, Paris concentre énormément de métiers artistiques, de la mode, du cinéma, de la presse.
… (Ils habitent) des espaces libérés à la faveur de la désindustrialisation de la capitale … ils … sont justement nés du développement de secteurs économiques comme les nouvelles technologies, la grande distribution, l’enseignement ou les médias, qui ont produit une nouvelle élite, des actifs plus jeunes que la moyenne, des diplômés assez à l’aise dans des familles recomposées avec une idéologie libertaire, menant des modes de vie très différents de la bourgeoisie de l’Ouest (parisien.)[28]
Le 19ème arrondissement est encore un des grands quartiers populaires de Paris… Il comptait en 1999 une population de 172.730 habitants, avec une progression de 4,6% de sa population entre 1990 et 1999, alors que Paris perdait en moyenne 1,3% de ses habitants entre ces deux recensements.
Le 19 est caractérisé par une population jeune. Avec 23,9% d’habitants entre 0 et 19 ans il dispose du plus fort taux parisien pour cette classe d’age, qui ne représente que 18,3% de la population parisienne dans son ensemble.
Le revenu moyen des habitants du 19ème arrondissement est de 14.600 euro (94.000 francs en 1997, contre 22.000 euro (146.000 francs) en moyenne pou l’ensemble de Paris
L’arrondissement est schématiquement coupé en deux par l’avenue Jean Jaurès avec :
– au Nord, une population plus jeune (25% à 27% de 0 à 19 ans contre 23% en moyenne) et plus mélangée (19% à 20% de population étrangère contre 17% en moyenne sur l’arrondissement.
– Au Sud, une population plus âgée (17% à 19% de plus de 60 ans contre 16,3% en moyenne pour le 10ème.)
– Le Nord articulé autour de l’avenue de Flandre est composé d’une part importante d’ouvriers et employés alors que la population active du Sud comporte plus de catégorie socio professionnelles supérieures. Le secteur des Buttes Chaumont atteint plus particulièrement un taux de chefs d’entreprises, cadres supérieurs et professions libérales supérieures à 40%.
Le secteur de l’Avenue Secrétan se situe au sud de l’avenue Jean Jaurès et dispose d’une situation intermédiaire entre le Nord de l’arrondissement et les Buttes Chaumont en termes de caractéristiques de population.
Dans ce petit secteur, niché entre les lotissements de logements populaires et la Butte Bergère, vit le menu réseau de personnes dont il sera question dans les pages à venir.
a. Phasage de l’enquête de terrain
Gênes est la ville où j’ai fait mes études et où j’ai vécu, travaillé et milité pendant dix ans. Je connais certaines des personnes et des collectifs dont il est question depuis 1980. C’est à cette époque qu’idéalement j’aimerais situer le départ de la recherche.
Paris est le lieu où je vis depuis 1993, le quartier Secretain, plus particulièrement est mon “chez moi”. Les personnes et les collectifs dont je m’occupe partagent mon quotidien et ma vie.
Ici la recherche à lieu tous les jours.
Cet écrit est l’aboutissement d’un long parcours et le point départ d’une autre recherche.
Tout angle de vue est par nature subjectif et donc contestable.
J’ai essayé de faire de mon implication, de ma connaissance des deux terrains et des personnes un élément de force en l’utilisant pour fournir les clefs de lecture nécessaires à la compréhension. En particulier par le jeu des ressemblances et des contrastes et des confrontations.
Ce travail a duré un an et s’est articulé en trois phases :
1) Recherche documentaire et définition des critères d’investigation.
2) Réalisation de l’enquête de terrain.
Définition de l’échantillon, guide d’entretien, réalisation des entretiens …
3) Etablissement d’une grille d’analyse
Il s’agit d’une tentative de donner une vision synthétique, que dans son souci de clarté est évidemment simplificatrice.
Un premier niveau d’analyse vise à définir les éléments constituants et les dynamiques que les animent.
– Genèse, le lieu de rencontre, la vie quotidienne.
– Les histoires de vie, éléments de biographie communs.
Un deuxième niveau d’analyse essaie d’identifier les scénarios et les pratiques originales.
– Travail flexible : temps de vie, temps de travail.
– L’agir commun.
b. Outils, archives, entretiens
L’échantillon de quelques dizaines d’entretiens ne prétend pas évidemment à une représentativité au sens statistique, il est, tout de même significatif dans la mesure où les interlocuteurs ont été choisis en fonctions de leur exemplarité.
En dehors des informations biographiques classiques (age, niveau d’études, origine sociale, profession) les d’entretiens suivaient trois axes généraux, si l’on exclut les variantes subordonnées au profil de la personne interrogé :
1) sa trajectoire personnelle et professionnelle, motivations et circonstances des choix, période dont elles sont est advenues.
2) sa vision de l’activité de travail, sa stratégie professionnelle.
3) ses représentations de la société, ses perceptions de l’avenir, de la politique, envisage t’il de s’engager en quelque chose?
S’engager sur le terrain de l’entretien biographique signifie évidement s’engager dans une démarche d’extrême difficulté sous differents points de vue : déjà la restitution d’un matériel extrêmement vaste, souvent confus, difficile parfois à réorganiser et à rendre intelligible.
Certains interlocuteurs on mis en place des stratégies d’évitement des thèmes gênants.
Ils se sont révèles intarissables sur la critique des institutions (école, mairie, associations) pour retarder au maximum l’entrée dans certains sujets (est ce que tu comptes t’impliquer en quelque chose?)
La réflexion sur ces éléments à rendu possible de mesurer combien ces questions entraînaient certaines personnes sur des terrains ambivalents.
En considérant l’activité professionnelle, il s’agissait, pour quelqu’un, de gérer à la fois la fierté du choix fait et la frustration face au manque de reconnaissance sociale ou les difficultés liés à la discordance entre les idéaux de départ et leur accomplissement dans la vie adulte.
Ces éléments m’ont incité à réfléchir sur l’importance d’une approche multidisciplinaire qui puisse accompagner la complexité de la thématique et en même temps porter et mettre en évidence l’importance des aspects subjectifs.
D’où le constat que se confronter au terrain signifie apprendre à être modeste et encor plus à gérer sa frustration face à la complexité que les phénomènes sociaux assument aujourd’hui.
Pour compléter les informations et soutenir le discours biographique il était possible de puiser, d’une part, sur tout ce qui est produit par la presse militante (pour ce qui concerne les groupes organisés bien évidemment), les archives (rare), les sites Internet et les listes d’informations des differents collectifs.
Les réseaux de coopération comme potentiel politique
1. Les réseaux de coopération ou l’invisibilité
“ … ci troviamo di fronte alla diserzione, o, meglio, all’esodo. Non c’è più la possibilità del sabotaggio classico, o di un rifiuto luddista, perchè ci siamo dentro. Oggi il lavoratore lo strumento di lavoro se lo porta in testa, come fa a rifiutare o a sabotare il lavoro? Si suicida? Il lavoro è la nostra dignità…
… Per dare un immagine diquello che sta succedendo dal punto di vista della soggettività, non abbiamo che le immagini del materialismo primitivo lucreziano: c’è un grande movimento di particelle, atomi, singolarità che si mettono assieme e costruiscono qua e là.”[29].
Le choix de consacrer une réflexion à des petits réseaux de quartier signifie à mon avis porter un intérêt aux propriétés relationnelles des individus et donc à une conception positive et émergente du social. Ce choix veut relever le défi du multiple, il veut avoir une approche d’un empirisme radical. Il veut regarder un monde fluide, continu où tout peut se connecter avec tout, mais qui n’est pas pourtant chaotique.
a. Genèse, lieu de rencontre, la vie quotidienne.
J’ai observé deux petits réseaux composés chacun par une quinzaine de groupements familiaux : le premier à Gênes, dans le centre ville. Le deuxième à Paris dans le 19° arrondissement.
J’appelle “réseau” l’entrelacement de relations et d’échanges qui existe parmi ces individus, mais aucun de ceux qui en font partie ne le définit ainsi et tous agissent manifestement comme si, ce qu’à mes yeux constitue une forme élémentaire et en même temps extrêmement raffiné et complexe d’organisation de base, n’existait pas.[30]
Les échanges et le partage d’informations et de services sont limités à une communauté de personnes définie. Dans la réalité, ils ne sont pas ouverts à tous, tout en étant (au moins idéalement) expansifs et sans limites.
Les réseaux disposent des formes d’auto régulation. Il y a une “modération” implicite quant à la participation de ceux qui ne correspondent pas aux critères établis (ex. parents inattentifs, profiteurs )
Bien que Gênes et Paris soient des villes très différentes, les pratiques qui sont à la base des agrégations sont analogues.
Les deux réseaux se sont formés autour de l’école.
L’école élémentaire Daneo, qui accueille 154 enfants (de six à dix ans) en provenance du quartier de la Maddalena à Gênes et l’école maternelle Sadi Lecointe, fréquenté par 159 enfants (de trois à six ans) habitants le quartier Secretain et ses environs, à Paris.
Les individus dont il est question sont rentrés en relation grâce à leur attitude de “parents concernés” ou des “parents professionnels” comme ils aiment tous plaisanter.
Ils se sont connus et ont établi des relations dans les classes des écoles respectives, en échangeant leurs idées, en bavardant sur les besoins des enfants et sur leur éducation.
Dans la configuration “parisienne” les affinités naturelles des enfants et des parents, qui étaient d’ailleurs convergentes, ont déclenché les fréquentations réciproques : les personnes ne se connaissaient pas auparavant.
Au contraire parmi les génois, quelques-uns partagent depuis longtemps des histoires de vie et d’engagements (présents ou passés.)
Dans les deux groupes, la majorité écrasante, affirme avoir fait le choix d’inscrire son fils à l’école publique.
Les uns et les autres déclarent avoir ont pris en considération des hypothèses éducatives différentes (Montessori, Steiner, école allemande, école privée catholique, école italienne …) mais qu’au bout des comptes le “publique nous à paru la meilleur chose, c’est un choix qui permet à l’enfant de vivre dans le monde normal … de connaître la réalité … je ne voulais pas pour mon fils un milieu fermé de petits protégés … tous pareils … ” Anne, Paris.
“… je viens d’une famille d’enseignants, pour moi le public représente encore une valeur … pour moi public veut encore dire “fait ensemble”, alors que privé … privé… est un mot que je n’aime pas … ça veut bien dire qu’il y a quelqu’un qui a pas droit…” Alain, Paris
Leur présence au sein de l’institution publique est donc le fruit d’une préférence affirmé, malgré ça, les critiques sur “les carences de l’école” sont nombreuses. Les parents parisiens sont vraiment intarissables à ce sujet.
Il vaut peut être la peine de préciser que les deux écoles prises en considération présentent des caractéristiques de réelle “mixité sociale”. Il est d’ailleurs assez paradoxal à relever parce qu’en effet cette “mixité” qui constitue la raison de leur présence dans l’école publique n’existerait sans pas sans eux.
C’est la présence des deux réseaux qui fait la différence et qui encourage d’autres parents du même milieu social à rester dans l’établissement.
J’ai eu la possibilité de confronter cette supposition au cours d’une discussion avec les directeurs de deux écoles qui confirment cette hypothèse.
La directrice de l’école de Gênes affirme que les parents sont conscients de ce pouvoir. Ils font jouer ce point de force dans toutes les négociations.
Les groupes ont une visibilité à l’école.
Pour le groupe de Paris la structuration s’est faite au moment de la constitution d’une liste de parents d’élèves au sein de la FCPE. Cette liste a été élue (il n’y en avait pas d’autres …) et sans grandes variations représente, depuis trois ans, les parents au Conseil d’école.
Les génois aussi se sont constitues autour du “Comité d’école”, l’organisme qui, prévue dans le cadre des Decreti delegati[31], organise la représentation des parents à l’intérieur de l’établissement scolaire. Seule différence : à Gênes la collaboration est ouverte à tous ce qui désirent participer, et cela malgré les textes prévoient un nombre définis d’élus.
Les enfants sont un élément central dans l’organisation de l’existence de ces familles (français et italiens.)
Ils représentent la réification de toutes leurs convictions. L’éducation des enfants représente une forme de mise en application des credos, un fait public, une forme de militance.
La coopération entre ces petits groupes de personnes s’est s’organisé autour des enfants pour déteindre sur tous les autres aspects du quotidien.
b. Histoires de vie, éléments de biographie communs
Les informations biographiques classiques (age, niveau d’études, origine sociale, profession) montrent une homogénéité dans la composition des deux réseaux.
Les personnes qui en font partie appartiennent à une tranche d’age entre 35 et 45 ans.
La maîtrise est le niveau moyen des études.
Ils sont issus du prolétariat (quelques-uns), des classes moyennes (parents enseignants), de la petite bourgeoisie.
Italiens et français ont des histoires de vie non ordinaires, parfois aventureuses.
Un bon nombre des ces personnes semble avoir suivi le courant de leur vie, sans se soucier de leur avenir professionnel ou du demain plus simplement, en saisissant les opportunités plus proches, en évitant de déterminer des parcours traditionnels.
Leurs existences et leurs histoires professionnelles n’ont pas d’unité et de cohérence apparente (gardien de nuit dans un hôtel et après journaliste, formateur alphabétisation et illustrateur de livres pour enfants, mannequin et ensuite “esprit libre et débrouillard” au Laos etc.)
L’art dans toutes ses formes a une place constante dans ces parcours. Les deux groupes comptent aujourd’hui beaucoup de “professionnels créatifs” et un écrivain.
Les grands voyages et les expériences de travail à l’étranger (des Etats Unis au Japon, du Brésil au Laos) sont une constante présente dans la vie de toutes les personnes enquêtées ou faisant partie des réseaux.
Dans le groupe italien les personnes sont retournées à Gênes après avoir vécu et travaillé hors d’Italie alors que un tiers du groupe des parisiens est constitué par des étrangers : allemands, italiens, sud africains, bosniaques, canadiens …
Une étonnante homogénéité de discours se dégage des entretiens. J’ai retrouvé chez chacun une lutte lucide et acharnée pour défendre sa subjectivité, celle qu’il retient être sa liberté, son droit à une existence particulière.
Dans la majorité des parcours personnels il y a une quête existentielle, un besoin d’unité (quelque part mystique) et de conséquence une habitude (presque philosophique) à la précarité, qui généralement est assumé et revendiqué comme un système de vie.
“… j’ai une copine qui est fonctionnaire … (elle) gagne bien sa vie, tous les mois, elle est propriétaire de son appartement et militante LCR … elle me dit que je suis un riche, que je suis un bobo …
Moi! J’ai passé l’hiver sans travailler … j’étais déprimé, je pensais au suicide de mon père … pourtant elle à raison je me sens riche parce que jamais je ne vivrais dans la peur … bien qu’elle me soit chère, je méprise sa façon de vivre … ” Eckart, Paris, photographe.
Gênes et Paris sont des villes differents.
Paris concentre énormément de métiers artistiques, de la mode, du cinéma, de la presse alors que ces secteurs ont toujours étés sous représentés à Gênes, une ville traditionnellement commerciale.
Malgré ces différences les deux réseaux sont formes par les mêmes types de travailleurs.
Professionnellement ils sont travailleurs de l’industrie du spectacle, journalistes, chercheurs, photographes, formateurs, stylistes, travailleurs du social, comédiens … une vaste panoplie avec les statuts les plus hétéroclites : travailleurs indépendants, intermittents, free lance, sub – contractants, self – employers, travailleurs au noir …
Les deux groupes examinés ne sont pas homogènes du point de vue de l’activité professionnelle.
Ils représentent une pluralité de subjectivités et des fragments de la production qui toutefois identifient un secteur bien précis, qui comporte, lui, les mêmes caractéristiques. Toutes ces personnes appartiennent à des differents secteurs de “l’immatériel”, cette forme de travail qui “crée des produits immatériels, tels que du savoir, de l’information, de la communication, des relations ou encore des réactions émotionnelles … ce type de travail (qui) crée non seulement des biens matériels mais aussi … la vie sociale elle-même[32]”
c. Le travail flexible, temps et lieux de vie et de travail
La réflexion sur les lieux et les temps où l’on produit, représente un premier élément d’analyse pour comprendre l’esprit et l’agir social des deux ensembles des personnes.
Comme on a pu voir ces individus sont flexibles et atypiques dans leur vie ainsi que dans leur travail.
Dans le groupe de Gênes ainsi que dans celui parisien, il arrive que les personnes travaillent la plus part temps à leur domicile. Quand ils travaillent à l’extérieur, souvent, la prestation s’effectue dans des lieux variables, occasionnels.
Ceux qui ont une relation de travail plus traditionnelle et “un bureau” ont habituellement la possibilité de gérer leur temps, où alors ils travaillent “sur projet“.
“… Oui j’ai un bureau et, en principe, des horaires … mais normalement j’arrive à gérer les choses de façon qu’à partir du mercredi soir ou du jeudi, je suis libre et je peux partir à la mer avec les enfants … si vraiment c’est urgent je ramène (l’ordinateur) portable et je travaille par-ci par-là … ce qui leur intéresse sont les résultats … mais les résultats c’est mon métier…” Paoletta, Gênes, Responsable des politiques de formation professionnelle de Comunità Montana dell’Alta Valpolcevera (intercommunalité dans la grande banlieue de Gênes)
“ … j’ai officiellement un bureau et des horaires fixes … seulement mon travail exige disponibilité à n’importe quel moment … il est lié à l’occasion … je travaille partout … il m’arrive de finir chez moi, le soir, plutôt que au bureau …” Alain, Paris, journaliste.
Une des conséquences vérifiables de l’extensibilité de l’endroit où s’effectue la prestation, est l’absorption de ce lieu dans le système de règles de la vie privée du travailleur.
Pour que cela se vérifie, il suffit que le lieu soit régi par des règles établies par le travailleur lui-même, il n’est pas nécessaire que le travail soit effectué chez soi, cela arrive même si les deux espaces de l’habiter et du travailler sont gardés distincts.
C’est alors que la culture, le monde subjectif, les habitudes de la vie privée de celui qui travaille se transfèrent sur le travail.
Ce type de travailleur ne travaille pas simplement avec son intelligence et sa subjectivité, sa capacité de gérer et organiser son activité mais aussi avec les matériels de son histoire, de sa vie privée, dans les mêmes lieux physiques ou il vit sa propre vie, dans sa vie.
“… C’est en effet assez bizarre, quand j’étais plus jeune je ne supportais pas l’idée d’avoir un travail qui soit séparé de moi, de ma vie… j’avais une telle angoisse de me perdre … maintenant j’aimerais bien avoir des moments pour oublier la partie de moi qui travaille … je suis tout le temps à droite et à gauche … je me rends compte que c’est moi, je suis l’élément qui unifie toutes ces expériences, toutes les voix qui me confient leurs vécus … je le porte en moi et de cette façon, à travers moi, aux autres” Marco, Gênes, Thérapeute, consultant et formateur.
“… Travailler c’était devenir un objet et je voulais être le sujet de moi-même … il y a toujours quelque chose à sacrifier pour être libres et je ne supportais pas d’être dans un bureau … sans pouvoir sortir quand je le voulais … là je peux sortir pour m’acheter le journal … dans ma tête c’est important …” Anne, Paris, journaliste/écrivain.
“La première conséquence est que … le travail suit les habitudes et les cycles vitaux de la vie privée … et l’organisation du temps de travail … est un temps de travail sans règles, donc sans limites. La deuxième conséquence est une mutation des habitudes mentales par rapport aux differents coordonnées de la vie civile.
Le travailleur salarié avait l’habitude de passer la plupart de sa vie active dans un espace non à lui, un lieu qui appartenait à d’autres, qui l’avaient modelé et organisé et pour lequel ils avaient écrit les règles qu’il fallait respecter à l’intérieur.
L’aliénation du travailleur salarié divisait la vie de l’individu en deux cycles socio-affectifs, le cycle de la vie privée et celui de la vie affective, l’apparente non-alienation du travailleur indépendant réduit l’existence à un seul cycle socio-affectif: celui de la vie privée“[33].
“ …le boulot m’envahit quand même … je ne supporte pas qu’on m’appelle à sept heures quand j’ai mon fils dans le bain pour parler d’un article dont je me fiche éperdument … (ou alors) il m’arrive d’être attiré par un livre, le sujet m’intéresse moi, et j’écris dessus : c’est du travail ou pas ? ” Anne, Paris, journaliste/écrivain.
Le travailleur indépendant est traversé par vie sociale, tout s’écoule à travers lui, tout se passe dans son salon, il est dans l’impossibilité de séparer de soi même, comme faisait le travailleur salarié fordiste.
“ … je suis envahie par le monde, il n’y a pas de frontière entre moi et le monde … j’aime quand Pessoa dit “J’ai mal à la tête et à l’univers” c’est tout à fait ça …” Anne, Paris, journaliste/écrivain
“ …La relation de l’individu à son activité tend à devenir une monade, dans un sens proche de Leibniz, une totalité en soi (mais) … doublement ouverte : par ouverture interne et par ouverture externe.
La monade est une singularité, mais une singularité qui condense les enjeux des rapports sociaux … cet univers pénètre la monade de l’intérieur, sans en annuler la singularité.
C’est au contraire dans cette singularité, et dans elle seule, que cet univers global prend sens et portée.
Là se situe le paradoxe : interpénétration de deux globalités : une monade dans un univers qui est présent dans son intériorité.”[34]
Rapport au travail, identité professionnelle
“… Si mon employeur m’emmerde, je m’en trouve un autre … parce que tu es ton propre patron au moins dans ta tête … je déteste la mentalité du milieu de l’édition … on te fait comprendre que tu es tellement privilégié que tu ne peux pas demander ta rémunération … (alors que) en réalité on travaille beaucoup plus que si on était au bureau, on est beaucoup plus productif, parce que la prescription vient de l’intérieur de toi, sans que cela ne coûte rien à personne … je bosse beaucoup plus quand je veux faire quelque chose après …” Anne, Paris, journaliste/écrivain.
Le rapport avec le travail est ambivalent, paradoxal : l’individu est maître de son temps et de son espace, il a un pouvoir d’auto organisation, mais il ne se libère jamais de son travail.
“ … La modulation … (est) une domination distanciée, mais qui opère avec d’autant plus de force qu’elle exerce un effet de rappel permanent. Je n’analyserai pas ce phénomène en termes d’intériorisation de la domination, et d’autant moins que les salariés sont … lucides sur ce qui se trouve en jeu (je parle d’un) assujettissement forcé.
Mais il y a liberté. E liberté d’abord dans l’exercice de la puissance de penser, d’agir et de coopérer des individus sujets (qui deviennent sujets dans cet exercice) …”[35]
“ … Pendant longtemps j’ai pensé être nul, inadapté, bon à rien … je me disais que je ne savais rien faire, parce que pour moi travailler c’était produire et je ne produis rien … mon père était artisan menuisier, il savait faire des choses, des belles choses …
L’immatérialité … j’ai compris tout seul … j’ai compris que moi je produis du lien … je suis dans la construction sociale … c’est ce qui m’a toujours intéressé … je travaille vraiment avec ce qui fait de moi, moi-même …” Marco, Gênes, Thérapeute, consultant et formateur.
Le manque d’identité professionnelle conduit à une réaffirmation du rôle de la personne humaine et de l’importance des singularités individuelles.
Le professionnalisme devient une attribution personnelle, il a les marques de l’individu et de l’individu seulement. Le travail fait appel aux qualités cognitives et interprétatives de celui qui travaille dans un contexte déterminé.
La fatigue du travail n’est plus seulement physique, mais aussi cérébrale, comme le montre la prolifération des nouvelles pathologies liées au stress du travail
“… il faut être opportuniste, il faut être à l’affût tout le temps, il faut avoir un train à l’avance tout le temps, on ne peut pas se reposer un moment … je suis mon patron et il faut que je me trouve du boulot, il faut que je sois sur les occasions …” Lina, Gênes, journaliste
Un élément à souligner est l’extrême fierté de toutes les personnes interrogées. Si elles, différemment de l’ouvrier ou de l’artisan menuisier dont il est question dans une des interviews, n’ont pas une fierté de corps.
Elles portent un fort sens d’indépendance, un sentiment de la dignité humaine en vertu du quel refusent toute proximité avec les collectifs dont il était question dans les chapitres précédents.
A cela contribue sûrement un impossible communication sur le plan politique, mais aussi la nécessité primordiale de vivre de soi même, de son travail.
“ …Je ne supporte pas leur attitude (les intermittents), ils sont tout le temps à piauler … ils sont liés mains et pieds aux négociations UNEDIC, ils comptent leurs heures … c’est obsessionnel … je ne veux pas de ça pour moi …je ne veux pas de cette attitude : je porte sur moi la misère du monde …” Eckart, Paris, Photographe.
La condition d’allocataire est une condition de dépendance, dévalorisante, dépréciatrice. Intolérable pour ce qui n’ont que la valeur de soi.
Chacun d’eux est son propre capital, il mise et il investit sur soi même.
Le discours change quand il s’agit de la Sécurité sociale …
d. L’agir commun
“… la banalité de tous les jours n’est pas un thème banal, mais un processus social de première importance, construisant la réalité sociale et construisant l’implicite”[36]
Quand, après les élections du conseil d’école, les membres du groupe parisien se sont réunis afin de déterminer une stratégie pour se frayer une place au sein de l’institution scolaire deux stratégies se sont annoncées. Elles correspondaient aux deux composantes qui constituaient la liste FCPE.
La première position était portée par un groupe, “les homogènes”, composé d’une petite dizaine des personnes, un réseau formé uniquement par des professionnels de l’industrie du spectacle, conteurs, comédiens …
Ils affirmaient que le rôle des parents élus est de s’auto organiser et d’apprendre aux autres parents à le faire. Quant à ceux qui ne prennent pas la parole, aux parents immigrés … ils n’ont qu’à apprendre à le faire !
L’autre position, ressemblait le petit groupe, “les hétérogènes”, dont je fais partie et, voulait défendre l’intérêt de toutes les familles et les enfants qui fréquentaient l’école. Parmi eux quelque ancien militant et un inscrit CGT.
Apres l’organisation conjointe de “la semaine des parents à l’école.” Face aux problèmes habituels de qualité de repas à la cantine les deux attitudes se sont déployés et ont porté à une séparation définitive des deux collectifs.
Les membres premier groupe ont embauché une femme qui était chargée de récupère les enfants à midi pour les faire déjeuner à la maison d’un d’entre eux.
Les autres ont participé aux rencontres FCPE/Mairie sur les nouvelles propositions de composition de repas.
De ce moment il y a eu divorce, “les homogènes” n’ont plus participé à aucune initiative. Les relations entretenues actuellement sont de nature purement formelle.
Les “les hétérogènes” affichent un certain dédain vis à vis des “intermittents”, ressentis comme des égoïstes qui ne craignent pas de renverser “l’état social pour défendre leurs privilèges.”
Ce premier évènement rapproche “les hétérogènes”, la quotidienneté de la vie scolaire aide la constitution d’une maille souple mais efficace, faite d’échanges d’informations, de menus services : chercher les enfants à l’école, échanges de gardes, trouver des chaussures à bon prix …
Le deuxième évènement s’accomplit à partir du constat que les enfants des “hétérogènes” ne partent presque jamais en sortie quand ils sont au centre de loisir.
La directrice du centre de loisir expliquait que les “gamins chanceux” qu’ils sont n’ont pas besoin du centre pour bénéficier de loisirs variés et intéressants. L’équipe privilégie “les enfants en difficulté”, ceux pour qui le centre représente la seule possibilité de faire des activités.
Les parents du groupe, tout en étant très “politically correct”, ne sont pas ravis de payer le plein tarif au centre pour que les enfants passent la journée dans la cour d’école sans rien faire.
Une organisation est vite mise en place. Une équipe de deux à quatre parents à tour de rôle, s’alterne tous les mercredis et les vacances scolaires. Ils accueillent un groupe composé de quatre à huit enfants. Les appartements des uns et des autres sont mis à disposition pour accueillir le centre auto géré. Cela dure depuis trois ans, sans complications.
Il arrive qu’occasionnellement les enfants fréquentent le centre de loisir, mais ce dernier n’accueille désormais que un “public captif.”
A Paris l’action du groupe de parents a affaibli le service public. A Gênes une expérience analogue a contribué à la création d’un service.
Les parents ont organisé la garderie du soir, après l’école. Elle se déroule à partir de 16h dans les locaux mêmes de l’école et accueille une quarantaine d’enfants.
Les parents ont établi les programmes, contacté les associations et les intervenants, ils ont construit les partenariats institutionnels et associatifs, ils ont mis à disposition leurs compétences et savoir-faire, ils ont préparé les goûter et assuré la surveillance des enfants.
Cette expérience dure depuis quatre ans, sous l’égide du Comité de l’école. Jusqu’à maintenant les animations ont eu un cadre absolument informel. Seulement à partir de cette rentrée 2005 il est demandé au Comité de se constituer en association. Cela afin de répondre à un certain nombre de normes de sécurités.
Les parents sont très désappointés : dans cette nouvelle configuration l’activité d’animation est restreinte seulement aux associations et soumise à la présentation d’une police d’assurance. Elle empêchera certains parents de partager leur savoir-faire. Par exemple il n’y aura plus de cours gratuits de calligraphie chinoise ou de violon. Il n’y aura plus de cours gratuits du tout.
Le groupe de Gênes travaille actuellement au montage d’un “groupe d’achat”, pour le faire est nécessaire de se constituer en association. La législation italienne est extrêmement sévère en matière de transport de marchandise.
Aucun transfert de produit ne peut être effectué sans une “bolla d’accompagnamento” (bulletin d’accompagnement)
La discussion se développe (au moment où j’écris) à propos de l’ampleur que doit être donnée à l’initiative.
Elle est susceptible d’intéresser beaucoup de personnes. Les coopératives émiliennes, que Marco à été visiter, ont convenu des prix absolument intéressant (8 euro le kilogramme pour le parmesan au lieu des 12/15 euro pratiqués dans le commerce). D’autres genres de première nécessité comme huile ou pâtes ont été négociés à des prix absolument compétitifs.
Cette activité disposerait d’une bonne marge de rentabilité, elle pourrait très vite prendre une grande allure.
Il serait alors possible de créer une structure de vente au public et d’embaucher quelqu’un pour gérer les locaux et le commerce.
La décision prise est que cette activité aura le seul but de satisfaire les exigences du groupe. L’association est en voie de constitution et en automne elle devrait fonctionner. Un prix légèrement supérieur sera pratiqué, cela pour permettre la location d’un local de stockage.
A Paris en ce même temps on constitue une liste (minimum 10 familles) pour se faire livrer des légumes “du producteur au consommateur” et directement à la maison.
On constitue une liste afin de partager un professeur de musique pour les enfants.
On organise une vente de vêtements, tissus et livres à la maison (publicité à l’école).
On met en place des systèmes d’échange voiture/moto ou vélo/mobylette selon les nécessités (deux personnes seulement se déplacent en transport en commun)
On discute des transformations du quartier, on se demande comment “faire résistance” et affronter la spéculation immobilière.
Il faut rester sur Paris pour être “sur le coup” dans les questions de travail. Seulement deux familles vivent sur le quartier depuis plus de dix ans, toutes les autres sont arrivées dans les derniers 3 ou 4 ans. Ils viennent du Marais, de la zone du Canal St Martin …
On parle de la montée des loyers (une seule famille est propriétaire de son logement) On réfléchit à des formes d’achat multiples … mais ce n’est pas facile… il n’y a pas de capitaux et pas d’épargne …
Mais surtout dans la logique connexionniste et flexible qui anime le groupe le mode de vie locataire correspond mieux aux exigences de liberté des personnes. La propriété ne semble pas être une exigence.
Dans le groupe de Gênes il y a plus de propriétaires, mais les prix des logements avaient tellement diminué dans les ans 80 qu’acheter était largement plus rentable que payer un loyer.
Globalement, en observant l’agir des groupes, ceux de Gênes n’a pas peur de faire les choses en grand.
Paoletta, Marco et Lina : les personnes qui ont répondu à mes questions sont actifs sur la ville depuis 1977. Ils y sont connus et sont capables de faire jouer leur influence, même si aujourd’hui leur agir en tant que membres du réseau représente leur seul agir “politique.”
Cette attitude, plus désinvolte et assuré, les rend dans les faits plus “institutionalisables.”
Les parisiens, au contraire sont absolument invisibles, parfaitement opaques par rapport à l’extérieur.
Il y a comme une hésitation, un brin de clandestinité dans la préservation farouche qu’ils font de leur indépendance. Mais si on tient en compte le comportement phagocytant des institutions, cette conduite en est seulement la conséquence logique.
e. Rapport aux institutions et au reste de la société
Nous nous mouvons “le long d’une autre frontière, celle “où il est intolérable d’être gouverné” … Foucault disait que “ne pas vouloir être gouverné implique de ne pas accepter pour vrai ce que l’autorité soutient être vrai.”[37]
“ …J’ai horreur de la banalité institutionnelle, qui s’approprie de tout ce qui est vivant pour en faire quelque chose de plat, banal, inoffensif … ” Eckart, Paris, Photographe.
J’ai été profondément émerveillé par l’extrême lucidité que les individus ont de leur condition. De plus, ils ont une connaissance détaillée de la politique et de l’offre politique.
“… C’est un monde dur et violent où il y a plein de sources de bonheur … la société est inhumaine et manipulatrice … le capitalisme nous vend des bonnes choses … il nous donne plus de liberté pour mieux nous asservir …
Je n’ai jamais voté, je ne supporte pas que quelqu’un me représente … seulement aux régionales (j’ai voté pour la gauche alternative et citoyenne) çà m’a plu, j’ai eu le sentiment de participer à une aventure collective … mais c’est tout ce que j’ai jamais fait … en fait une fois j’ai fait de l’alphabétisation en tant que bénévole … ” Anne, Paris, Journaliste/écrivain.
Le groupe français est extrêmement en retrait, craintif. Il évite soigneusement la relation avec tous les éléments de la politique traditionnels.
Seulement les anciens militants hasardent la présence aux réunions. (Mais on est deux …) Par contre, tout le monde est extrêmement intéressé par le compte rendu.
Je compte les discussions qui s’en suivent parmi les plus intéressantes et agréables que je peux avoir.
Il s’agit d’un public fin, cultivé, au courant des nouveautés …
“ … la politique m’intéresse, c’est ma passion… depuis qu’on était dans le mouvement … avoir un contrat avec une collectivité, mettre en place un projet … est politique, je ne me fais pas d’illusions, bien sur … mais si je militais quelque part, les compromis seraient encore plus importants … ” Paoletta, Gênes, Responsable des politiques de formation professionnelle de la Comunità Montana dell’Alta Valpolcevera (intercommunalité dans la grande banlieue de Gênes)
Le groupe de Gênes est plus à l’aise face aux occasions politiques. Paoletta avait été contacté par Rifondazione Comunista[38] en vue des élections régionales.
J’ai assisté à une discussion dont l’objet était d’établir les avantages et les désavantages qu’une éventuelle acceptation aurait apportés au “groupe de l’école.”
Ce qui m’a étonné était de réaliser que celui ci était le seul et unique questionnement.
La conclusion a été dans ces termes : le fait de recevoir une demande de rejoindre la liste est, en soi, la reconnaissance d’un pouvoir qu’on a localement. Personne ne désire avoir plus de pouvoir. Pas au sein des institutions, donc : pas la peine de se donner plus de mal.
J’ai du mal à imaginer une discussion empreinte d’un tel cynisme à Paris.
“L’activité domestique de la femme comporte une augmentation de ses qualités cognitives, parce qu’il est nécessaire d’interpréter constamment, et de traduire en travail vivant, les signes et les informations qui proviennent du contexte dans lequel la famille est insérée.
Inviter un tel ou une telle à dîner, décider de ce qu’il faut cuisiner “pour être à la hauteur” de la situation, élaborer des stratégies relationnelles pour faciliter la carrière du mari, investir dans les réseaux de rapports socio-culturels pour assurer aux enfants un environnement favorable à leur éducation.
Le travail vivant devient de la sorte toujours moins un travail matériel dans le sens de mécanique et d’exécution, mais toujours plus un travail de relation et de communication, ce qui n’en réduit pas la quantité, mais en modifie la substance”
Place des femmes
“Dans le cas du langage et de la communication féminine, ce qui est réellement nouveau par rapport aux pratiques de luttes classiques c’est le fait que la sphère publique est immédiatement constitutive de communauté politique.
L’innovation politique de portée générale est dans les formes qu’on choisit pour parler ou se taire, pour changer la réalité ou interpréter la réalité qui change: pour faire de la politique et du lien social. Jamais ce ne furent les mêmes formes, les mêmes gestes et les mêmes mots que ceux de la politique des hommes.”[39]
“C’est un croisement d’ouvertures internes vers l’extérieur, un échange de monade à monade, une sorte de respiration externe, qui prolonge chaque monade dans la nécessité de plein accomplissement de ses actions. Un sujet à la recherche d’un autre sujet.”[40]
2. La structure politico – administrative est inadéquate aux nouveaux besoins de la société
“ … Parler d’exode est intéressant seulement, ce n’est pas nous, mais les autres qui sont dehors …” Anne, Paris, Journaliste/écrivain.
La difficulté de la période post-fordiste est de trouver un niveau de médiation supra-individuel, un plan sur lequel consolider des consensus durables et des compromis.
Cette incapacité découle du court-circuit entre innovation entrepreneuriale et gestion politique de ses effets sur les relations sociales.
A l’époque fordiste la séparation des deux systèmes venait du fait que les décisions étaient qualitativement différentes.
D’un côté se trouvait la sphère économico-productive, avec ses restructurations et ses innovations, de l’autre la sphère politico-administrative avec ses problèmes de gestion, de médiation et de régulation des effets de ces processus restructurant.
“La réglementation de type normatif du marché du travail – qui était pourtant une caractéristique du fordisme, et dont les représentations mêmes des intérêts conflictuels et antagonistes étaient appelées à concourir à la production des normes pour la solution des problèmes – fait place, dans le post-fordisme, à une sorte de “féodalisme industriel.”
Le marché du travail devient le lieu de la précarité, de la fragmentation, de la différenciation de classe, de race, de sexe, de l’absence de droits universels.
Dans cette transformation réelle du mode de produire s’enracine le de “démocratie totalitaire”, de démocratie sans droits qui se trouve devant nous comme un scénario tout à fait possible.
Démocratie sans droits, parce que le rapport en temps réel aux goûts des “gens” (non plus appelés “citoyens”, à savoir sujets de droit, mais “consommateurs”, “clients”, sujets de consommation) mine toute médiation juridique, tout rappel à des normes juridiques durables”[41]
Aujourd’hui la sphère productive, en pleine transformation, et la sphère politico-administrative ne sont plus adéquates l’une à l’autre, aujourd’hui le rapport entre le travail et le système politique et social s’est renversé.
La dimension de plus en plus collective du travail opère un déplacement vers une conception du salaire qui met en avant le rôle décisif des règles et conventions établies entre entreprises, salariés et État social pour la mesure et la reconnaissance des savoirs collectifs et de leur rémunération.
L’affaiblissement de l’État ouvre des espaces inédits d’action politique, au niveau local notamment ou la défense conservatrice du territoire a conduit à confondre les droits attribués à l’homme avec ceux du citoyen défini territorialement.
Il nécessaire de définir le fondement de la citoyenneté à partir d’une notion dans lequel la représentation politique serait l’émanation directe de projets concrets définis socialement à partir des groupes et/ou associations, hommes, femmes, qui agissent sur le terrain.
f. Enjeux politiques et sociaux des collectivités territoriales
Le langage politique a accumulé du retard par rapport à la transformation post-fordiste.
S’explique aussi en prenant en compte ce qui est arrivé dans le monde de la recherche scientifique, dans des cercles académiques toujours plus restreints et fermés, toujours plus spécialisés et jaloux de leur exclusivité.
“ L’entrepreneur, lui-même et en tant que tel, se fait homme politique, sujet de Gouvernement, abolissant la séparation typique de la démocratie représentative entre sphère économique et sphère politique.
… Le berlusconisme n’est pas une anomalie “télévisuelle” que l’on peut liquider avec une loi anti trust quelconque, c’est au contraire une expérimentation du gouvernement post-fordiste, qui résume, dans une forme certes explosive, tous les traits de la tendance historique amorcée par la transformation post-fordiste.” [42]
g. Un nouveau concept de service
La diminution réelle des salaires entraîne aussi une pression de la part des consommateurs pour l’amélioration de la qualité des services et pour un ralentissement de l’augmentation des prix de ceux-ci.
La résistance sur le front de la consommation de services, comme réaction à l’affaiblissement des rapports de force sur le versant de la création et de la distribution des revenus, agit donc de manière restructurante et rationalisante dans le secteur des services, et en fait augmenter la productivité grâce à l’utilisation des techniques post-fordistes déjà expérimentées dans le secteur industriel.
Même de ce secteur, traditionnel foyer d’inflation du fait de sa moindre productivité, il ne faut pas attendre de poussées vers des augmentations inflationnistes des prix.
Nous continuons à nous interroger parce que les réponses aux problèmes qui se posent de plus en plus sont multiples mais ils sont toujours plus difficilement socialisables, convertibles l’un dans l’autre.
Le passage du certain au provisoire, du programmable à l’occasionnel, est donc une crise structurelle destinée à durer longtemps encore.
La restructuration post-fordiste a été contrainte «malgré elle» d’intérioriser la communication.
Le danger est de ne pas voir l’origine précise de la crise de la démocratie représentative héritée du fordisme.
Le danger est de ne pas vouloir redéfinir sur cette base les catégories de la politique, de ne pas vouloir traverser cette crise en renouvelant les instruments d’analyses, les modes de penser, les formes organisationnelles de la démocratie représentative dans lesquelles nous avons grandi.
h. Conclusions
Les personnes que nous avons considérées ont construit leurs liens autour des enfants, un bien précieux, qui recèle des émotions fortes, des espoirs et la possibilité de mettre en place concrètement leur vision du futur.
Ces réseaux se sont constitués à partir du quotidien, du féminin des enfants, de l’école. C’est précisément de l’intérieur du monde de la reproduction, donc de l’univers des femmes, que sont nées les nouvelles subjectivités politiques, les nouvelles rationalités et les nouvelles formes de luttes des deux dernières décennies.
Vouloir réduire le secteur des services parallèlement à la réduction du travail industriel «productif», pour permettre à tous de travailler et, du même mouvement, pour reconstruire la sphère privée en se réappropriant des services aujourd’hui rendus par des travailleurs et travailleuses (ethnicisation/femmes), risque d’offusquer les seules subjectivités politiques mûries en ces années de transformation économique, d’extension/généralisation des rapports de travail de l’industrie au social.
Le problème prioritaire n’est pas celui d’une répartition plus équitable du travail, mais du revenu: c’est sur cette base qu’il est possible de définir le sens que l’on veut attribuer aux activités, pour en justifier ensuite la rémunération indépendamment de leur caractère productif ou reproductif.
Le problème, en revanche, est d’élaborer des pratiques politiques pour transformer la servilité latente et transversale de toutes les activités du travail en éléments de recomposition sociale, en moments de communauté politique.
Si aujourd’hui prévaut la segmentation et la discrimination interne à l’univers du travail et de la reproduction (même entre la salariée et sa «femme de ménage»), ce n’est pas pour cela qu’il faut retourner en arrière en imposant une redistribution du travail sans tenir compte de la constellation de subjectivités que «l’industrialisation» de la société entière a, malgré elle, produit.
La dimension servile du travail post-fordiste jaillit précisément de la médiation linguistique et communicative qui innerve le processus économique tout entier.
D’un côté on fait appel à ce qui est commun aux hommes, à savoir la faculté de communiquer, alors que de l’autre ce partage de facultés communes et universelles (publiques) porte à hiérarchiser les rapports de travail en termes toujours plus personnels, toujours plus privés et, en ce sens, serviles.
D’un côté on veut partager-avec, et le travail communicationnel permet justement cela, mais de l’autre on veut re-partager, hiérarchiser, segmenter et privatiser cette ressource publique, parce que commune à tous, qu’est l’agir communicationnel.
Les prestations de travail tendent aujourd’hui à se dérouler prioritairement dans le cadre des «relations» entre personnes, la professionnalisation se définit toujours moins en termes «industriels» et toujours plus en termes de «services à la personne». Il faut noter que cet aspect de «service à la personne» est toujours plus essentiel au fonctionnement du processus économique.
Ce qui explique également que l’on est en train de passer d’un régime dans lequel sur le marché du travail les droits sociaux des travailleurs étaient protégés juridiquement pour une durée pratiquement illimitée (sous la forme, par exemple, des conventions collectives), à un régime dans lequel les droits des travailleurs semblent graduellement disparaître sous la montée des exigences et des contingences économiques.
On pensait que le capitalisme, en détruisant toutes les appartenances, aurait créé les conditions de la béatitude: le nomadisme de l’individu déraciné, absolu, résultat de la «déterritorialisation» inscrite au coeur du développement de l’économie mondiale. Mais au contraire, au point culminant de la mondialisation, de la «déterritorialisation» capitaliste, tout revient: la famille, l’État national, les fondamentalismes religieux. Tout revient, mais, comme l’enseigne le philosophe, sur un mode pervers, réactionnaire, conservateur. Au moment même où le «vide du sens» s’avance vers le seuil d’une époque dans laquelle les hommes semblent pouvoir se parler en accédant librement à la communication, voilà que revient l’idée de race, le mythe des origines et de l’appartenance. La promesse de liberté de la «société transparente» se transforme en son contraire, en intolérance raciste, en défense de ses frontières, de sa propre demeure. Seul importe le mythe, le symbole, le semblant d’une origine historique en vertu de laquelle ordonner le chaos avec la haine.
[1] L.Boltanski, E. Chiappello, Le nouvel esprit du capitalisme.Références !!!
[2] M.Callon, P.Lascoumes, Y. Barthe, Agir dans un monde incertain.
[3] Boltanski L., Chiappello E., Le nouvel esprit du capitalisme.idem
[4] Marazzi C., La place des chaussettes.
[5] “L’expression « compromis historique » naît en 1973 … il représente la traduction en termes politico institutionnels d’une stratégie élaboré et assumé avec cohérence par le Partit communiste italien depuis 1946, un autre des formulations qui l’ont désigné était la « voie italienne au socialisme ». Son fil de continuité est constitué par la recherche constante d’un équilibre entre pratique réformiste et langage idéologique révolutionnaire” Balestrini N., Moroni P., 2003, L’orda d’oro 1968 – 1977. La grande ondata rivoluzionaria e creativa, politica ed esistenziale, Milano, UE Feltrinelli. p.469.
[6]Lazzarato, Moulier Boutang, Negri et Santilli, Des entreprises pas comme les autres, Benetton en Italie, le Sentier à Paris.
[7] “voyous”, “pègre”, “violents”, “canaille” qui s’étaient introduits dans la manifestation ouvrière et, qui, vers la fin de la journée avaient réussi à priver les leaders syndicaux du contrôle de la situation” La Stampa, 10 juillet 1962
[8]“teddy boys de Valletta (quartier populaire de Turin) qui avaient été déchargés sur la place par des voitures flamboyantes conduites par des individus qui les avaient soudoyés dans les bistrots de banlieue au prix de 1200 lires” Vie Nuove, 12 juillet 1962
[9] “bordel pour le bordel”
[10] Boltanski L., Chiappello E., Le nouvel esprit du capitalisme.
[11] Sommier I., La violence politique et son deuil, l’après 68 en France et en Italie
[12] S.Bologna, Per un’antropologia del lavoratore autonomo.
[13] Lazzarato M., Moulier Boutang Y., Negri A., Santilli G., Des entreprises pas comme les autres, Benetton en Italie, le Sentier à Paris.
[14] Au moment plus élevé du développement du capitalisme, la relation sociale devient un rapport de production, la société toute entière devient une articulation du rapport de production, c’est à dire la société dans sa totalité vit en fonction de l’usine et l’usine étend sa domination exclusive sur toute la société. Tronti M., Operai e capitale
[15] L.Boltanski, E. Chiappello, Le nouvel esprit du capitalisme.
[16] F.Ceyrac en L.Boltanski, E. Chiappello, Le nouvel esprit du capitalisme.
[17] C. Marazzi, La place des chaussettes.
[18] Marazzi C., Dictionnaire suisse de politique sociale
[19] Marazzi C., La place des chaussettes.
[20] S. Bologna, Il lavoro autonomo di seconda generazione.
[21] M.Hardt, A.Negri, Multitudes, guerre et démocratie à l’âge de l’empire.
[22] Give me your tired, your poor, Your huddled masses yearning to breathe free. The wretched refuse of your teeming shore. Send these, the homeless, tempest-tost, to me, I lift my lamp beside the golden door ! » Emma Lazarus, The new colossus.
[23] “Le refus du travail pouvait être imaginé dans une société fordiste, aujourd’hui il est des moins en moins concevable. Il y a le refus sur la commande du travail, qui est complètement autre chose. Quand on dit exode il s’agit de réussir à construire des nouvelles formes de vie.”Negri A., Impero, moltitudini, esodo.
[24] La ville contemporaine montre sa nature dynamique, son être ville-flux, conçue comme campement sur les rives du temps, attentive à son héritage historique mais gouverné par le mouvement, la transformation, le caractère transitoire R.Galdini, Gouvernance et transformations urbaines, Colloque Università della Calabria – Arcavacata di Rende, 27/28 octobre 2004
[25] intervention de C. Burlando, Maire de Gênes, 21 avril 2004, Palazzo Ducale
[26] intervention de A. Castellano, Maire Adjoint de Gênes, 16 mai 2005, Palazzo Ducale
[27] Données au 31/12.2000 sources ISTAT.
[28] Pincon-Charlot M. et M. Sociologie de Paris
[29] … nous nous trouvons face à la désertion ou mieux à l’exode. Il n’y a plus la possibilité du sabotage classique, ou d’un refus luddiste, parce que nous y sommes dedans. Aujourd’hui le travailleur porte l’instrument de travail dans sa tête, comment peut-il refuser ou saboter le travail ? Va t’il se suicider? Le travail est notre dignité… Pour donner une image de ce qui est en train de se passer du point de vue de la subjectivité, nous n’avons que les images du matérialisme primitif lucretien : il y a un grand mouvement de particules, d’atomes, singularités que se réunissent et construisent ici et la bas.
Negri A., Impero, moltitudini, esodo.
[30] L’existence de ma recherche et les interviews ont occasionné la réflexion de certains et ont troublé d’autres. Cela n’est pas explicité mais l’intérêt que je porte à notre “groupe”, tout en étant est flatteur, est pareillement vécu comme menaçant son indépendance.
[31] D.P.R. du 31 mai 1974, n°416 relatif à l’organisation et à la programmation de la vie de l’école.
[32] Hardt M., Negri A., Multitude.
[33] Bologna S., Dieci tesi per la definizione di uno statuto del lavoratore autonomo.
[34] P. Zarifian, A quoi sert le travail ?
[35] P. Zarifian, A quoi sert le travail ?
[36] Kaufmann J.C., Corps de femmes, regards d’hommes
[37] Marazzi C., Et vogue l’argent
[38] Parti politique né d’une scission qui a eu lieu au sein de l’ancien Parti communiste italien : PRC d’un côté et Ds de l’autre Date ???
[39] Marazzi
[40] Zarifian P., A quoi sert le travail ?
[41] C. Marazzi, La place des chaussettes
[42] C.Marazzi, La place des chaussettes.









