Empire et Paix
Key Words Studies for Transcultura Encyclopedia
La Vision Chinoise : le concept de « Tout Sous Le Ciel ». Une introduction sémantique et historique

ZhaoTingyang
赵汀阳
Professeur à l’Institut de Philosophie, Académie Chinoise des Sciences Sociales
1. Les sens et les implications de Tout-sous-le-ciel
L’histoire du monde chinois, comme celle du monde occidental, peut se lire comme une histoire d’empires.
Toute histoire, à vrai dire, est une histoire d’empire, au sens large du terme. De façon générale, le concept se réfère à la souveraineté d’un pays puissant sur certains, ou sur la totalité, des états moins puissants qui l’entourent dans le monde, et désigne un système d’organisation mondiale du pouvoir.
Ce concept d’empire, cependant, relève d’un mode de connaissance essentiellement occidental. Chargé d’histoire occidentale, il est toujours lié à des mots plus ou moins appropriés, tels qu’impérialisme, colonialisme ou, aujourd’hui, mondialisation. Métaphoriquement, il peut aussi désigner toute espèce de système de domination. On pourrait en conclure que l’empire est une forme assez universelle d’organisation des sociétés dans l’histoire du monde, mais l’interprétation qu’en donnent les différentes cultures peut être très variables, recevant, des divers contextes historiques, des contenus fort différents.
L’empire nous paraît donc être l’un de ces mots clés, ouverts, et qui, sans cesse, réécrivent le monde, comme ils sont, sans cesse, réécrits par l’histoire. La conception chinoise, si différente, dans son essence, du modèle occidental qu’elle pourrait en apparaître comme l’anti-thèse, nous semble, à cet égard, pouvoir nous offrir l’occasion de faire de ce concept d’empire une relecture significative.
Dans la langue chinoise classique, il n’y avait pas de mot réellement équivalent à la notion occidentale d’empire, l’imperium sous tous ses aspects. Le mot Chinois moderne, pour la traduction du mot empire, 帝国, Di-guo”, littéralement: pays gouverné par un empereur, ou état dépendant d’une institution impériale, est une invention plutôt tardive, renvoyant au modèle occidental, et réinterprétée en référence au contexte du savoir contemporain, même si les deux caractères qui composent le mot “Di-guo” sont des caracères chinois traditionnels, le premier, “Di, 帝”, signifiant empereur, le second, “Guo, 国”, désignant l’état, ou le pays. Pour autant que nous sachions, la combinaison des deux caractères n’est pas attestée, en Chine, avant les temps modernes (XIXème siècle), à l’exception de cas exceptionnels, dans un contexte poétique[1].
On ne trouve pas d’autre trace de l’usage du mot « Di-Guo », jusque dans le Traité Sino-Britannique de Nankin en 1843. Il semble qu’il apparaisse pour la première fois dans le texte du Traité Sino-Japonais de Magan, en 1895, et l’on peut penser qu’il s’agit d’une imitation d’un mot Japonais d’origine Chinoise, réinterprété dans le sens occidental, pour les besoins de la cause.
Après la disparition de la dernière Dynastie Chinoise des Qing, le mot a été souvent utilisé pour désigner une super-puissance, caractérisée par une politique monarchique et autocratique. Puis, sous l’influence de la théorie léniniste de l’impérialisme, « Di-guo » a été principalement employé, en Chine, pour désigner l’impérialisme. L’usage moderne de « Di-Guo » pour traduire le mot occidental empire, a progressivement induit une réinterprétation des institutions de la société Chinoise traditionnelle du point de vue occidental. Mais ce type de réinterprétation occidentalisée doit être compris comme une mésinterprétation, recouvrant, ou cachant, tout au moins, la véritable conception de l’empire – dans son sens le plus général ou le plus universel – dans la pensée Chinoise.
Strictement parlant, le mot moderne « Di-Guo », conjonction du caractère désignant l’empereur et du caractère désignant l’état, est une distorsion de la pensée Chinoise, pour la bonne raison que ni un état, ni un pays ne peuvent avoir d’empereur, selon la définition Chinoise de l’institution impériale, puisque l’empereur est défini comme le souverain légitime du monde dans sa totalité et non d’un état dans le monde.
Le point important est que la pensée Chinoise se représente l’entité politique suprême comme tout-sous-le-ciel (天下, Tian-xia), quelque chose comme l’empire du monde, conçu comme une entité politique plus haute que tout état dans le monde. Différemment du concept occidental d’empire, le concept Chinois traditionnel « tout-sous-le-ciel » est intimement lié à l’idée, à l’eidos d’empire, dans son principe universel, conformément à la théorie platonicienne selon laquelle toute chose a son eidos qui fait d’elle ce qu’elle est essentiellement, mais qui reste ouverte à toutes les transformations et améliorations possibles, en particulier s’il s’agit d’une institution sociale ou culturelle. C’est pourquoi l’eidos d’une entité sociale ou culturelle quelconque implique également, ouvert à l’interprétation, le modèle idéal de ce qu’elle pourrait et de ce qu’elle a vocation à être potentiellement. En l’occurrence, le concept tout-sous-le-ciel se réfère à un idéal d’empire ; en d’autres termes, il est relié plus à l’eidos d’empire qu’à un quelconque statut historique d’empire. On pourrait dire que tout-sous-le-ciel signifie toute institution mondiale en forme d’empire ; à cette réserve près qu’un empire ne peut prétendre au titre d’empire que s’il répond réellement au modèle de tout-sous-le-ciel.
Le caractère « Tout-sous-le-ciel » (Tian-xia天下), très répandu dans les plus anciens textes de la littérature Chinoise archaïque, il y a quelque trois mille ans, est, sans aucun doute, le principal mot clé pour qui veut tenter d’appréhender la conception Chinoise du monde, en termes de société, d’institutions et de politique. Il a le sens de « théorie du monde » (qu’on pourrait tenter de rendre, dans le langage philosophique occidental, par le terme allemand de weltenschauung[2]), permettant d’établir la légitimité et l’état optimal, ou idéal, d’un empire. La signification de « tout-sous-le-ciel » a cependant évolué au fil de l’histoire, et au gré des changements survenus, tout comme l’a fait, dans l’histoire du monde occidental, le mot « empire », prenant, tour à tour, ses différents visages. Je voudrais ici donner un aperçu des principales acceptions de tout-sous-le-ciel, afin de faire apparaître, par l’analyse sémantique, les potentialités initiales de son sens originel aussi bien que les limites de ses extensions élastiques. Mon analyse se limitera, pour l’essentiel, aux références fondamentales, telles qu’elles se sont constituées dans l’ère de la Dynastie Pré-Chin (avant 221 AC), la première période de la formation de la Chine Impériale, tout en prenant en compte, si nécessaire, les principaux changements qui ont affecté le concept ultérieurement. La raison de ce retour au sens originel de tout-sous-le-ciel étant que le concept originel constitue la source de tous ses développements ultérieurs.
Le concept tout-sous-le-ciel est constitué d’un ensemble de sèmes, ou unités de sens, reliés et se référant les uns aux autres.
a. Monde
Ce qui est ici signifié est l’ensemble des terres, le monde comme un tout sous le ciel, équivalant au caractère « terre » (Di, 地) dans le « trinalisme » : Ciel-Terre-Homme (天地人)[3] de la philosophie Chinoise. Très différemment du dualisme occidental, le « trinalisme » Chinois représente la connexion des choses dans une relation très humanisée au point que toute chose est caractérisée et définie en fonction de sa relation avec-et-pour l’être humain. Il en résulte qu’une chose n’est jamais comprise pour elle-même, mais toujours pour ce qu’elle signifie pour l’homme. Le point le plus remarquable dans cette structure ternaire est la division de la nature en « ciel » et « terre », selon laquelle ce qui est mis en évidence, c’est la proximité de celle-ci avec l’homme, ses intérêts, ses sentiments et ses attaches, et qu’elle est donc perçue comme sa « maison » qu’il est impossible de réduire à la description scientifique qu’on peut en faire[4]. Non seulement la terre, mais tout ce qui l’habite, disons un arbre ou une pierre, ne pouvait être réduit à sa nature physique mais conservait toujours quelque chose de psychique et même de métaphysique. Il est donc facile de comprendre maintenant que la signification du mot Chinois « tout-sous-le-ciel », comme celle du mot « terre », ne peut se réduire à son sens géographique. Bien sûr, si on ne prend en compte que ces référents géographiques, il est presque l’équivalent des mots « univers » ou « monde », dans les langues occidentales.
Le concept tout-sous-le-ciel évoque théoriquement la totalité du monde, bien que la connaissance géographique du monde, dans la Chine ancienne, fût assez limitée, et même pauvre, comparée aux géographies occidentales de la même période. L’image que la société Chinoise se faisait alors de « tout-sous-le-ciel » était beaucoup plus petite que n’est la terre[5]. On l’identifiait à l’espace constitué des « neuf régions » (九州)[6], un territoire équivalent à peu près au quart de la Chine moderne, auquel s’ajoutaient « quelques régions lointaines dans quatre directions » (四海) mal connues. L’un des premiers géographes Chinois, Zou Yan (邹衍, 305BC-240BC), fait, cependant, exception, qui avait une vision beaucoup plus large et presque « globale » de cette terre des quatre vingt une « neuf régions » – ainsi intitulée d’après le mode de numération par neuf en usage – et il disait que la Chine « n’(était) que l’une de ces quatre vingt une régions dans le monde ». Sa représentation du monde, qui n’était appuyée sur aucun savoir empirique, avait été alors jugée totalement délirante. Il apparaît ainsi clairement que l’objet intentionnel, le cogitatum qua cogitatum, de tout-sous-le-ciel est le monde, même si, empiriquement, le terme se référait à une partie, seulement, de la terre[7].
Il en résulte que le concept de tout-sous-le-ciel se réfère théoriquement à l’espace logique attribué, à priori, au monde dans sa totalité, autant qu’à l’espace empirique correspondant à la partie effectivement connue du monde, elle-même tributaire, au cours de l’histoire, des progrès de la géographie. Les limites de ces connaissances géographiques peuvent mener à des illusions, comme celles de ce grand empereur Chin qui croyait, en 221 a.c., que son empire recouvrait « tout-sous-le-ciel », car il avait atteint les « confins du monde habité par l’homme »[8].
Dans la vision Chinoise du monde, la connaissance géographique est d’un intérêt bien moindre que l’implication théorique. On pourrait dire que, dans la Chine ancienne, la représentation qu’on se faisait du monde était beaucoup plus politique que géographique. Les « neuf régions », selon la description qu’on en trouve généralement, obéissaient à une configuration géométrique, selon laquelle huit régions étaient réparties, en éventail, autour de la région centrale où se trouvait la capitale. Cette configuration géométrique du monde, où l’on disait que la perfection de l’organisation politique était illustrée par l’égale distance qui séparait chacune des régions de la région centrale, n’était, bien sûr, qu’un idéal, auquel les réalités terrestres ne pouvaient correspondre que très approximativement. Mais ce qui compte ici est le plan politique. Il est remarquable que la culture Chinoise se soit beaucoup plus intéressée à la méthodologie de la conception et de la représentation artistiques du monde qu’à la connaissance géographique de la terre. Cela montre combien la conception Chinoise de l’univers, relevait, pour l’essentiel, d’un savoir culturel ou institutionnel, ou, pour employer l’expression chinoise elle-même, « humainement contextualisé » (人文), plutôt que scientifique ou épistémologique. Tout-sous-le-ciel apparaît alors comme un projet culturel dans lequel l’univers est toujours conçu comme un monde-sous-une-institution. Il en résulte que, lorsque c’est du monde terrestre qu’il s’agit, il faut une institution mondiale pour faire du monde un monde, faute de quoi il ne peut être question que d’un non-monde, sur une terre sauvage et sans mesure.
b. Peuple
Le second sens de tout-sous-le-ciel est “le Coeur de tout le Peuple (民心) ou “la Volonté générale du Peuple”, ou plus simplement “le peuple”, presque equivalent au caractère “homme” (人) dans la triade Chinoise que nous avons évoquée ci-dessus. Le « peuple », avec la « terre », est ce qui existe sous le ciel. Dans l’ontologie Chinoise, établissant la situation existentielle des choses, la terre est toujours la « Maison du Peuple », la terre comme étant nôtre plutôt que la terre comme étant ce qu’elle est. Tout-sous-le-ciel est donc constitué, à part égale, de la terre et du peuple. Par conséquent, un empereur ne peut réellement se prévaloir de son empire sur tout-sous-le-ciel , quand bien même il aurait conquis la totalité du monde, que s’il a reçu le soutien sincère et véritable du peuple qui l’habite. Ce qui est ici souligné, c’est l’importance de la notion de soutien populaire, plutôt que de celle de pouvoir absolu sur le peuple et de contrôle d’un espace illimité que recouvre la notion d’imperium. Dans son essai « de la Royauté et de la Suprématie », le philossophe Xun-zi (荀子,313BC-238AC) faisait remarquer: “Régner sur tout-sous-le-ciel ne signifie pas contraindre par la force les populations à céder leur terre, mais satisfaire le peuple tout entier par une bonne gouvernance »[9]. Et Mencius(孟子, 372BC-289AC), de son côté, estimait que le peuple avait un poids plus grand que le gouvernement et que la confirmation définitive de la légitimité d’un règne était conférée par le soutien du peuple. Et il renchérissait en disant que devait perdre son trône le souverain qui perdait le soutien de son peuple parce qu’il régnait contre son cœur. >Enfin l’Interprétation des Rites(《礼记》), l’un des Classiques du Confucianisme, disait aussi : « Gagne son règne, qui gagne le soutien du peuple, perd son règne, qui perd le soutien du peuple »[10].
Cela montre bien que l’existence de l’empire de tout-sous-le-ciel était perçue comme dépendant non seulement du fait physique et empirique, mais aussi comme du fait psychologique. Et que, d’avantage que du fait physique, c’est du fait psychologique, que dépend la confirmation définitive de sa légitimité. De même que le peuple constitue l’essence d’un pays, l’adhésion des esprits constitue, jusque dans son existence physique l’essence de l’empire. Ce serait un pseudo-empire que l’empire bâti sur la seule conquête physique, et non psychique. La théorie Chinoise de l’empire est ainsi la négation de l’empire militaire et de la domination d’une superpuissance. Un empire légitime se définit comme représentant la volonté générale de la population du monde entier plutôt que celle d’une nation particulière. Une conception aussi fortement argumentée de l’empire ne peut que dénier leur légitimité à la quasi-totalité des empires qui ont existé dans le monde et reste un idéal.
La question de la volonté générale du peuple a toujours fait problème. On voit bien qu’il est difficile de savoir où se trouve la connaissance véritable de la connaissance de la volonté générale. La volonté générale équivaut-elle au choix public ? Peut-elle être représentée par le vote démocratique ? Il semble que les Chinois préfèrent la détection et la collection des marques évidentes des préférences du peuple au vote démocratique. C’est là un problème ouvert et loin d’avoir trouvé une bonne solution.
c. L’ Institution
Le sens le plus important et le plus profond de tout-sous-le-ciel est son troisième aspect, le gouvernement du monde. Tout-sous-le-ciel pourrait être décrit comme un empire mondial en forme de famille. Cet idéal politico-éthique d’un monde organisé comme une famille imprime sa marque à la recherche des formes, et des conditions pratiques d’existence, d’une société mondiale placée sous la tutelle d’une institution mondiale. Tout-sous-le-ciel se distingue essentiellement des idéologies de l’empire militaire, tel que l’Empire Romain, ou de l’empire d’un état/nation impérialiste, comme, par exemple, l’Empire Britannique. L’Empire de Tout-sous-le-ciel ne se réfère à aucun pays quel qu’il soit. Il est sensé être l’institution politique, ou la forme politique, la plus haute et la plus grande, par rapport à tout autre état. Au lieu d’un état/nation, il veut une maison/monde.
Afin de comprendre le propos politique de tout-sous-le-ciel, il nous faut considérer ici le système Chinois de gouvernance impériale. Un système complet de gouvernance suppose, au moins, l’existence d’un territoire, d’un peuple, d’une institution et d’une idéologie. Et l’on peut dire d’une société qu’elle a son propre système politique, si, et seulement si, il remplit ces conditions. Comme on le sait, l’état, état/empire ou état/nation, est l’entité politique la plus élevée dans le système politique occidental. Ce n’est pas le cas dans le système de gouvernance Chinois qui range les formes politiques selon l’ordre hiérarchique suivant : « tout-sous-le-ciel, les états, les familles”(天下,国,家)[11].
Ce système très hiérarchisé requiert une forme de gouvernance suprême, tandis que les états sont toujours les sous-unités à l’intérieur du cadre de tout-sous-le-ciel, quelque chose comme les « sous-ensembles » à l’intérieur d’un « ensemble général ». Il implique une théorie d’ontologie politique. L’un de ses principes est qu’à tous les niveaux ou catégories de substances ontologiques doivent correspondre les institutions politiques appropriées afin d’assurer l’ordre politique de toute chose. Dans les termes de la métaphysique grecque, c’est l’avènement d’un ordre qui permet au chaos primordial des choses de devenir le kosmos. De façon très semblable, la philosophie Chinoise pense que c’est l’ordre apporté par le Tao, (道,la Voie), qui permet à la nature de se maintenir comme kosmos, et qui plus est, elle croit que toute chose dans la vie humaine doit être réglé selon un ordre politique correspondant à l’ordre naturel. Cette proposition très Chinoise fait que la métaphysique Chinoise est toujours une ontologie politique, dans laquelle un ordre politique à la dimension du monde correspond nécessairement au monde tel qu’il est. L’institution de correspondant à la société de tout-sous-le-ciel, telle qu’elle a été figurée, devrait recevoir le nom de « monde impérial » plutôt que d’état impérial.
Le projet de l’institution du monde impérial (王天下) est tout à fait intéressant. Telle qu’elle a été configurée et pratiquée en Chine depuis trois mille ans, l’institution politique de tout-sous-le-ciel a suivi la voie d’un développement tous azimuts. Quelque part dans la zone qualifiée pour devenir l’aire centrale, se trouvait le centre politique général appelé « Champ Impérial » (王畿)[12], ou était situé le gouvernement général. De nombreux sous-états (诸侯国) [13], institutionnellement loyaux à l’empire, gravitaient autour, s’étendant dans toutes les directions. Les chroniques rapportent qu’il y avait, autour du centre impérial, cinq ou neuf cercles composés, chacun, de centaines de sous-états[14].
Le Champ Impérial lui-même n’était pas aussi étendu; il était cependant beucoup plus grand qu’un sous-état, de la dimension, à peu près, d’une petite province de la Chine moderne, tandis qu’un sous-état avait la dimension d’un Conté actuel. Jusqu’à l’avènement de la dynastie Chin et du gouvernement centralisé qu’elle institua en 221 AC, la Chine était un empire constitué de nombreux « sous-états » indépendants pour l’économie, la défense et la culture, mais dépendants politiquement, éthiquement et institutionnellement du gouvernement impérial central.
Ce gouvernement général tenait son autorité des lois et constitutions universelles qu’il édictait, de la légitimité qu’il conférait ainsi aux sous-états, et des arbitrages qu’il rendait en justice dans les conflits qui surgissaient entre les sous-états.
Avant la grande union de la Chine, en 221 AC, Presque tous les intellectuels Chinois, y compris les plus grands philosophes tels que Confucius et Mencius, ne traitaient que des questions universelles pouvant intéresser tout-sous-le-ciel, à l’exception d’un ou deux d’entre eux[15], parce que la politique elle-même était, en ce temps, attachée au concept de tout-sous-le-ciel, et non à celui d’état, avec cette idée universellement acceptée que tout-sous-le-ciel est, par rapport à l’état, l’espace politique le plus haut, donc le plus légitime. Aussi allaient-ils constamment d’un état à l’autre, rendant visite aux princes et aux ducs des sous-états, et leur offrant différentes propositions stratégiques, toujours fondées sur une argumentation philosophique pour améliorer leur position en apportant de nouvelles contributions au bien public et à la paix de tout-sous-le-ciel. Aucun d’entre eux n’avaient d’obligations envers leur état natal, car tous considéraient que les intérêts universels de tout-sous-le-ciel dépassaient ceux d’un simple état ; et que l’on ne pouvait fonder d’argumentation politique sur le nationalisme. Cette politique de libre immigration avait eu ce résultat surprenant que beaucoup des plus fameux premiers ministres et généraux des sous-états n’étaient pas originaires de l’état qu’ils servaient[16]. Même les gens ordinaires pouvaient se déplacer en foule pour s’établir dans un autre état que l’on disait mieux gouverné. On peut y voir une scène de véritable “globalisation”.
L’institution impériale Chinoise connut une réforme révolutionnaire en 221 AC lorsque l’Empereur Chin le Grand conquit la Chine, changeant le système des sous-états en un système de provinces placées sous un seul gouvernement. Cette réforme institutionnelle changea certes la société Chinoise, mais elle ne changea pas l’idéal Chinois de l’empire selon lequel tous les pays étraners, proches ou lointains, étaient compris théoriquement comme des sous-états.
Une nouvelle réforme, encore plus radicale, survint en 1011, entraînant l’abandon de l’institution impériale pour l’adoption du modèle occidental de l’état/nation. Mais la conscience de la mondialité, cette vision du monde comprise dans tout-sous-le-ciel est restée dans l’esprit Chinois, prenant, cependant, la forme d’un mondialisme culturel plutôt que politique. Comme nous l’avons fait observer, la culture Chinoise contemporaine est un réel mélange de culture Chinoise et de culture occidentale. La conception de tout-sous-le-ciel comme institution mondiale doit être cependant reformulée pour s’adapter à la situation contemporaine, à toutes fins utiles.
Nous disposons maintenant d’une vision assez complète de du concept tout-sous-le-ciel. Il réfère au monde ou à l’univers, mais il signifie plus que cela. Il renvoie également à un monde institutionalise ou à l’institution monde. Le caractère unique et l’originalité politique, mais aussi philosophique, du concept Tout-sous-le-ciel tiennent principalement en ce qu’il crée une mesure à la dimension du monde, selon laquelle le monde entier est compris comme un objet d’analyse politique, plutôt que géographique ou scientifique. Il définit le monde comme la plus grande entité politique, qu’il s’agisse de vie politique, de constitution et d’institution, et comme le contexte et le cadre politique le plus vaste dans lequel doivent être repensés les états et les affaires internationales. Lao-zi (老子) avait résumé l’épistémologie Chinoise des sciences politiques dans cette formule : « un homme ne peut être compris qu’à travers ses propres intérêts, un village, en considérant sa situation, un état, du point de vue d’un état, et tout-sous-le-ciel ne peut être compris qu’à l’horizon de tout-sous-le-ciel”[17].
Ce principe : « c’est de point de vue de X qu’on peut voir X » doit nous aider à comprendre le monde pour lui-même et du point de vue de son intérêt propre.
Dans le cadre politique occidental, l’entité la plus grande qu’on pujisse trouver est l’ « état », ce qui limite la théorie politique occidentale au point de vue de l’état. En conséquence, les représentations occidentales du monde dans sa totalité se limitent à l’internationalisme, au modèle des nations unies ou à la globalisation, rien qui aille au-delà du cadre de l’état/nation. De telles approches ont, par essence, la plus grande difficulté à saisir l’unicité du monde, leur perspective restant limitée à l’horizon de l’état/nation.
Un monde qui ne peut être vu du point de vue du monde et pour le monde, en lui-même, ne peut être qu’un monde voué à l’échec. Il est évident que voir le monde du point de vue du monde n’est pas la même chose que de voir le monde du point de vue d’une partie seulement du monde. Le Chrsitianisme semble bien avoir une vision universelle du monde, mais cette vision se mutile elle-même par la présupposition qu’elle fait du paganisme, qui a pour effet de couper le monde en, au moins, deux parties.
Au contraire, du point de vue Chinois, l’unité et la totalité du monde sont données à priori. Et cet à priori de l’unicité et de la totalité du monde semble être une condition nécessaire pour établir l’argument transcendantal d’une institution du monde : ce qui revient à dire que le monde est compris en lui-même comme étant la plus haute et la plus grande entité politique mondiale.
Nous avons quelque raison pour dire, au moins du point de vue Chinois, que la philosophie occidentale n’a pas de vision du monde comprise comme une vision du point de vue du monde bien qu’elle ait une vue du monde à travers l’idéologie de l’état.
La philosophie occidentale ne dispose donc pas d’un concept achevé du monde, bien qu’elle ait pour elle un concept scientifique du monde. Un concept achevé du monde devrait être un concept totalisant qui comprenne tous les sens possibles du monde, du sens physique, au sens psychologique et au sens institutionnel. Le mot clé tout-sous-le-ciel implique une philosophie du monde selon laquelle le monde est toujours compris comme un monde institutionnel, un monde humanisé[18]. Tout–sous-le-ciel apparaît alors comme la condition générale et le plus large contexte pour la compréhension de toute question politique, des problèmes de l’état aux relations internationales ; l’institution de tout-sous-le-ciel est un empire à priori car elle pose théoriquement, par définition, l’existence d’un empire du monde entier.
2. Problèmes Historiques.
Au cours des 4000 ans d’histoire répertoriée de la Chine, la période antérieure à 221 AC, appelée âge de la dynastie pré-chin (秦) fut dominée par le modèle politique idéal de tout-sous-le-ciel. Cette période pré-chin est illustrée par ce qu’on appelle l’âge d’or des « trois dynasties » (三代, 夏商周), Xia, Shang et Zhou. Des plus anciennes, les dynasties Xia et Shang, il reste peu de témoignages historiques ; la dynastie Zhou, qui dura presque 800 ans et connut une paix continue de 400 ans, est reconnue comme le meilleur exemple de réalisation du modèle impérial de « tout-sous-le-ciel ». Certains historiens estiment que la Chine n’est arrivée à la formulation définitive du concept de tout-sous-le-ciel qu’avec la dynastie Zhou. L’argument nous semble juste dans la mesure où l’idée de tout-sous-le-ciel a de fait dominé et l’idéologie et la pratique institutionnelle des Zhou, tandis que la culture politique de tout-sous-le-ciel a profondément marqué la culture Chinoise en lui donnant ces deux traits caractéristiques et qui font sa cohérence : son pouvoir d’assimilation et sa vocation à une diffusion universelle[19].
La plupart des chercheurs Chinois considèrent l’institution impériale des Zhou comme le modèle de la culture chinoise. L’établissement de la dynastie des Chin, en 221 AC est considérée comme une altération partielle de l’institution Chinoise et de l’idéal de tout-sous-le-ciel. Elle a remodelé la Chine en un empire, au sens plus trivial, bien qu’encore loin du modèle de l’Empire Romain.
Les Chin ont, de façon créative, développé un système d’administration « modernisé ». Le principal changement a été la substitution des sous-états en provinces. Mais ce fut par un processus incertain et compliqué. Avant l’unification de la Chine par les Chin, le pays des Chin n’était que l’un des sous états du système de tout-sous-le-ciel qui, comme on l’a vu plus haut, se composait, théoriquement de cinq à neuf cercles concentriques de sous états, s’étendant au monde entier. Le monde unifié par les Chin se limitait à deux ou trois cercles des sous états les plus proches, constituant ce qui plus tard devait être la Chine, avec cette appellation fameuse d’Empire du Milieu qui a pour effet de mettre nombre de chercheurs occidentaux dans tous leurs états. Ces apparences pourraient conduire au malentendu attribuant à la dynastie des Chin l’initiative d’un processus menant progressivement la Chine à la situation de fait d’un empire ordinaire, voire même d’état/nation, abandonnant ainsi l’idéal de tout-sous-le-ciel.
L’interprétation la plus raisonnable , autant que je puisse en juger, est que les Chin n’ont rien fait d’autre que d’étendre le « Champ Impérial », le territoire directement contrôlé par l’empereur, à la région environnante constituée de quelque douzaines de sous états, car il est évident que toutes les dynasties qui ont suivi les Chin ont conservé la tradition de tout-sous-le–ciel, considérant tous les autres états dans le monde comme les sous états du système de tout-sous-le-ciel, et cherchant à appliquer à ces états le système tributaire leur conférant ainsi le titre de sous états.
Ce qui me semble intéressant et significatif est plutôt ce qui n’a pas changé. Il est vrai, cependant, que la réforme des Chin a entraîné quelques altérations de l’idéal de tout-sous-le-ciel et cela a été vivement critiqué. De façon générale, au cœur de l’idéal de tout-sous- le-ciel est la préoccupation que le premier bénéficiaire en sout le peuple, selon le principe dit du « bénéfice universel ». Mais toutes les dynasties, après les trois «dynasties d’or», ont été critiquées pour leur mauvaise compréhension du principe de tout-sous-le-ciel, critiques que résume le jugement du philosophe Huang Zongxi (黄宗羲, 1610-1695) : la philosophie des trois dynasties d’or est de gouverner tout-sous-le-ciel dans l’intérêt de tout-sous-le-ciel, tandis que toutes les dynasties qui suivirent n’eurent d’autre philosophie que de gouverner dans leur propre intérêt »[20].
En fait, Confucius lui-même était conscient de la dangereuse détérioration de l’idéal de tout-sous-le-ciel, déjà bien avant la dynastie des Chin, lorsqu’il dénonçait le désordre de l’état, comme « la ruine des formes mêmes de la vie ». Confucius avait raison quand il craignait qu’il ne fût pas possible de revenir à l’âge d’or. Le concept de tout-sous- le-ciel est resté, heureusement, un modèle utile et très fécond pour la pensée politique jusqu’aux dernières dynasties.
On peut voir la fécondité de cet idéal, comme modèle ouvert, dans son adoption par les nations qui se sont trouvées, autrefois, sous tutelle chinoise. Le principe essentiel de tout-sous-le-ciel a pu être établi comme un principe de « non exclusion » : « rien d’exclu » ou « tout inclu », faisant de l’empire de tout-sous-le-ciel l’empire de l’univers. Toute nation a un droit égal, comme partie intégrante de tout-sous-le-ciel , a être élue par le Ciel et par le Peuple comme « leader » du monde, pour sa morale et sa culture, et nul ne pouvait être défini comme « païen ». Dans l’histoire de la Chine, plusieurs empereurs aussi fameux que Shun (舜), Zhou Wenwang (周文王) et Tang Taizong (唐太宗),étaient connus pour leur appartenance à d’autres nations que la nation Chinoise. De même, les nations des minorités Mongoles, Manchoues ou Khitan ont dominé la Chine durant des siècles et se sont prévalues des valeurs de tout-sous-le-ciel pour justifier leur légitimité.
Par exemple, en 1271, le Khan de Mongolie décida de lancer une réforme politique appliquant la théorie de tout-sous-le-ciel, ce qui le conduisit à changer le nom de l’empire Mongol pour adopter le nom Chinois de Da-yuan (大元), ce qui signifie « aussi vaste que l’univers » pour montrer son universalité[21]. En 947, l’empereur du Khitan changea également le nom de son empire, Khitan, pour le nom Chinois “Da-liao” (大辽), signifiant « le pays le plus vaste pays de l’univers » , concédant à un état Chinois le titre de sous-état de son empire. C’est, dans l’histoire, la première fois qu’un état Chinois se vit conférer sa légitimité par le pouvoir impérial d’une « minorité » non chinoise[22] . Plus remarquable encore, on sait que la nation Mandchoue a gouverné la Chine avec succès pendant près de trois cents ans avec l’assentiment du peuple. Avant de déclarer la guerre à la dynastie des Ming, le roi des Mandchous avait écrit à l’empereur Ming une lettre dans laquelle il se justifiait en se réclamant des principes de « Tout-sous-le-ciel » : « C’est la Nature qui a créé, et qui nourrit tous les êtres, dans le monde, des insectes à l’humanité elle-même, et non pas votre empire. Rien, donc, n’est votre propriété privée. Et le Ciel lui-même est toujours si juste que votre empire sera blâmé et puni pour vos abus de pouvoir dans le gouvernement de tout-sous-le-ciel… Tout-sous-le-ciel sera attribué à celui qui fait montre des plus grandes vertus »[23].
Yong Zheng (雍正), l’un des empereurs Mandchous, pour défendre la légitimité du pouvoir des Mandchous, et réfuter les revendications nationalistes des Chinois, disait que « le Ciel avait laissé la minorité Mandchoue prendre les rênes du pouvoir central à votre place parce que vous, la majorité, n’avez pas su être attentifs aux besoins du monde, comme à ceux du peuple”[24].
Sous les dynasties qui suivirent les Chin, l’empire s’éloigna du pur modèle de « tout-sous-le-ciel » du fait de son caractère monarchique. Dans la société traditionnelle, il semble cependant que les Chinois étaient pénétrés à la fois d’une « conscience de tout-sous-le-ciel » et d’une « conscience régionale » mais qu’ils ignoraient presque totalement le nationalisme. Le nationalisme Chinois s’est développé après la défaite infligée par les Britanniques en 1840, débouchant sur la révolution de 1911 et son effort de modernisation de la Chine visant à la transformer en un état/nation à l’occidentale. Dans la Chine d’aujourd’hui, la conscience de « tout-sous-le-ciel » reste obstinément inscrite, parfois de façon inconsciente dans la pensée philosophique, comme une structure narrative profonde, une saisie universelle du monde, en d’autres termes, comme une inclination à repenser les particularismes locaux dans un contexte global, plutôt que dans un contexte régional.
3. La Paix comme objectif de l’Empire de Tout-sou-le-ciel
L’objectif ultime de tout-sous-le-ciel est la paix dans le monde. Dans la philosophie Chinoise, la paix n’est pas une question mais un problème. Le seul objet de discussion, en ce qui concerne la paix dans la philosophie Chinoise est le problème des conditions de la paix. Ce concept d’un empire pourvoyeur de paix est le trait caractéristique de la pensée politique Chinoise comme, en quelque sorte une anti-théorie politique en ce sens que, comme le faisait remarquer Karl Schmidt, il ne devrait plus y avoir de politique si le monde jouissait d’une paix totale[25].
Et la conception Chinoise de la politique pourrait être comprise comme la méthode « pour faire de ses ennemis des amis » (化敌为友), à l’exact opposé du concept d’identification de l’ennemi de Karl Schmidt selon lequel la tâche première de la politique consiste à savoir « faire la différence entre ses ennemis et ses amis »
Le mot Chinois pour « paix » est, couramment, Heh-ping(和平) , ce qui correspond assez exactement, mais pas totalement, au mot « paix » dans les langues européennes. Heh-poing a une structure sémantique plus compliquée. Le mot est constitué, selon l’usage dans la langue Chinoise, de deux unités de sens, indépendantes, mais reliées sémantiquement, les caractèresHeh (和) et Ping (平). Ping signifie excitement “paix”, ni plus, ni moins. L’état de non belligérance ou l’acte de mettre fin à la guerre, les relations amicales entre des personnes ou des états, ou encore l’absence de soucis ou de peurs, tout comme le mot occidental de paix. Mais pourquoi « He-ping », plutôt que « ping » ? La raison est d’ordre philosophique : « He » siginfie harmonie. Heh-ping signifie donc « harmonie, et ainsi, paix », au sens empirique ou « harmonie, puis paix », indiquant une relation logique d’implication conditionnelle : « paix, si harmonie » ou de relation causale : « l’état d’harmonie a pour conséquence l’état de paix ». Il est clair que, dans la vision Chinoise des choses, l’harmonie compte plus que la paix. On pense, certes, que la paix est toujours,voire inévitablement, la conséquence de l’harmonie. Il en résulte également qu’il ne peut y avoir de paix s’il n’y a pas d’harmonie, bien que soient pris en considération des situations différentes telles qu’une forme de paix résultant de la loi de l’équilibre de Nash, comme ce fut le cas durant la Guerre Froide.
Ce qui revient à dire que la paix sans harmonie n’est pas une paix réelle. Il semble que la paix comprise comme Heh-ping met en évidence l’essence plutôt que le phénomène de paix. Par sa structure sémantique, Heh-ping peut être considéré comme une théorie, plutôt que comme un concept de paix[26].
« Heh » (harmonie) est considéré comme la Voie même de la Nature, et, par conséquent, la Voie par excellence pour la vie humaine. La philosophie Chinoise apparaît comme une sorte de naturalisme en ceci que le principe d’humanité doit trouver sa justification dans une référence fondamentale, ou un recours, à la Voie naturelle, parce que rien n’est antérieur à la nature et que, donc, les voies de la nature sont les seules à pouvoir se générer elles-mêmes à trouver leur preuve en elles-mêmes.
C’est pourquoi il doit y avoir une loi d’Harmonie à priori des choses différentes, généralement représentée comme la relation réciproque du Yin et du Yang (le principe mâle et le principe féminin)[27].
Comme l’a compris Zhuang-zi(庄子), de l’harmonie avec les autres résulte l’harmonie de tout-sous-le-ciel, et c’est la vertu du monde humain que de suivre la vertu de l’harmonie dans la nature[28]. Sur la base de la Loi d’Harmonie à priori de la nature, nous avons toutes les raisons de développer l’argument transcendantal d’une Harmonie de la vie humaine. Mais qu’est-ce que l’harmonie sur terre ? La question faisait déjà débat il y a au moins 2500 ans en Chine sous l’aspect du problème de la « clarification de l’harmonie et de l’uniformité ». On raconte dans le livre d’histoire, vieux de 2500 ans, Tso-Chuan (左传, Histoire des Etats), qu’un Duc Chinois disait qu’il appréciait davantage ceux qui partageaient les mêmes opinions que lui pour la raison que l’uniformité créait l’harmonie. Mais le ministre et savant Yan-zi (晏子, ?-500BC) lui répondit en insistant sur la différence essentielle entre harmonie et simlitude pour cette raison que l’harmonie résultait de l’aide et du soutien réciproque entre les choses différentes, qui faisait de toute chose une chose importante et nécessaire, tandis que l’uniformité, en réduisant tout à l’identique, rendait tout également terne. Il expliquait : « l’harmonie est comme une soupe bien prepare, avec de nombreux ingrédients… . Il pouvait résulter une soupe savoureuse de l’assemblage de ces différents ingrédients, s’exaltant mutuellement dans leurs saveurs complémentaires, qui en faisaient l’harmonie… . L’harmonie fondée sur l’existence des différences est, de même, extrêmement importante pour la vie politique en ceci qu’il pourrait se faire qu’il existât des idées différentes et opposées à celles d’un Seigneur, et que ses ministres trouvassent le moyen de les ajuster et d’améliorer ainsi les idées du Seigneur lui-même … . Si la soupe n’avait été faite que d’eau à laquelle on eût ajouté encore de l’eau, qui donc aurait accepté d’en manger ? De même, si l’on ne devait jouer un morceau de musique que sur l’instrument Qin (琴) ou sur l’instrument Se(瑟), séparément, alors qu’ils devaient jouer simultanément, qui donc pourrait encore l’apprécier ? C’est pourquoi l’uniformité des voix n’était bonne pour aucune politique .”[29]
L’harmonie n’est pas seulement la bonne composition des choses différentes comme il a été montré plus haut, mais elle est même la condition nécessaire pour l’existence de toute chose, ou pour leur survie, comme l’a montré plus tard l’historien Shi-bo (史伯), dans un autre très ancien livre d’histoire, le Guo-yu (国语,Débats sur les Affaires Nationales), comme il suit : « l’harmonie fait prospérer les choses, tandis que l’uniformité les fait dépérir. La disposition des choses à s’améliorer réciproquement, c’est ce qu’on appelle l’harmonie, qui apporte la vie aux choses et leur permet de se développer. Mais toute chose dépérira si elle devient exactement semblable aux autres… . La monotonie ennuie, l’uniformité ne produit pas de culture, le goût unique est pauvre, et la similitude ne produit pas de valeur »”[30]. Il défendait l’idée que si toutes les choses se trouvaient réduites à une seule et même chose, tout viendrait à décliner dans cet environnement de vie extrêmement pauvre. C’est pourquoi il a été dit : « l’harmonie des différences est la condition qui fait de chaque chose quelque chose » ”[31].
L’Harmonie doit être comprise dans le contexte de l’ontologie Chinoise des relations, dans lequel rien n’existe en tant que tel, sinon comme une fonction agissant à l’intérieur d’un certain type de relations. Les relations entre les choses sont la condition ontologique qui fait que toute chose existe. « Une chose » n’est rien d’autre qu’un pur concept inventé par le langage par convenance d’expression. « Une chose » est irréel et ne devient réel qu’en relation avec d’autres choses pour cette raison qu’une chose se voit réduite, ou déconstruite, à l’état de néant si on l’extrait de son réseau de relations quelles qu’elles soient. L’harmonie se révèle être la relation qui est bonne pour la survie de toute chose. Et pour cette raison, l’harmonie est vue comme le problème clé de l’existence toute chose, qu’il s’agisse de la famille, de la société ou du monde.
On a eu recours à la théorie de l’harmonie pour expliquer la paix dans une société ou dans le monde. Le point important est ici que la paix d’une société ou du monde doit être comprise comme la conséquence ou le résultat de l’harmonie, au lieu de la connexion inverse, de la paix à l’harmonie,comme on le pense généralement.
On a entendu d’innombrables appels à la paix afin de susciter un monde plus heureux ou plus harmonieux. Mais on constate malheureusement que l’harmonie n’a jamais existé dans le monde, même en état de paix. Il y a une différence essentielle entre les deux modèles de « paix, donc harmonie » et de « harmonie, donc paix », bien qu’ils puissent être considérés, en partie, comme un problème circulaire dans les faits. L’harmonie du monde est, logiquement et ontologiquement parlant, la condition nécessaire et suffisante pour toute paix, quelle qu’elle soit, dans le monde, tandis que la paix n’est en rien la garantie de l’harmonie. Il nous est facile d’imaginer le cas de d’une paix acceptée à contre cœur, octroyée, ou déguisée, pour des raisons stratégiques, avec son cortège de colère contenue, de désespoir, de ruses et d’ambitions qui ne peuvent que mener à la ruine, un jour ou l’autre. Cette paix là ne peut être qu’une pseudo paix, comme ce fut le cas durant la Guerre Froide.
On ne peut croire à la paix pour elle-même. Presque toutes les formes d’oppression, de pillage ou d’occupation se poursuivent le plus souvent, de façon certes atténuée, en temps de paix, tandis que restent inchangés l’injustice, l’arbitraire et la tension. La paix n’est rien de plus que la remise à plus tard de la guerre si l’harmonie n’en est pas la condition antérieure. C’est sans doute la raison pour laquelle les philosophes Chinois donnent la priorité à l’harmonie.
La théorie politique de Lao-zi, souvent connue sous le nom de théorie de la Non-action (无为), assure que la non-action pourrait être le meilleur principe politique pour créer la paix dans une communauté. La théorie de la non-action semble être la première doctrine du gouvernement minimal dans l’histoire (il y a environ 2 500 ans). Le principe de non-action signifie que faire le moins est aussi faire le mieux. Non-action veut dire aussi : pas d’action artificielle. Il se fonde sur l’idée que la nature n’a jamais rien fait de plus que le strict minimum et que c‘est ainsi qu’elle est la plus efficacedans son œuvre de création. Il pense que la non-action peut apporter la paix parce qu’elle ne laisse rien à la compétition. Malheureusement, ce brillant idéal s’est révélé une utopie, comme l’a reconnu Lao-zi lui-même, qui n’a des chances d’être opératoire qu’à la condition que tout-sous-le-ciel soit composé uniquement d’innombrables petits états, ne comprenant, chacun, qu’une très petite population”[32].
La réalité historique est que la Chine ancienne, dans le système impérialde tout-sous-le-ciel, par exemple sous le règne des Zhou, comprenait environ un millier de sous-états qu’on peut appeler « petits états », pas si petits cependant que le voulait Lao-zi. Et les forces de chaque état devaient, selon les lois de l’état de Tout-sous-le-ciel, rester dans la limite d’une échelle telle qu’aucun d’entre eux ne pût atteindre un pouvoir qui en fît un danger potentiel pour le monde.
Bien sûr les forces du pouvoir impérial et celles de certains des « états centraux » étaient plus grandes que celles des petits états, mais encore loin de la capacité de conquérir le monde[33].
Pour conclure, tout-sous-le-ciel est sensé représenter un système universel de gouvernance mondiale par une institution mondiale transcendant le système des états/nations. Et l’on suppose que tous les problèmes politiques, dans le monde ne peuvent être résolus que par le recours à une institution mondiale pour le monde, comme la plus haute entité existante, au dessus de tout autre état. La paix ne peut régner dans le monde que s’il existe une institution mondiale capable de produire l’harmonie, condition de la paix. Ce qui suppose un gouvernement du monde entier par un une institution mondiale générée par ce principe d’harmonie ainsi décrit dans le Yi-jing (易经) « tout être doit pouvoir s’accomplir, que chacun respecte l’autre, c’est ainsi que peut régner la Grande Harmonie »[34].
4. De quelques concepts significatifs
a. Le Ciel ( Tian, 天).
Le mot “ciel” en Chinois signifie littéralement : « le plus grand au dessus ». L’ontologieh Chinoise, on l’a vu, est marquée par un « trinalisme », selon lequel le ciel, la terre et l’homme sont considérés comme les trois éléments fondamentaux. La nature étant divisée en ciel et terre, la philosophie <chinoise leur atttribue des sens et des valeurs différentes. Le ciel signifie
1) la nature-éloignée ou la macro-nature, tandis que la terre désigne la nature proche ou la micro-nature
2) la nature qui ne peut être contrôlée, tandis que la terre est la nature que l’on peut adapter à nos besoins
par conséquent, la nature qui décide de notre sort, quand la terre désigne la nature dont on peut disposer.
Dans le trinalisme Chinois, le Ciel, la terre et l’homme sont supposés constituer, également et nécessairement, les trois perspectives permettant de comprendre toute chose, mais la loi du ciel (la Loi générale, Tao de Tian) est considérée comme la justification ultime pour tous les êtres et l’origine de tous les changements possibles, si bien que toute espèce de choses ou de créatures doit se rectifier, ou s’ajuster pour se conformer aux changements naturels voulus par le ciel afin de survivre et de se développer correctement. Cet argument transcendental en faveur de la priorité du ciel conduit au principe « naturaliste », du « plan établi entre le Ciel et l’homme » (天人合一) on l’on peut trouver la source principale de invention politique de tout-sous-le-ciel dans la pensée Chinoise. Tout-sous-le-ciel doit avoir son institution parce que le ciel a son ordre et ses lois. Le monde est là et son existence dépasse celle d’un état, c’est pourquoi le monde doit avoir son institution, plus haute et plus grande que celle d’un etat, faute de quoi la société internationale tournera au chaos.
b. Le Fils du Ciel (Tian-zi, 天子)
Tout-sous-le-ciel doit être compris en même temps qu’un autre concept qui lui est étroitement associé : « le Fils du Ciel » (天子) et qui s’y rattache structurellement. Le Fils du Ciel, homologue de celui qui fut plus tard appelé l’empereur[35], est théoriquement désigné pour « jouir du règne sur le monde, compris comme tout-sous-le-ciel »[36], car le monde de Tout-sous-le-ciel est supposé être sa « maison », et il est dit « que rien n’existe au monde qui soit laissé en dehors du monde de sa maison »[37].
Le principe clé de l’empire Chinois est celui du « rien exclu » (无外) qui implique 1) qu’aucun état ne soit tenu à l’extérieur, et 2) qu’aucune nation ne soit traitée comme étrangère ou « païenne ». Ce qui veut dire que l’empire doit être un empire universel, et qu’aucun état ne puisse prétendre au titre d’empire universel à moins qu’il n’ait en charge le monde dans sa totalité et tous les peuples de ce monde, à moins donc qu’il ne soit universellement reconnu et accepté comme tel par tous les peuples de ce monde.
Une autre chose de la plus grande importance est que le Fils du Ciel agit, plutôt qu’il n’est. En d’autres termes, il peut proclamer que son destin est d’accomplir le mandat du ciel, mais il ne sera confirmé dans ce titre de Fils du Ciel que si, et seulement si, est apportée l’évidence prouvant sa qualification, c’est-à-dire, comme le maître Confucéen Mencius le voulait, si son comportement était bien accepté et supporté par le peuple[38]. Lao-zi, le fondateur du Taoïsme, disait de même: “un roi peut gouverner l’état par décrets, gagner une guerre par sa stratégie, mais ne jouira de Tout-sous-le-ciel que s’il ne porte pas atteinte à la liberté de son peuple ni à ses intérêts »[39]. C’est pourquoi n’était confirmé comme Fils du Ciel que celui qui jouissait de l’assentiment de son ^peuple. Et l’appel à l’évidence du soutien populaire a toujours été le motif justifiant le déclenchement de la révolution, la « réécriture du mandat du Ciel », selon les termes employés en Chinois, quand un empire se montrait cruel envers le peuple. Les Chinois pensent, généralement, que le choix du peuple correspond toujours à la préférence du Ciel, et que, comme il est dit : « le Ciel suit toujours l’opinion du peuple[40]. L’idée d’une correspondance entre la volonté du Ciel et la volonté du Peuple permet d’établir aisément l’évidence de la légitimité d’une gouvernance.
c. La Royauté et la Suprématie ( Wang -dao& Ba-dao, 王道与霸道)
Les penseurs Confucéens ont défini, distinctivement, deux façons de gouverner le monde, qui mettent en évidence l’essence de ce qu’est l’empire de Tout-sous-le-ciel. De façon générale, la gouvernance de tout-sous-le-ciel, qui a pour objet de faire le bonheur de toute la population, dans le monde entier, par le moyen d’une justice universelle , est appelée Royauté(王道)[41],tandis que la domination établie sur le monde par un état puissant est appelée Suprématie (霸道)[42]. La royauté est considérée comme le gouvernement légitime de l’empire de tout-sous-le-ciel et comme le modèle idéal d’organisation du monde, à l’opposé de l’hégémonie, parce que c’est « ce que demande le peuple »[43].
Les penseurs Chinois ont tenté d’établir, sans arriver encore à en faire la parfaite démonstration, que le principe éthique de la Royauté est toujours accordé à sa légitimité politique et coïncide même avec la réussite de ses choix stratégiques, pourvu que ce succès soit évalué en terme de longue-duré, puisque la seule façon d’assurer la longévité d’un règne est de gagner le cœur du peuple[44].
La théorie Chinoise de l’anti-hégémonie peut être considérée comme la première théorie des jeux, dans la conception contemporaine du terme[45]. Toute sorte d’empires occidentaux, y compris l’Empire Romain, l’Empire Britannique ou l’Empire Américain, peuvent être catégorisés comme des empires hégémoniques, selon la conception Chinoise.
La supériorité de la Royauté demeure une question ouverte car l’argument de justice et de bienveillance, présenté comme la clé de son accomplissement, n’a jamais été complètement établi. En fait, la préférence pour la Royauté dans le gouvernement de l’empire ne fait pas l’unanimité des philosophes Chinois. L’un des premiers légalistes[46], Shang Yang (商鞅, 390BC-338BC), zélateurs de l’empire hégémonique, pensait que “la force du pouvoir est la seule chose qui garantisse le respect du Chef et la grandeur de l’état » ; il pensait aussi que le recours à des stratégies modulant l’usage du pouvoir selon les différentes situations était une forme de savoir politique qui convenait aux peuples ignorants, tandis que l’usage de la force était la seule façon de gouverner un peuple instruit.”[47].
d. Les Formes Propres de Relations (Li, 禮)
“Li” (禮) signifie les formes propres de relations sociales[48]. Le concept implique une théorie de l’institution selon laquelle les formes politiques et les normes éthiques sont conçuees comme une seule et même chose. Il peut renvoyer, selon les différents contextes, aux formes politiques, aux normes éthiques, aux rites ou à la culture. Les formes propres de relations sociales ont été principalement comprises en référence au cadre familial. Toujours considéré comme le terrain naturel offert par la nature, et donc le modèle par excellence des relations d’amour, d’harmonie et des obligations mutuelles, il constitue le premier motif, et la raison majeure qui « exalte l’essence de l’humanité »[49], au point qu’on a pu dire qu’il était la seule chose « qui ne puisse jamais être altérée, tandis que sont altérables toutes les autres règles, lois ou savoirs[50]. La philosophie Chinoise pose le principe qu’une culture “est juste lorsqu’elle est conforme aux sentiments humains[51].
Les formes propres des relations sociales sont supposées constituer les fondements ; ou les méta-principes de l’institution de tout-sous-le-ciel.
Comme le disait l’historien Sima Guang (司马光, 1019-1086) : » Le plus important des devoirs du Fils du Ciel est de maintenir les formes propres des relations sociales. L’essence de ces formes propres consiste dans l’institution rituelle d’une juste mesure et d’un bon équilibre entre les droits de chacun et ses obligations. Et l’assurance de cette institution rituelle réside dans l’attribution d’une appellation correcte pour toute chose ”.[52] C’est là la théorie Confucéenne de la justification des noms, qui est considérée comme la philosophie de la politique domestique.
Il est intéressant de souligner ici que dans cette théorie des formes propres apparaît un autre principe applicable aux relations internationales. C’est le principe de libre décision, ainsi formulé : « une culture ne peut être imposée aux autres malgré elles ». L’Interprétation des Rites explique que l’harmonie ne peut être obtenue qu’à deux conditions : « vivre dans une relation de cœur à cœur, lorsqu’il s’agit de proches ; se respecter réciproquement, lorsqu’on est différent…Les Rites diffèrent dans la forme, mais sont égaux, dans l’essence, comme expression du respect, tout comme la musique diffère dans le style mais est égale dans l’essence, comme expression du coeur”[53].
Cela signifie que les brillantes vertus de l’humanité ne peuvent se révéler que dans le respect des formes différentes de la vie. Et respecter l’autre est, au minimum, respecter son libre arbitre dans le choix d’une culture. Il est dit : « Il est bien d’apprendre les formes de culture propres aux autres, mais il est injuste d’imposer aux autres ses propres formes de culture. En d’autres termes, les différentes formes de culture sont toujours bonnes à apprendre, mais elles ne doivent jamais à être imposées aux autres”[54].
L’empire Chinois, de fait, a rarement tenté d’universaliser sa culture, si fier, et peut-être trop fier, qu’il soit de ce « splendide héritage ».
[1] Ainsi, Wang Bo, poète de la Dynastie des Tang, invente la combinaison “Di-guo”, pour designer le pays de l’empereur, à des fins d’harmonie poétique, dans son œuvre: “江甯吳少府宅餞宴序”。Mais il ne s’agit en rien d’un concept usuel dans la culture Chinoise.
[2] Cf. ci-dessous, Zhao Tingyang, 2ème partie : Analyse Philosophique
[3] Les trois éléments, ciel, terre et homme, compris comme étant les trois perspectives fondamentales (《易經/系辭下》:“有天道焉,有人道焉,有地道焉”), interagissent réciproquement dans le principe d’harmonie, mais ne sont pas identiques dans leur essence, si bien qu’on parlerait abusivement de trinité. C’est pourquoi je propose de nommer la notion de ce rapport de trois à un, comme cadre conceptuel, le trinalisme. L’historien Li Ling souligne également que cette notion signifie « trois issu de un » et « trois en un », mais n’est pas équivalente à la notion occidentale de trinité, bien qu’elle ait été couramment employée, sous la Dynastie Tang, pour traduire ce concept en Chinois. 李零:《中國方術續考》,東方出版社,2000,p.247。
[4] La raison généralement invoquée pour expliquer l’importance de ce rôle donné à la terre est le caractère essentiellement agraire de la nation Chinoise.《呂氏春秋/審時》:“夫稼,爲之者人也,生之者地也,養之者天也”( « l’agriculture c’est le travail de l’homme, le réconfort de la terre et le don du ciel »).
[5] Il y a environ 2500 ans, un Duc demanda au Ministre Guan-zi (?—645BC), un savant renommé, quelle était la taille de la terre, et Guan-zi lui répondit qu’elle devait avoir à peu près la dimension d’un rectangle de vingt huit mille milles Chinois d’est en ouest, et de vingt six mile milles du nord au sud (le mille équivalent à un peu moins d’un demi kilomètre) 《管子/地数》:“地之东西二万八千里,南北二万六千里”。
[6] Le concept “neuf régions” apparaît avec des sens similaires, dans les textes les plus archaïques tels que 《尚書/禹貢》,《周禮/夏官/職方》et《爾雅/釋地》,présentant néanmoins de légères différences en fonction des connaissances de l’époque. Ils montrent, en tout cas, que les Chinois avaient une telle prédilection pour la façon de compter par neuf que le ciel lui-même était divisé en « neuf espaces ». Cf.《淮南子/天文》:“天有九野,地有九洲”。
[7] L’un des problèmes les plus importants concernant le sens d’un mot est de savoir s’il relève de son référent intentionnel ou de son referent empirique. Mon point de vue est que c’est bien l’intentionnel qui détermine le sens. Considérons le cas où, voulant évaluer le nombre de “tous les participants de la conférence”, je me trompe dans mon compte, cela n’implique pas pour autant que “tous les participants” ait pour référent le nombre erroné.
[8] 《史記/卷6/秦始皇本紀》:“西涉流沙,南盡北戶,東有東海,北過大夏,人迹所至,無不臣者”。
[9] 《荀子/王霸》:“取天下者,非負其土地而從之之謂,道足以壹人而已矣”。
[10] 《禮記/大學》:“得衆則得國,失衆則失國”。
[11] Le système confucéen de classement des formes ou entités politiques fait toujours apparaître les trois éléments clés que sont tout-sous-le-ciel, les états, les familles, comme étant, respectivement, dans l’ordre, le plus grand, le moyen et le plus bas. Mais le Taoïsme prend en considération, dans ce système hiérarchique, d’autres éléments : il comporte le moi, la famille, le village, l’état et tout-sous-le-ciel, faisant ainsi preuve de sa propension à une certaine forme d’individualisme. Non pas que le Confucianisme ignore l’importance de l’ego, mais il pense que le problème de l’individu est un problème d’ordre éthique plutôt que politique. La structure : « tout-sous-le-ciel, les états, les familles a fini par devenir le principe politique déterminant, en raison du succès du Confucianisme en Chine. Cf. 《孟子/離婁上》:“人有恒言皆曰天下國家”,“天下之本在國,國之本在家,家之本在身”;《道德經/54章》:“以身觀身,以家觀家,以鄉觀鄉,以邦觀邦,以天下觀天下”。
[12]Dans la Chine archaïque, il y avait plusieurs noms pour le détenteur du pouvoir suprême, tels que Fils du Ciel
(天子), Roi (王) et Grand Roi (皇). “>Roi” ne signifiait pas le chef de l’état, mais se référait au détenteur du pouvoir suprême pour le monde entier. EN 221 AC, le premier empereur de la Dynastie Chin inventa pour lui-même le nouveau nom de l’empereur (皇帝) trouvant ce nouveau nom plus brillant et majestueux.
[13]Les sous-état Chinois, dans ces temps anciens, étaient très comparables aux cités/états Grecs pour beaucoup d’aspects, avec cependant de certaones différences importantes. L’ancien mot pour état en Chinois est “或”, significant “citadelle” tandis que le territoire environnant était appelé “champs”” (野), caractère auquel fut ajouté ultérieurement le caractère signifiant la muraille, ou les remparts (autour de la cité) 口 formant un nouveau mot “國”. On considérait les sous-états comme des membres de la grande famille impériale.
[14] 《國語/周語上》曰:“夫先王之制,邦內甸服,邦外侯服,侯衛賓服,夷蠻要服,戎狄荒服”。《周禮/夏官/大司馬》曰:“方千里曰國畿,其外方五百里曰侯畿,又其外方五百里曰甸畿,又其外方五百里曰男畿,又其外方五百里曰采畿,又其外方五百里曰衛畿,又其外方五百里曰蠻畿,又其外方五百里曰夷畿,又其外方五百里曰鎮畿,又其外方五百里曰番畿”。又可參見《尚書/禹貢》及《尚書/酒誥》。
[15] L’historien Qian Mu (钱穆) disait que, seul, le fameux penseur Qu Yuan, fut un nationaliste exceptionnellement attaché à son état. Voir《中國文化史導論》,商務,1994, p.49.
[16] De nombreux récits très détaillés, sur ce point sont relatés dans la grande histoire de la Chine 《史記》écrite par Shi Maqian (145BC-96BC).
[17] 《道德經/54章》。
[18] In Yi-Chin《易/賁/彖傳》:“觀乎天文,以察時變,觀乎人文,以化成天下”。
[19]L’historien Xu Zhuoyun (許倬雲) affirme que la Grande Communauté Chinoise, avec son ideal culturel largement partagé s’est formée définitivement sous les Zhou. Cf. 《西周史》,三聯,2001。
[20] 《明夷待訪錄/原法》。
[21] Cf. 《元史/卷7/世祖紀4/建國號誥》;《國朝文類/卷40/經世大典序錄/帝號》。
[22] Ndt: n’appartenant pas à l’ethnie des Han Cf. 《遼史/卷4/太宗本紀》。
[23] 《清入關前史料選輯/1》,中國人民大學出版社,1984,pp.289-296。
[24] 雍正:《大義覺迷錄/卷1》:“上天厭棄內地無有德者,方眷命我外夷爲內地主”。
[25] Karl Schmitt: Der Begriff des Politischen, Munchen & Leipzig, 1932, p.54.
[26] On voit, non seulement dans le cas de He-ping, mais dans de nombreux autres mots chinois, que ces mots constituent de véritables « schémas » de théories, en raison de cette caractéristique propre de la langue Chinoise, selon la quelle les mots sont non seulement des symboles, mais aussi des « représentations » ou des « images », avec un pouvoir de signification beaucoup plus grand et beaucoup plus flexible. Il semble que la philosophie Chinoise soit si intimement reliée à ce langage que la traduction des mots Chinois soit considérablement appauvrie par la perte de cette propriété spécifique dans la construction du sens.
[27] 《易经/系辞上传》:“一阴一阳谓之道”;《易经/说卦》:“立天之道曰阴阳”;《老子》:“万物负阴而抱阳,冲气以为和”。《淮南子/天文训》:“道始于一,一而不成,故分而为阴阳,阴阳合和而万物生”。《管子》:“和乃生,不和不生”。
[28] 《庄子/天道》:“夫明白于天地之德者,此之谓大本大宗,与天和者也;所以均调天下,与人和者也。与人和者,谓之人乐;与天和者,谓之天乐”。
[29] 《左传/昭公20年》:“公曰:和与同异乎?对曰:异。和如羹焉,……宰夫和之,齐之以味,济其不及,以泄其过。……君臣亦然,君所谓可,而有否焉,臣献其否,以成其可;君所谓否,而有可焉,臣献其可,以去其否。是以政平而不干……若以水济水,谁能食之?若琴瑟之专一,谁能听之?同之不可也如是”。
[30] 《国语/郑语》:“夫和实生物,同则不继。以他平他谓之和,故能丰长而物生之,若以同裨同,尽乃弃矣。……声一无听,物一无文,味一无果,物一不讲”。
[31] 《礼记/乐记》:“和故百物不失”。
[32] Cf. 老子:《道德经》。
[33] Selon le Système des Forces des Dynasties de Chen Fuliang(1137-1203), sous l’Empire Zhou, les forces impériales ne pouvaient être supérieures à plus de deux fois celles d’un grand état, trois fois celles d’un état moyen et plus de six fois celles du plus petit des états. 陈傅良:《历代兵制》。
[34] 《易传/乾》曰:“万物各正性命,不相悖害,是谓太和”。
Durant les quatre ou cinq mille années de l’histoire de la Chine ancienne, avant que le Roi Chin le Grand se fût attribué le nom de “premier empereur, en 221 AC, on appelait le Roi le Fils du Ciel, ce titre apparaissant comme l’interprétation la plus importante de la function d’empereur.
[36] 《禮記/曲禮下》曰:“君天下曰天子”。《詩經/小雅/北山》曰:“溥天之下莫非王土,率土之濱莫非王臣”。
[37] 蔡邕《獨斷/卷上》曰:“天子無外,以天下爲家”;司馬遷《史記/卷8/高祖本紀》亦曰:“天子以四海爲家”。龔自珍《龔定庵全集類編/五經大義終始答問七》又曰:“聖無外,天亦無外者也”。司馬光《資治通鑒/卷27/漢紀19》引荀悅曰:“春秋之義,王者無外,欲一於天下也”。
[38] Mencius disait que le people avait un poids plus grand que le gouvernement et que le soutien du people apportait la confirmation définitive du règne. Et il insistait, assurant que le roi perdrait son règne qui perdait le soutien de son peuple. Il le perdrait parce qu’il règnait contre le gré de son peuple. L’Interprétation des Rites disait aussi : “jouit du règne qui jouoit du soutien du peuple, perd son règne qui perd le soutien du peuple » Cf.《孟子/民爲貴章》:“民爲貴,社稷次之,君爲輕。是故得乎丘民而爲天子”;《孟子/失天下也章》: “桀紂之失天下也,失其民也,失其民也,失其心也”;《禮記/大學》:“得衆則得國,失衆則失國”。
[39] 《老子/57章》曰:“以正治國,以奇用兵,以無事取天下”。
[40] 《尚書/泰誓》:“民之所欲,天必從之”;《易傳》:“湯武革命,順乎天而應乎人”。
[41] 《尚書/洪范》:“無党無偏,王道平平,無反無側,王道正直”。
[42] 《孟子/公孫醜上》:“以力假仁者霸,霸必有大國,以德行仁者王,王不待大”。
[43] Le mot Chinois “wang” (Royauté), signifie “la volonté” du peuple《春秋繁露/滅國》:“王者,民之所往”;《白虎通義/皇帝王之號》:“王者,往也,天下所歸往”。
[44] 《孟子/離婁上》:“得天下有道,得其民,斯得天下矣。得其民有道,得其心,斯得民矣”;《孟子/公孫醜上》:“以力服人,非心服也,力不贍也,以德服人者,中心悅而誠服也”。
[45] Certaines recherches semblent montrer, bien que la démonstration ne soit pas totalement établie, que l eprincipe éthique pouvait aider à faire gagner une stratège dans une comppétition à long terme.Cf. Axelrod & Hamilton: Evolution of Cooperation (1981) in Science, 211.
[46] Mouvement d’idée, à l’opposé du Confucianisme, prônant la suprématie et l’application rigoureuse de la Loi, qui a son origine dans la politique centralisatrice d’uniformisation de l’empire du Premier Empereur Chin (ndt).
[47] 《商君書/慎法》;《商君書/開塞》。
[48] Le mot Li ” (禮) est traduit habituellement par rite , parfois par cérémonies ou par noms.Mais ces traductions ne sont pas satisfaisantes. K. Folsom propose “lconduite appropriée (Friends, Guests and Colleagues, chapter 1, Univ. of California, 1968), ce qui paraît plus juste, mais n’est pas encore une parfaite traduction. Je propose, pour ma part : « les formes propres de relations sociales », comme traduction la plus proche du sens.
[49] 《禮記/大傳》曰:“上治祖禰尊尊也,下治子孫親親也,旁治昆弟,合族以食,序以昭穆,別之以禮義,人道竭矣”。
[50] 《禮記/大傳》曰:“聖人南面而治天下必自人道始矣。立權度量,考文章,改正朔,易服色,殊徽號,異器械,別衣服,此其所得與民變革者也。其不可得變革者則有矣,親親也,尊尊也,長長也,男女有別,此其不可得與民變革者也”。Seuls un petit nombre de philosophes Chinois ont exprimé, sur la famille, un point de vue opposé. Shang-yang, par exemple, disait que l’éthique de la famille encourageait l’égoïsme et le mal plutôt que la gentillesse et la bonté, et il pensait que les lois étaient la chose la plus importante.Cf. 《商君書/開塞》。
[51] 《禮記/曲禮上》.On demanda à Confucius pourquoi un homme devait se conformer au rite qui oblige à prier pour ses parents durant les trois années qui suivent leur mort. Il répondit par cet argument que tout homme a passé ses trois premières années de sa vie dans les bras de ses parents, et qu’il leur devait donc bien, au moins, trois années de prières inconditionnellement, en paiement des trois années d’attention inconditionnelle que ses parents lui avaient consacré. Cf.《禮記/三年問》。
[52] 司馬光:《資治通鑒/卷1/周記1》。
[53] 《禮記/樂記》曰:“同則相親,異則相敬……禮者殊事,合敬者也,樂者異文,合愛者也”。
[54] 《禮記/曲禮上》曰:“禮,聞取於人,不聞取人,禮,聞來學,不聞往教”。









