Les jeunes et la ville

Stains Enquête sur les jeunes et la ville

Alain Bertho, Rapport de Recherche 2002

La ville

Qu’est-ce qu’une ville ?

Quels ont les rapports des jeunes avec la ville : cette question nécessite de comprendre d’abord ce qu’est une ville pour les jeunes de Stains que nous avons interrogés. Or la pensée de la ville est diverse.

La première approche possible est une approche objective, celle du bâti, des cités, des quartiers, sans unité formelle :

C’est un regroupement de quartiers, un regroupement de cités délimitées.

Une ville… C’est une ville avec des cités, des quartiers, avec du peuple.

C’est un ensemble de quartiers et de cités aussi.

Des maisons avec des gens qui y vivent.

Cette première approche n’ouvre à rien quant au rapport à la ville. Elle est descriptive, objective, non subjectivable. La seconde approche dessine l’idée d’une socialité, d’une urbanité que peut aller de « C’est un ensemble de personnes » sans plus de précision à l’indication d’une unité administrative très personnalisée : « Là où il y a des gens qui habitent sous la responsabilité d’un maire ».

Au-delà, s’énonce quelque fois des conceptions plus intéressantes établissant la ville comme une plurifonctionnalité ouvrant à des possibles. Ces possibles peuvent être de l’ordre des relations humaines (« C’est un ensemble de personnes qui sont d’accord dès le départ pour vivre ensemble, qui se respectent. ») ou de l’ordre des activités et services : « Une ville c’est un endroit où on peut faire des activités, où il y a des choses à notre disposition ». Au fond, comme dit l’un d’entre eux « le contraire de la campagne. »

C’est à partir de cette pensée de la ville que se disposent les jugements sur Stains. Pour quelques-uns uns, fixés sur la ville matérielle et objective, le bâti, la première approche sera celle de la saleté (« Elle est pas très bien, trop de dégradation », « La ville n’est pas propre »). Mais pour la plupart des autres c’est sur l’urbanité et sur les possibles que va porter le jugement. Ici quelques énoncés dominent assez nettement

  • Stains est une ville où on s’ennuie

Ici, y a rien à faire, on s’ennuie c’est nul, il faudrait plus d’activités. On s’ennuie dans cette ville

Stains les marécages… A Stains y a rien, ça rime ! Par rapport à Saint-Denis, on dirait la campagne. Y a pas de vie à Stains

Moi je ne fais pas grand-chose dans Stains, il c’est pas animé, il n’y a pas de magasins, donc on sort

C’est bien pour ceux qui aime la tranquillité c’est-à-dire les vieux

  • Mais Stains est aussi caractérisée par un possible positif dans les rapports entre les gens : en deux mots Stains « est une ville solidaire », est « une ville dynamique »

Les gens s’aident entre eux. J’habite à Stains, c’est une ville conviviale

C’est une ville conviviale,

C’est que c’est une ville dynamique, il y a beaucoup de réunions sur la ville, les différents quartiers, et c’est bien. Ça permet aux habitants d’avoir un contact avec le maire.

Elle est bien, y a pas trop de gens qui emmerde le monde, y a de bonnes activités

  • C ‘est cette urbanité là, ces possibles là que vient perturber « la violence » quand elle est évoquée : Quand les jeunes ne s’entendent pas, il y a de la violence

Les jeunes s’aiment pas entre eux, entre différentes cités on évite les contacts. Question de rivalité, voilà je veux affirmer que ma cité est plus forte on fait ça avec violence, affrontements, c’est question d’autorité

C’est une ville assez agitée ces temps-ci, y a beaucoup de violence, les gens fument de la drogue, aussi dernièrement y a eu des coups de feu, il faut que la ville fasse des progrès au niveau de la sécurité,

Le quartier

C’est de la même façon autour de la question de la socialité et de l’urbanité que les quartiers vont être id »notifiés, et non comme des réalités urbanistiques :

C’est renfermé, un ensemble de copropriétés, mais j’y suis rarement, Parce qu’il n’y a rien à faire, y a que de la verdure. Tous les copains sont au Clos.

Stains-village ? Y a que des vieux, y a rien pour les jeunes. Tu vis chez toi et tu fais pas de bruit

C’est pas pareil que la cité, il y a une meilleure ambiance. Il y a du respect

J’aime bien mais y a pas assez d’ambiance c’est-à-dire que dans le quartier, on est pas trop lié, on se dit bonjour c’est tous, on s’organise pas des soirées pour apprendre à tous se connaître dans le quartier, les maisons de quartiers, il y en a pas beaucoup, il faut que j’aille dans un autre quartier pour profiter des activités de la ville

Mon quartier est calme, y a rien qui se passe, c’est chiant

C’est calme, à ma connaissance y a pas trop de violence ( clos St Lazar)

Y aurait pas la violence ce quartier serait bien, y a beaucoup d’associations pour les jeunes

Il est calme et il ne se passe rien dans ce quartier

Le quartier de l’Avenir, c’est calme, les gens sont bien mais par exemple quand on perd un ballon dans le balcon d’un voisin, ils se plaignent

« Etre jeune à Stains » renvoie ainsi à trois figures de socialité : celle des copains, celle des services municipaux, celle de l’ennui et celle de la violence

  1. Les copains

C’est s’amuser entre copains. J1

Les bandes, avoir de loisirs comme le foot ou autre et puis aller à l’école

  1. Le SMJ et les équipements

C’est vivre, c’est avoir la chance de s’amuser grâce au SMJ.

Le service jeunesse pour voir les activités, j’essaie de m’y inscrire pour voir de nouvelles choses J

C’est terrible, y a pleins de trucs à faire, exemple : la maison de quartier, on fait pleins de trucs, cinéma etc…

  1. L’ennui

C’est galérer. Y a rien à faire

Ils devraient faire plus de choses pour les jeunes, on fait rien, on traîne dans Stains, on traîne dans les escaliers et après ils appellent les flics, il faudra un endroit bien à nous

C’est la galère, on se fait chier, on est obligé d’aller dans les autres villes pour s’amuser et changer d’endroit

  1. Violence

Etre jeune Stains il faut être fort moralement pour surmonter cette violence autour de nous, on essaie de la surmonter par les différentes activités proposées par les associations

Les lieux des jeunes sont disposés sur le même registre. IL y a ainsi :

  1. Les services municipaux

Le SMJ, le Centre social parce qu’ils proposent des activités diverses.

Le SMJ, la PAIOF et les halls, parce qu’ils font des trucs, des animations. Les halls c’est pour ceux qui n’ont rien à faire, parce que le SMJ et la PAIOF ne sont pas ouverts 7j/7. Y a aussi le terrain de foot.

Les animations de quartier, les collèges. Dans les cités il y a des animations par des pions, il y a de la musique, de la danse, du sport, c’est gratuit, c’est pour divertir, pour éviter de tourner mal.

Les gymnases, les centres jeunesse. Sans doute pour avoir des loisirs , pour pas s’ennuyer

Le clos Saint Lazar , y a plus d’animation dans ce quartier

Là où il y a des animations, les maisons de quartiers, les centres sociaux et dans les autres cités S1

Les maisons de quartier, il y a pleins de choses à faire, dans notre cité, il y a rien à faire.

Les maisons de quartier, le Clos St Lazar parce que là-bas on s’amuse, on nous propose des activités ça nous occupe et on se fait moins chier S4

  1. Les cages d’escalier

C’est surtout et souvent les cages d’escalier, ça crée des problèmes pour ceux qui habitent dans les immeubles

Les lieux les moins fréquentés par les jeunes sont caractérisés soit par leur mono fonctionnalité soit par l’absence totale d’activité. Ainsi sont cités

  • Le cinéma

Le cinéma Paul Eluard sauf quand il y a des activités proposées par le Centre social et le SMJ.

  • La bibliothèque

Les bibliothèques parce que c’est pas tous les jours qu’on nous demande d’aller faire des recherches et il faut s’intéresser à la lecture moi c’est pas trop ça.

  • Les quartiers pavillonnaires

Stains-village, parce qu’y a pas d’animation.

Les cités pavillionnaires, y a que des vieux c’est là où j’habite.

rien.

Vivre ailleurs ?

Sur la question de savoir s’ils désirent quitter la ville un jour, les réponses de jeunes sont très partagées. Ceux qui désirent rester invoquent là encore la socialité, les habitudes, les copains ; L’attachement à Stains n’est pas un attachement à un lieu, à une ville, mais à la subjectivité qui s’y est inscrite :

Non. Ça fait 8 ans que j’y vis, je tiens à mes copains

Pourquoi pas mais je me sens bien, personnellement j’ai pas de problème

Non, j’y suis habitué.

Non , parce que j’ai vécu dans cette ville depuis que je suis tout petit, on s’habitue, je suis bien ici, mes amis sont là, y a aussi que l’endroit je le connais bien, toute mon adolescence est là

Oui mais j’ai trop de copains pour partir Le désir de départ s’inscrit donc dans le désir d’une autre socialité, moins violente.

Oui, j’aimerais partir, parce que c‘est pas calme la vie parisienne. Y a une mentalité…(Qu’est-ce que tu entends par mentalité ?) Entre les gars et les filles, c’est plus violent que dans les autres villes. Sinon je me plais à Stains. Oui Parce que je pense que Stains commence à devenir dangereux

Oui. Pour échapper à la violence, la drogue, découvrir d’autres endroits, se faire de nouveaux amis, voyager, découvrir un peu plus les villes

Stains dans dix ans ? La question est complexe dans ces conditions car elle renvoie à la projection de la subjectivité des jeunes dans un avenir incertain. « Je crois pas que je serais là dans 10 ans, je ne vois pas », « J’aurais du mal à voir Stains dans 10 ans parce que je ne serais plus là certainement », « Avant 10ans, je ne serais certainement plus là car on compte déménager »…

La mairie

La mairie n’est pas, pour les jeunes interrogés, une réalité administrative globalisante et territorialisée. Si elle est ainsi évoquée, elle est renvoyée au monde des adultes. « C’est une question pour mes parents, moi je connais pas trop les services que la mairie donne » dit l’un d’entre eux. « La mairie c’est pour les adultes », dit un autre. La mairie, pour les jeunes, ce sont d’abord des services auxquels ils peuvent avoir affaire pour avoir des activités, services très vite personnalisés. La mairie, ce sont les employés de mairie qu’ils rencontrent pour faire quelque chose ensemble :

Le centre social et c’est tout.

L’ESS Stains parce que je fais du sport.

Les différents terrains de football, les espaces de jeux, si on peut appeler : les associations

Les colonies de vacances quand j’étais petit et les centres aérés

On fait appel à la mairie pour les voyages

Le clos St Lazar, des éducateurs et des assistantes sociales

Le Centre social et le SMJ. Le Centre c’est Sandra, Véronique et Évelyne, on est proche d’eux, on vient aussi pour le côté humain.

La « prise en compte des attentes » des jeunes est alors posée comme une capacité de négociation ou de co-élaboration des activités

Le SMJ nous demande ce qu’on veut faire. Comme y a 2-3 ans on avait demandé des cages sur le terrain, ils ont répondu à notre attente

Ils font des trucs qui nous intéressent et qu’on a demandé grâce aux maisons de quartier

Lorsqu’une réserve est énoncée c’est sur le même registre, celui de l’absence de négociation :

Ils nous prennent pas en compte, les maisons de quartier imposent leurs activités, ils exigent qu’on vienne tout le temps surtout le matin alors que parfois on a pas le temps ex : La maison de quartier nous proposait des activités à 18H00 mais je ne peux pas, il faut que je fasse mes devoirs et je devais à cette heure-ci à la danse quelque fois et quand ils me voyaient, ils me demandaient pourquoi je n’étais pas venue pour l’activité, déjà, ils ont pas à me demander pour quoi je suis pas là pour une activité parce qu’on a des choses à faire et ça ils comprennent pas

Pour les habitants oui mais pour les jeunes ils font rien pour nous, ils construisent et reconstruisent mais nous ce qui est le plus important c’est qu’on se sente bien à Stains et pour ça il faudrait des choses qui nous occupent.

Moi et les copains, on serait intéressé par du parapente et du parachute, mais ils ne le proposent pas J.

Cet écart n’est pas énoncé comme un défaut d’information. :

Le SMJ pour les vacances il envoie un courrier avec les activités,.

Je reçois des lettres du SMJ pour les vacances. Je regarde avec mes potes ce qui nous intéresse

Par les affiches qu’ils mettent sur les murs et puis ils nous envoient des lettres pour ceux qui sont inscris dans les centres de

Soit par courrier parce que les différentes associations où je suis inscrit envoient toutes les semaines ou touts les mois un planning. Pour ceux qui sont pas inscrits, il y a les panneaux publicitaires où les associations proposent leurs activités

L’absence d’information est plutôt renvoyée à un manque d’intérêt Non

On ne le voit pas clairement. Il y a des panneaux d’affichage mais si on ne s’y arrête pas, on ne sait pas

Cela m’intéresse pas

De temps en temps par l’intermédiaire de mes copines mais je suis difficile et ce qu’ils font ça me plaît pas sauf la danse

L’Espace Paul Eluard est plutôt mal perçu dans sa programmation : au fond, il n’apparaît pas comme un cinéma de notre temps :

Il est quand même bien malgré le retard.

Ils feraient bien de le rénover, il date

Les films ils sortent trop longtemps après.

Oui, le cinéma, il serait temps de le rénover

C’est bien mais ils sont un peu en retard comme il n’y a qu’une salle, on peut passer qu’un film

J’y vais mais c’est nul, quand on me dit tu viens on va au cinéma, je leur demande si ça les intéresse pas d’aller dans un vrai cinéma pas une petite salle comparée aux autres cinémas où on passe des films qui datent, il y a 1nouveau film sur 4 qui passe dans ce cinéma mais bon l’avantage c’est que c’est pas cher.

J’y vais pas parce que c’est nul

Son atout est moins dans sa fonction de cinéma que dans son rôle de socialité : « Ca mélange les populations ».

Ils mêlent des gens de tous les genres, de populations différentes, parce qu’entre les jeunes et les adultes, c’est pas ça.

C’est là qu’on peut rencontrer les autres habitants de la ville qu’on peut pas rencontrer dans la rue

Le service jeunesse , comme le service enfance d’ailleurs, ne semble pas très connu (« Je ne connais pas », « Je connais pas parce que c’est pour les 16-25 ans », « Je connais pas », « Jamais entendu parler », « C’est bien d’après les copains mais moi je connais pas », » Je peux pas dire grand chose », « Je connais pas aussi le service enfance, j’en entends parler mais je connais pas »). Lorsqu’il est connu, il est d’abord présenté comme un pôle « d’encadrement » des jeunes, mais pas comme un lieu de difficulté particulière

il encadre bien les jeunes, donc il remplit son rôle de service municipal

Ils s’occupent des jeunes. Ils essaient de leur trouver des activités potables

Quant au sport à Stains, il est, dans les propos des jeunes, dominé par le foot-ball

Le sport dominateur, c’est le foot. Y a aussi le basket. Y a les moyens pour faire tous les sports grâce au gymnase mais ça intéresse pas trop les jeunes

C’est que du foot

Il y a le foot pour les garçons

Si vous étiez maire de Stains, que feriez vous pour les jeunes ?

Je ne sais pas parce que je ne me vois pas maire de Stains

La famille

Que sont les parents pour les enfants? Au-delà des constats objectifs (« ils sont divorcés », etc.) ou du manque de communication à un âge où la tension avec les parents est assez courante, on est frappé par une grande déférence, une grande reconnaissance des parents de la part des jeunes. Les parents sont d’abord des gens qui font beaucoup pour eux :

Bah ils travaillent , ils travaillent dur pour qu’on ait assez de besoin à la maison comme télé, nourriture, objet ménager tout ça.

C’est des parents qui me suivent beaucoup au niveau des études et ça je suis d’accord avec eux il faut qu’ils soient stricts et qu’ils mettent tout pour que leur fils réussisse. Mes parents essayent de tout faire pour que je puisse bien vivre dans de bonnes conditions et c’est aussi des parents qui savent se faire respecter et ça je suis d’accord avec eux

Je les aime bien. Ils sont ouverts. On parle de tout. Parce que je suis originaire d’un pays musulman, où il y a beaucoup de respect. Mes parents sont ouverts mais ils restent stricts

Je les aime. Comme tout le monde peut le dire, c’est les meilleurs parents du monde. Je leur dois tout, ils m’ont très bien élevé et ils continuent

Ils n’en attendent guère plus :

Qu’ils continuent à m’aimer, à me respecter en acceptant que j’aie ma vie et que c’est à moi de la conduire comme bon me semble

Rien de plus, ils m’ont tout donné.

Les parents apparaissent de leur côté comme porteurs d’attentes qui rejoignent la vision d’avenir posée plus haut, qu’il s’agisse du métier, de la place dans la vie, de la reconnaissance sociale:

Ils aimeraient que je sois un homme respectable, qui respecte les autres aussi. Un homme avec un grand H.

Ils attendent que j’assure à l’école et que je vive une bonne vie, que j’ai un bon métier, une bonne situation

Ils attendent que je réussisse dans mes études et avec l’éducation que j’ai reçue et que je reçois encore devenir un homme sérieux

Que je travaille bien et que j’ai un bon avenir

Que j’ai un bon travail et que je gagne bien ma vie et que je parte de Stains

Ma mère attend que je sois heureuse. Même si je ne réussis pas, c’est le principal

L’un des jeunes interrogés dit de ses parents « Ce sont des personnes respectables, biens ». A leur avis, leurs parents sont-ils respectés ? Pour l’essentiel les réponses disposent deux idées : être respecté c’est « ne pas être des gens à problèmes dans la cité ou la ville » et « avoir de bonnes fréquentations :

Je pense que oui parce qu’eux-mêmes respectent les autres. Ils ne sont pas des gens à problèmes. Ils ne sont pas toujours là à se disputer pour un rien, genre : “t’as garé ta voiture à ma place”.

Donc dans la cité ? Ils ont jamais eu de problème.

Mes parents sont connus dans la ville, on a pas eu de problèmes dans la ville je pense qu’ils sont respectés tel que eux ils respectent les autres

Par exemple les personnes qui traînent dans le hall, ils disent bonjour, ils dégradent pas la boîte aux lettres, ce qu’ils font avec d’autres, ils ne les insultent pas ( les parents)

On respecte nos parents et ils sont respectés par le voisinage, il y a jamais eu de problème avec les gens

Ma mère a une assez bonne situation, elle rencontre des gens bien, fréquentables.

Les copains

L’enquête sur les jeunes de Stains confirme l’importance des copains dans la vie et la socialité des jeunes « c’est un monde à part. », un monde de confiance réciproque, peut-être le seul pour ces jeunes :

C’est des personnes en qui j’ai entièrement confiance. C’est des personnes avec qui je passe ma jeunesse.

Quand on a des embrouilles, on règle ça avec eux, c’est nos potes de galère, on galère tous ensemble

C’est des gens à qui on peut faire confiance,

C’est des personnes avec lesquelles on a confiance, qu’on connaît depuis longtemps et qu’on peut parler avec eux de tout et n’importe quoi

C’est ceux sur qui je peux avoir confiance,

Déjà mes amis c’est ceux avec qui je parle de ma vie, je fais rien sans eux.

Il faut tout le temps avoir des copains sinon tu te sens seul, si t’as des soucis. C’est bien de découvrir la vie avec eux, t’es mieux préparé. Vivre tout seul, c’est chelou

C’est d’abord au collège que leur nécessité absolue se fait sentir :

Heureusement qu’ils sont là, aller à l’école c’est dur surtout dans un collège prison, c’est avec eux qu’on passe tout notre temps, on leur dit tous et on se fait confiance entre nous on peut tous se raconter. C’est important parce que si ils sont au même niveau on peut leur demander de l’aide, important aussi car si ils sont respectés, les personnes qui fréquentent mes amis doivent me respecter aussi

Oui, pour pas se sentir seul, être entouré, partager la même chose, étudier ensemble, rire ensemble

Oui, c’est important parce que si t’as as d’amis t’as pas de vie, tu peux rien faire, tu t’affiche parce que t’es tout seul.

C’est aussi vrai dans le quartier, mais avec une nuance. Au collège, le copain est un point d’appuis dans une situation marquée par l’institution, son poids et ses enjeux. Dans le quartier la menace peu venir du quartier lui-même, des « embrouilles », de la « racaille ». Que la menace apparaisse trop lourde, que les risques de « dérapages » soient trop proches, et il vaut mieux en sortir:

Oui, je m’explique, c’est important parce qu’on sait jamais, faut connaître son quartier, il peut y avoir des embrouilles. Et puis tous mes copains habitent le quartier.

C’est important, c’est souvent des gens très fréquentables dans mon quartier. C’est des gens qui ne fument pas, qui ne font pas partie de la racaille

Non, ceux qui sont dans mon quartier ce sont des amis d’enfance, il vaut mieux fréquenter des gens de l’extérieur sinon t’avances pas dans la vie

Oui mais il faut savoir qui il faut fréquenter

La violence

Qu’est-ce que la violence ? Cette question est sans doute une des questions les plus compliquée. Le mot est à usage multiple, tantôt renvoyé en extériorité à son usage médiatique (« Ça intéresse beaucoup, la violence des jeunes, ça fait vendre », « C’est l’insécurité, ça résume tout », « Tout le monde a peur »), tantôt repris pour porter une pensée de la situation du quartier, du collège ou de la ville :

Si y aurait pas de violence il y aurait pas de fonctionnaires de police à toute heure parce qu’en les voyant on voit bien qu’il y a un problème

La violence c’est souvent des malentendus, ça peut dégénérer pour un rien. Il peut y avoir des blessés et des morts pour un truc tout bête

C’est plein de petits détails comme des bagarres, des vols, de la dégradation. Tout ça regroupé, ça fait la violence.

C’est rare que la violence soit entre les gens du même quartier. Généralement c’est plus entre les différents quartiers et la volaille.

Le plus frappant d’emblée est que la violence est congédiée fortement comme principe de rapports entre les gens :

C’est des actes faibles. C’est très difficile de régler des choses par la violence parce que ça tourne mal, il y a des plaintes, des conflits entre cités. a manque d’expression

Pour moi, la violence c’est nul, ça résout rien, se battre c’est être violent. S1

Moi, je dis que la violence ça sert à rien

Il est pourtant parfois nécessaire de l’accepter. C’est le cas au collège où « faut montrer qu’on sait se battre sinon t’es la victime des autres », mais comme le signale un autre « c’est juste des comportements de gamins »., « de la violence non pas vraiment ».

Dans le quartier la question de la violence se pose différemment. Elle se pose comme une question de rivalité entre quartiers : « Y a toujours de la rivalité, c’est pas rien, c’est pour montrer que t’es le plus fort ». Elle se pose comme une dimension du business. Elle se résout par le respect et la constitution de l’espace subjectif propre au quartier(« on se connaît tous »), qui n’est pas un espace public de respect mutuel et anonyme mais un espace singulier dont l’équilibre peut être perturbé par une ingérence extérieure :

Non, on se connait tous, à part toujours pour les histoires bêtes ça se bat pour rien

Non, parce que tout le monde se connaît et se respecte.

Non, il y a du respect entre les gens du quartier, les problèmes se règlent à l’extérieur donc on peut pas de dire qu’il y a de la violence à Stains, il y a de l’insécurité mais ça vient de l’extérieur pas de Stains même.

Les « bandes », dans ces conditions, ne portent pas l’idée de violence, mais celle de socialité interne au quartier

Oui, y a des bandes de copains comme partout dans le monde. C’est des gens qui ont trouvé qu’ils avaient quelque chose à faire ensemble et c’est pas interdit. Ça me fait rire cette expression, c’est stéréotypé, ils ont trop regardé la télé, y a pas de bandes

Ben non, j’ai une bande mais c’est pas ça. Y a des groupes de copains avec qui y a pas de problème, qui s’entendent bien.

Y a deux, trois petites bandes mais c’est surtout des jeunes qui se réunissent. Ils voient des jeunes en casquette alors ils croient qu’ils vont foutre la merde mais c’est n’importe quoi. Il y a des jeunes qui voient plus certains que d’autres mais tout le monde se voit.

C’est parce qu’un groupe qui traîne ensemble c’est forcément des bandes, il y a des bandes mais comme partout, c’est normal c’est comme un groupe d’amis qui se connaît mais là, le nombre il est plus important.

Mais des bandes,, il y en a partout comme à St-Denis, à Sarcelle etc.… et ces bandes sont tranquilles ou pas mais ça dépend des quartiers mais à Stains c’est des bandes qui sont sans problèmes, bon y a des problèmes de drogue, de contrefaçon mais bon je les comprends y a rien pour eux à l’ANPE alors il faut bien qu’ils gagnent leur vie.

J’aime pas quand on parle de bandes, je préfère parler de groupement de jeunes mais pas de bandes ça fait racaille.

Le respect

Rien d’étonnant donc : la notion de respect apparaît comme centrale. On retrouve à Stains des dispositifs de pensée qu’on a déjà rencontré ailleurs, à commencer par les polarisations entre respect de soi-même comme source de tout respect et respect mutuel, entre « se faire respecter »et « être respectable ». Si le respect est essentiel son sens n’est pas toujours en partage. C’est sans doute ce qui fait dire à l’un des jeunes : «Je connais le mot, la signification mais le respect je sais pas c’est quoi ». Ou encore comme le dit un autre « C’est dur de dire exactement ce que c’est le respect, on sait ce que sait mais on sait pas comment le définir, c’est respecter les autres, respecter l’environnement et se respecter ».

Ça passe par la politesse, c’est d’abord le respect de soi-même.

D’abord le respect envers soi-même

Le respect c’est d’abord, le respect de soi et des autres

C’est pas insulter les autres personnes, c’est mutuel

C’est une chose simple. Respecter les gens et être respecté par eux, ça permet d’avancer. Quand t’es respecté ça t’ouvre plus de portes, pour un emploi ou un projet. Si t’es pas une personne respectable, tu peux pas.

Au niveau communication c’est l’agression verbale. Si on se fait respecter, on doit pas voir apparaître ces agressions, le respect par rapport aux autres, se faire connaître par rapport aux autres, dire aux autres qu’on est vraiment là

Si on ne se fait pas respecter, les gens y auront tendance à t’emmerder et à se mêler de ta vie.,

Les jeunes sont-ils respectés à Stains ? A cette question simple répond un double énoncé : le respect mutuel existe entre jeunes, mais les adultes ne respectent pas les jeunes.

  • Respect mutuel

Entre eux ils se respectent. Ça dépend si des bandes s’embrouillent, mais ceux qui se connaissent ça va.

Entre eux oui parce qu’il y a pas de confrontations directes

Entre nous, y du respect

  • Les adultes ne respectent pas les jeunes

En général les jeunes c’est plutôt catalogué, on a une étiquette, ceux qui sont avec des casquettes c’est des racailles

Parce qu’entre la police et les jeunes c’est l’éternel débat. Ils emploient des termes qu’ils ne devraient pas employer

La police ne respecte pas les jeunes. Dans leur façon d’être présents sur le terrain, ils passent en voiture, ils nous regardent de travers, ils ont la haine contre nous

  • Il n’y a pas de respect mutuel entre les adultes et les jeunes

Ils sont respectés par les adultes mais eux ils ne les respectent pas, c’est dommage.

Entre nous, y du respect mais ça dépend avec qui mais avec les adultes, y a pas de respect. Entre eux normalement oui mais y a toujours des exceptions alors dans ce cas là soit t’es le plus fort et si c’est pas le cas t’es foutu parce que tu sais pas te battre et donc tu réussiras jamais à te faire respecter

Le travail

La question de la figure du travail est une question sensible. Dans des enquêtes précédentes, nous avions dégagé deux grandes figures : l’une dominante « le travail ça rapporte et ça prend du temps » et une autre plus minoriataire « le travail c’est ce qui sert aux autres ». On retrouve cette même polarisation à Stains entre un moyen de vivre et une utilité sociale

  • Le travail c’est l’argent

Ça permet d’avoir un statut social, d’être reconnu dans la société. Maintenant on est dans une société de consommation, si t’as pas d’emploi, t’as pas de revenus donc tu peux pas vivre. Je pense qu’aujourd’hui en France, si t’as pas d’emploi, tu peux pas vivre. C’est triste. Les hommes ont créé l’argent mais c’est l’argent qui contrôle les hommes.

C’est important, avoir du travail c’est important, tu gagnes ta vie avec ça

Métier, un moyen de se nourrir, connaître quelque chose d’autre qu’on a connu dans le lycée

Si on travaille pas plus tard, comment on fait pour faire vivre sa famille et si on veut faire plaisir à sa famille ou s’acheter une belle maison, une belle voiture, si on a pas d’argent on a rien.

C’est un moyen de vivre, c’est une activité professionnelle où l’on dépense ces énergies Gagner de l’argent, rendre service à l’entreprise, subvenir aux besoins, apprendre un métier aussi

Travailler c’est pour gagner sa vie sinon je ne le ferais pas.

C’est ce qui nous fait vivre, si tu travailles pas, t’as pas d’argent, tu fais comment ?

  • Une utilité sociale

Le travail c’est rendre service à quelqu’un. C’est travailler, c’est passer son temps à faire quelque chose, être rémunéré, c’est gagner de l’argent, rendre service dans son propre intérêt.

L’entrée par « avoir un métier » ouvre, éventuellement, à deux autres dimensions : celle de la vocation et celle de la reconnaissance

  • Faire quelque chose de sa vie

C’est déjà aimer ce métier. Surtout l’avoir choisi, se dire qu’au moins j’ai fais quelque chose de ma vie, j’ai appris à le faire donc je le fais.

Avoir un but, pouvoir quelque chose même si on pas le choix.

C’est montrer qu’on a réussit dans la vie, c’est construire son avenir et avancer dans la

  • Etre reconnu

C’est la réussite d’un travail. Ça veut dire être reconnu par l’Etat et par ceux qui nous emploient. Faut avoir un métier qui nous plaise. Faut avoir un métier dans lequel on s’investit à fond, qu’on aime.J2

Avoir une place dans la société, voilà ça résume tout

C’est être reconnu dans la société, être capable de faire quelque chose grâce à nos connaissances.

Mais en attendant, le monde du travail qui les attend est décrit comme un monde sans pitié, un monde dur.

Sans pitié, un vrai piège. Pour y entrer faut lutter. Quand t’es dedans pour y rester, faut lutter. C’est la jungle

Très coriace. C’est ou tu marches, ou tu marches pas, t’es descendu. Tu suis les règles de l’entreprise ou alors tu t’en vas.

Dur. Tu peux, faut être à fond si tu es pas motivé ça sert à rien

Très dur.

Dur, aujourd’hui, on offre pas de cadeau au jeune, on doit assurer au maximum, on nous demande beaucoup trop de choses.

J’en ai pas peur parce que je suis motivée, je veux être avocate et je ferais tout pour y arriver et si je le suis vraiment, je vivrais bien.

IL est logique dans ces conditions que leur vision de leur travail plus tard reste très abstraite. Les projets professionnels sont rares et souvent en écart du réel :

Je voudrais faire dans le sport, footballeur, et un emploi qui me ferait voyager, journaliste, sur des lieux de tension, de guerre, ou style Nicolas Hulot, pour découvrir le monde.

Dans un bureau, j’espère, près d’un chauffage, avec un téléphone, une petite feuille, Internet… J’espère avoir ça, une secrétaire au rez-de-chaussée et être au 27° étage.

Faire une taffe qui m’intéresse. Je suis plutôt dans le contact, je veux pas être derrière un bureau. Un travail bien rémunéré qui subsistent à mes besoins, aux besoins de ceux que j’aime.

Moi déjà je veux être pilote d’avion pour gagner beaucoup de tunes J4

J’y pense pas encore

Je pense qu’avec les études que je fais et que je persiste, je pense que mon travail sera intéressant, en fait tout dépend des études

Dur, il faudra travailler dur pour y arriver, trop de responsabilités et pas assez de vie privée.

Bon, je dis pas que ça va être un bulot tranquille, non, ça va être un boulot où je vais me dépenser à 100%.

Beaucoup de responsabilités et peu de temps pour les autres. S3

Un travail qui me plaît bien et qui me fatigue pas trop comme ma mère

Le travail des parents est décrit sur le même registre. Rares sont les jeunes qui peuvent en dire le contenu et l’utilité (« Oui, ma mère elle fait aide soignante, elle aide les infirmiers, les infirmières, les handicapés qui ont eu un accident. Mon père fait électricien, il répare les objets, les fusibles qui ont sauté, les ampoules Ben ça permet d’aider les personnes et je trouve qu’ils font un travail formidable Ils sont en contact avec les personnes, ça permet la survie, pour mon père il ré instaure la lumière chez les personnes qui n’en ont pas »). Le travail des parents est décrit à travers sa dureté, la fatigue, voire la souffrance :

Ils travaillent durement pour nous faire vivre. Ils se donnent à fond

Mon père travaille comme ouvrier, ma mère est au foyer. J’aime pas son travail, il ne gagne pas assez.

Ça m’intéresse pas super. Surtout mon père qui voudrait que je fasse dans sa branche, même s’il fait dans le contact, mais ça m’intéresse pas.

Mon père ouais, j’sais même pas ce qu’il fait, je sais qu’il est ouvrier qualifié mais je sais pas vraiment ce qu’il fait

Mon père travaille, je pense que c’est un travail pas très bien qui demande beaucoup d’énergie et qu’on souffre

Celui de mon père est dur et celui de ma mère tranquille et elle est utile.

Mon père, il est en arrêt maladie mais son travail c’est difficile et il est pas bien payé pour ce qu’il fait et ma mère ne travaille pas, elle s’occupe de nous.

L’avenir

No futur ? Les générations qui montent ont-elles un avenir bouché par le poids de la situation économique et sociale ? Ce qui frappe à la lecture des entretiens, c’est que l’avenir n’est pas le futur. Entendons par-là que l’avenir, pour un jeune, c’est un possible fortement subjectivé qui se joue aujourd’hui : « C’est pouvoir faire ce que je veux. »

Bien sûr, certains le posent en extériorité, comme le montrent ces quelques citations :

Qu’on organise plus de trucs pour les jeunes et qu’on essaye plus de se concentrer sur les jeunes (Et c’est qui on ?)La politique

Le progrès, la sécurité renforcée, plus vivre dans un monde de violence, la réussite de tout le monde, vivre dans un monde de paix

Mais pour l’essentiel, l’avenir se joue bien ici et maintenant, dans leur propre capacité à grandir, à « ne pas déraper » comme dit l’un d’entre eux : « C’est grandir ».

Je compte m’en sortir, finir mes études

Je sais ce que j’ai choisi, et je ne crois pas avoir fait d’erreur et j’ai des bonnes notes à l’école

Moi, personnellement je suis ambitieux, j’essaye d’être à fond dans les études, de bien réussir, parce que je ne veux pas devenir comme les jeunes dans les cages d’escalier, j’essaye d’être plus fort et de réussir. En fait je m’encourage de plus en plus en les voyant

Je pense qu’il sera bien tracé si je continue dans cette voie Pas aller vers la délinquance J5

Leur objectif ? Avoir « une place » dans la vie, être respecté, être libre :

Etre respecté par tout le monde.

C’est être reconnu par les autres

J’espère faire ce que je veux de mon avenir, le contrôler, ne pas dépendre des autres

Avoir un travail et gagner ma vie mais aussi pouvoir m’offrir ce que je veux

Dans cet énoncé des possibles désirés, la présence à Stains apparaît bien souvent comme un repoussoir, ou, pour être plus précis, comme un obstacle à franchir … en partant. L’avenir est hors de Stains :

J’en ai une bonne idée parce que je sais ce que je veux faire mais je veux bouger de Stains pour connaître autre chose

Moi, une maison mais pas Stains

Mon avenir c’est de partir, avoir mon métier et partir de Paris

Si c’est à Stains, je pense pas avoir d’avenir ici mais mon avenir je le vois ailleurs dans Paris mais pas à Stains

 

LE COLLEGE

« Je trouve que c’est un peu la prison », « je crois qu’au collège ça me réussit pas. »

« Votre collège, pouvez-vous nous en parler ? »A cette question très ouverte, les jeunes ne répondent pas en qualifiant le collège comme un lieu de savoir ou de travail. Ce constat confirme ce que nous avions trouvé dans notre enquête annuelle sur les collégiens en 2000. Le collège est un lieu de contraintes sans que le sens de ces contraintes soient en aucune sorte qualifié. Des citations comme celle qui suit sont rares

C’était le collège Joliot Curie, un collège bien, pas de problème particulier, pas de violence, on y apprenait bien, des profs sympathiques qui nous aidaient

Il est loin de chez moi particulièrement, il est pas très propre y a que des endroits qui sont propres comme la bibliothèque, le cdi, la salle des profs. Les classes sont pas très bien placées parce que y a pas assez de chaises, on est obligé d’aller en demander dans d’autres classes, on travaille pas dans de bonnes conditions

L’entrée sur la question du collège est d’abord une entrée purement subjective, sur le registre « j’aime pas ». La citation qui suis est assez significative :

J’aime pas mon collège, c’est trop strict, les profs sont pas proches des élèves, ils ont pas envie de connaître mieux alors c’est pas facile, on déprime à fond dans ce collège et les gens y comprennent pas pourquoi on est agressif quelques fois..

Cette difficulté subjective de la présence au collège se décline sur plusieurs registres. Le premier est celui ‘un règlement et d’une discipline d’autant plus insupportable qu’ils sont déconnectés de toute fonctionnalité du lieu en terme de travail ou de savoir. Les mots des jeunes sont très durs :

Ce qui serait bien c’est qu’on soit libre plus ils nous enferment et plus on s’énerve si on était libre

Je trouve que c’est un peu la prison, trop de discipline pour rien.

Le second registre est celui de la violence dans la socialité entre jeunes, que le règlement ne traite en aucune manière. Les jeunes font ainsi l’expérience massive d’une loi qui les réprime sans les protéger :

Comme les autres, encadré, mais y a aussi le problème de la violence qui arrive peu à peu enfin qui s’est déjà installé. Il y a le problème entre les jeunes, avec les profs qui n’ont pas de sécurité, l’agression peu venir à tout moment.

Les seules nuances apportées à cette vision un peu sombre du collège sont apportées par une position en grisé sur le registre « On ne peut pas se plaindre »

Il est bien parce que beaucoup de choses sont mises en place pour nous, malgré qu’on n’est pas reconnaissant. Ils mettent en place un dialogue, des réunions auxquelles on peut assister. On ne peut pas vraiment se plaindre.

Avant je trouvais qu’il avait une mauvaise image mais ils l’ont refait (…) Moi, j’ai pas eu de problème.

Il est bien, les profs sont assez corrects Ils exagèrent pas, ils écoutent bien les élèves, ils les aident

J’ai appris des trucs intéressants quand même

La présence au collège, en conséquence est d’abord assimilée à l’ennui sauf les moments passés entre copains

Je m’ennuie, je passe mon temps à me faire virer de cours pour un rien c’est énervant à force.

Des conneries. T’insultes les profs, tu tapes, tu dégrades le matériel, tu viens pas en cours.

A la récréation on se voit entre amis.

Je reste avec mes copains, j’parle, quand j’ai pas cours je reste au foyer

Le résultat final le plus inquiétant est que le collège, avant d’être pensé comme un lieu d’apprentissage et d’éducation est pensé comme un lieu de danger pour la subjectivité et la personnalité de l’élève

Quand j’étais au primaire je me sentais plus mûre, je crois qu’au collège ça me réussit pas.

Mon caractère, quand j’étais au primaire, j’étais sage, je faisais tout en sorte de bien de travailler alors qu’au collège, mes parents sont souvent convoqués parce que je parle beaucoup.

Oui, mon comportement, avant en primaire, je travaillais maintenant au collège c’est pas le cas.

Il faudrait que le collège change
sa façon de faire

Dans ces conditions, que faudrait-il changer au collège ? Et qu’est-ce que serait un bon collège ? Il y a à ces questions des réponses aussi radicales que sur le fond obscures (« Tout, les professeurs, les salles, le bahut en général. »). On ne sera pas étonné de retrouver sur le collège la même posture que sur d’autres questions : un bon collège c’est d’abord « ailleurs » (« Ça serait peut être pas un collège à Stains Parce qu’il y a plein de racailles et dès que tu en as ils dégradent partout, tags »). Les autres réponses se disposent sur quatre terrains : la discipline, l’organisation, l’ambiance, les profs…

Un « bon collège » c’est « Un collège strict, qui respecte les règles qu’il fixe, sinon ça sert à rien ». La discipline est d’abord mise en cause pour sa rigidité et son manque de sens, mais aussi sur le faite qu’elle est imposée et non discutable, qu’elle n’a pas fait l’objet d’une co-élaboration. Les collégiens, quelque part revendiquent d’être des sujets à part entière.

Oui, arrêter de mettre des sanctions pour rien et plutôt rénover les bâtiments.

Ouais le règlement intérieur. Quand on arrive un peu en retard on entre pas en cours et quand on a pas cours on nous laisse pas tout le temps sortir

Oui, je pense qu’au collège malgré qu’on a des délégués, on y accorde pas assez d’importance, il fallait obéir. Je pensais que s’il y avait des règles, il fallait les faire ensemble pour qu’elles soient respectées.

Un collège qui soit beau, ça motive plus, les grillages avec des piques ça fait un peu prison, on dirait qu’ils veulent nous tuer

Cette revendication implicite s’incarne en particulier dans la remise en cause de l’organisation même du collège sur laquelle les collégiens peuvent avoir des idées :

Il faudrait que le collège change sa façon de faire, les grillages doivent être supprimer et il faudrait des tables collectives pour les travaux en groupe.

L’organisation, c’est trop mal organisé, tout est embrouillé. Ils acceptent pas les parents, il faut faire un rendez-vous. Par exemple on a un prof il faut prendre rendez-vous, ils acceptent pas de discuter avec les parents tant qu’il n’y a pas un rendez-vous

Que serait une bonne organisation ?

Un bon principal, des bons profs, des infrastructures qui sont bien adaptées pour notre réussite, des personnes à l’écoute, un bon fonctionnement général

Ce serait bien d’être prévenu à l’avance quand un prof est absent et un emploi du temps moins lourd

Moderne avec pas trop d’élèves dans une classe, de bons matériels pour travailler, il y aussi le problème des locaux, des classes, un lycée propre

Enfin, le bon collège se mesure aussi à l’ambiance entre les élèves :

C’est que tous les élèves soient calmes, réussir à bien apprendre dans de bonnes conditions.

Un collège où il y a une ambiance conviviale et après les cours, des activités proposées par le collège, en dehors de l’UNSS et aussi le samedi...

Un collège où on a des amis, qu’on ait pas de problèmes, qu’on s’entend bien avec tout le monde

Ces trois premières conditions remplies ; le collège peut alors être considéré comme un lieu de travail ou de savoir, comme un lieu d’apprentissage

(un bon collège ?) C’est un lieu où tu apprends, quand tu te lèves le matin, t’as envie d’y aller. Y a des bons profs, qui sont gentils.

Des profs qui ne nous jugent pas, qui enseignent, c’est tout

Les profs sont particulièrement remis en cause dans leur façon de regarder les élèves, de les considérer.

Il faut que les profs soient plus cool avec les élèves comme ça les élèves vont les respecter plus.

L’encadrement : y a des profs qui nous sous-estimaient, parce qu’on sortait de la cité, on allait y rester.

La prescription sur la posture professorale est alors une entrée importante de la réponse à « Un bon collège, c’est quoi pour vous ? ». Les profs ne doivent pas juger à priori et compter tous les enfants comme élève. Cette revendication n’est pas propre à Stains. On vérifie ici des éléments que d’autres enquêtes nous ont déjà appris.

C’est des profs qui ne nous jugent pas, qui enseignent, c’est tout

Un beau collège, que ça nous donne envie d’y venir, des profs moins stressés et plus cool, des profs qui écoutent tous les élèves et pas que les bons élèves même les plus nuls on des choses à dire et je vois pas pourquoi ce serait que les bons qui auraient la parole.

Des bons profs pas trop vieux car les vieux radotent et sont moins patients avec le temps..

Des bons professeurs, des bons conseillers, un bon collège quoi…..

Y a pas de respect que ce soit entre les élèves, les profs ne respectent pas les élèves

La question du respect, on s’en doute va être centrale et en même temps multiple. Elle touche au terrain des règles de vie, des rapports entre les élèves, des rapports des élèves avec les profs et enfin, peut-être. Mais quel que soit le terrain et donc le contenu concret et subjectif de la notion de respect, le premier constat. C’est qu’au collège le respect est rare :

Il est rare entre élèves :

Y a pas de respect au collège, on parle toujours du respect mais c’est difficile de respecter les autres dans ce collège.

Au collège entre nous y a pas de respect, chacun pour soi et dieu pour tous. C’est comme les 3ème qui se la racontent un peu trop avec les 6ème.

Entre collégiens, non

Individuellement y en a qui ne sont pas respectés, ils sont inférieurs aux autres et les gens veulent montrer qu’ils sont plus forts que les autres

Y en a, y en a non. C’est la loi du plus fort. Celui qui est le plus respecté, celui qui met des coups de pression au prof, qui répond et puis qui sait se battre aussi.

Par qui ? Entre eux, il y a une certaine inégalité, il y a moins de solidarité. Il y a les grands et les petits, les grands respectent pas les petits. Les surveillants sont pas mal : parce que ce sont des jeunes, c’est bien parce qu’ils nous comprennent. Mais faut qu’il y en ait assez

Les élèves ne respectent pas les profs

Y en a pas beaucoup, c’est le problème… C’est que les jeunes vis à vis des profs, c’est pas ça. On va dire qu’il y a 80% des jeunes qui répondent aux profs, c’est beaucoup. Y a pas beaucoup de respect.

Bah y en a pas trop. Parce que les élèves ils respectent pas du tout les profs, parce que les élèves si un prof leur fait une remarque ils le respectent pas, ils se mettent en rogne

Par les professeurs oui, ça dépend des professeurs, par les professeurs gentils oui, y en a d’autres qui croient que tous les élèves sont pas sérieux, travaillent pas, ils pensent qu’ils sont tous pareils, ils se prennent pas la tête pour les aider

Par les profs oui, ça dépend des profs. Parce que y a un prof qui est arrivé qui nous a dit qu’il allait tous nous plomber, qu’on était tous des bons à rien

Et les profs ne respectent pas les élèves …

Les profs veulent qu’on les respecte mais il faudrait d’abord qu’ils nous respectent. Ils croivent qu’ils peuvent décider de tous sans nous demandes notre avis, ils nous commandent et nous prennent pour des chiens.

Y a pas de respect que ce soit entre les élèves, les profs ne respectent pas les élèves et même les directrices qui sont pas cools, y nous prennent pour des sauvages dans ce collège et y croît qu’avec de la sévérité, y vont faire de nous de bons collégiens, ils se gourent sur toute la ligne.

Entre collégiens, non mais ils respectent plus les profs alors qu’eux ils ne nous respectent pas du tous.

Non, les professeurs, les surveillants et les principales, nous prennent pour des chiens, ça m’énerve, nous on doit les respecter mais eux c’est pas le cas.

(Les collégiens) Respectés ? On leur accorde pas le respect qu’ils méritent.

Ce constat se complète, chez certains, d’une prescription sur ce que devrait être le respect qui est d’abord une prescription sur soi-même

Le respect envers soi-même et envers les autres, le respect envers les profs, bien se comporter, discipline, apprendre, écouter

Respect entre les jeunes, il faut pas oublier ça et le respect de sois-même

Mais ceux qui sont directement remis en cause ce sont d’abord les profs qui sont assignés, de par leur fonction et leur statut d’adulte, à un devoir de respect des élèves qui ne peut être fonction du respect que les élèves leur accordent ‘(« C’est pas un respect qui entraîne celui de l’autre »).

Par les profs, non. Nous on doit respecter mais le prof lui, il est pas obligé de nous respecter et ça c’est pas normal.

Le respect il est mutuel. Si les profs mettent des coups de pression dès le début de l’année, ça va pas. Si le prof prend le temps d’écouter l’élève, qu’il n’y a pas de conseil de discipline, ça ira mieux.

C’est le respect des profs envers les élèves mais faut aussi qu’on les respecte. Mais y a des jeunes qui respectent pas les profs même si eux ils les respectent. C’est aussi donner sa chance à chaque élève. C’est la relation prof/élève, il ne faut pas l’enfermer parce qu’il est de la cité.

Ça devrait aller dans les deux sens : certains profs étaient là, étaient profs, c’est tout. Ils disaient que l’élève devait respecter le prof pour que le prof respecte l’élève alors qu’il faut que le prof respecte l’élève aussi. C’est pas un respect qui entraîne celui de l’autre.

Parce que souvent les élèves insultent les profs, mais les profs poussent à bout les élèves. Pour qu’on soit sympa avec eux il faut qu’ils soient sympas avec nous

Les sanctions sont soit trop lourdes, soit trop faibles, c’est contradictoire.

En ce qui concerne le règlement et les règles de vie, les collégiens n’en contestent pas la nécessité. Des règles comme dit l’un d’entre eux, il en faut…

Oui, sinon ce serait pas un collège, ce serait une cité mais il y a des règles qui ne sont pas respectés au collège ex : fumer dans les toilettes.

Y a le règlement intérieur qui se charge du bon déroulement au sein du lycée. C’est un règlement strict, ça incite les jeunes à devenir autonomes et sérieux

A partir de là le problème est double. D’abord il y a surrèglementation. D’une certaine façon trop de règle tue la règle :

Je trouve que les règles sont bien faites mais faut pas en abuser, pas le droit de parler, pas le droit de faire ça et pas le droit de dire un mot, de respirer, travailler, travailler ……

Oui, les règles relouds c’est quand t’arrives à 8h10 et que tu restes dehors jusqu’à 9h, à partir de deux heures de retenue t’as droit à un conseil de discipline… C’est bon pour l’éducation, c’est sûr, mais pour nous c’est reloud.

Ensuite, conséquence du premier point, elles ne sont pas respectées

Il y a le règlement intérieur mais il est pas vraiment respecté.

Les règles, il y en a mais elles sont pas toutes respectées comme fumer dans les toilettes, ne pas insulter les autres, être habiller correctement, des fois on a envie de venir au collège décontracte et ben même ça c’est pas autorisé.

Ne pas fumer dans les toilettes mais ça c’est pas respecté moi je dis que tant que les parents sont au courant ça doit pas déranger.

C’est le règlement intérieur malgré qu’il est pas souvent respecté parce qu’il y en a toujours qui trouvent des raisons. Les sanctions sont soit trop lourdes, soit trop faibles, c’est contradictoire. Ici, les jeunes pensent que les adultes sont là pour les ridiculiser, y a des mésententes, c’est pour ça que le règlement n’est pas respecté.

Je sais pas si on peut dire que c’est de la violence, c’est juste des comportements de gamins

Ce malaise du collège, ce non-respectt des élèves entre eux, si elle semble préoccuper les collégiens, n’est pas pour autant qualifié de violence (« c’était pour vendre. Ça intéresse beaucoup, la violence des jeunes, ça fait vendre »). C’est plutôt considéré comme « des comportements de gamins » sur lesquels les adultes pourraient sans doute peser s’ils considéraient les élèves comme des gamins et non, comme cela est signalé plus haut comme des sauvages.

Oui, ils savent pas bien se comporter surtout les 3ème qui ennuient les 6ème, ils s’attaquent aux plus faibles et il y a des jeunes qui sont pas bien dans leur tête et qui vont jusqu’à frapper très fort d’autres jeunes.

Non, ça reste toujours limite comme je l’ai dis, de la violence non pas vraiment.

Des fois de temps en temps, il y a des gens qui se battent et après, ils viennent faire leurs excuses et après c’est les meilleurs potes. Mais, je sais pas si on peut dire que c’est de la violence, c’est juste des comportements de gamins.

Pas beaucoup mais oui comme dans n’importe quel établissement. Il y a un changement sur un point de vue, ou des insultes, une simple bousculade peut aller jusqu’à la violence, des coups de pied. (Qu’est-ce que c’est un changement de point de vue ?) C’est le racisme aussi

Ouais comme partout y a des bagarres, bah y a toujours des gens qui cherchent la petite bête, ils font tout pour emmerder les autres

Je pense oui. Y avait des gens qui se battaient, des vols, des dégradations mais c’était pas flagrant.

Oui, ça se tapait, surtout quand on arrive en 6° ou 5°, faut montrer qu’on sait se battre sinon t’es la victime des autres. J3

Oui bah y a des fois l’autre il va l’insulter et l’autre il va commencer à le frapper, ça commence comme ça, y a plein de disputes

Oui, il y a des bagarres entre cités, les policiers sont en scooter à la sortie du collège, pour les dealers. Quand t’es pas habitué c’est dur. (Qu’est-ce que tu penses de la présence des policiers à la sortie du collège ?) C’est rassurant parce qu’on se sent protégé, mais c’est aussi pas rassurant parce qu’on se demande ce qui se passe, on ne sait pas pourquoi ils sont là.

C’est être courageux. Parce que dans les classes c’est pas toujours facile

Le collège semble d’abord un lieu de socialité urbaine, un lieu de connaissance.

C’était plus près donc pour se lever le matin c’était bien, c’est connaître des gens qu’on connaissait aussi, pas se sentir seul

C’est être au collège de ma ville, c’est bien de pouvoir savoir ce qui se passe, c’est un moyen de communication, on peut apprendre ce qui se passe dans notre ville.

Mais au bout du compte, le collège apparaît comme une épreuve subjective difficile. A la question « Etre collégien à Stains, c’est quoi pour vous ? », les réponses frappent par leur dureté : c’est « du »r, il faut être « courageux »

C’est dur d’être collégien à Stains, on se fait respecter, on se bagarre tout le temps, on est enfermé comme en prison, les profs font tous pour craque et qu’on devienne violent avec eux, c’est vraiment un collège de ouf.

Je sais pas, collégien c’est un élève, à Stains par rapport à Paris c’est pas pareil, Paris c’est mieux, c’est mieux vu

C’est être courageux. Parce que dans les classes c’est pas toujours facile au niveau racaille, quand y en a qui se prennent pour des bosses quand tu essayes de suivre un cours c’est pas facile

 

~ par Alain Bertho sur 1 Mai 2007.