Jeunes urbains, ville et mondialisation

 

 

Comment se structure subjectivement la pensée du monde contemporain chez de jeunes porteurs de projets internationaux en Seine-Saint-Denis ?

Hugues LATRON, Master Recherche 2006 , Centre d’Etudes des Mutations en Europe

INTRODUCTION.

Notre époque, qu’on la qualifie de post-moderne (Z. Bauman) ou de deuxième modernité (U. Beck), est celle de bouleversements objectifs profonds, nombreux et de natures diverses, qui ensemble forment ce que nous appellerons ici, par commodité et dans une acception toute française, ‘mondialisation’ [partout ailleurs dans le monde, cet ensemble est quasi exclusivement nommé ‘globalisation’. Nous ne nous attarderons pas maintenant à ce sujet mais cette double dénomination soulève en soi une lourde problématique].

Cette mondialisation et les bouleversements multiples qu’elle génère, renversent et reconfigurent les façons de penser et d’être dans le monde. La ville, dans sa configuration métropolitaine post-fordiste, se trouve comme le corps quintessencié producteur de cette nouvelle modernité à l’œuvre et le terrain privilégié de ses manifestations. Nous entendons donc aller à la rencontre de jeunes urbains, acteurs du monde globalisé qui est le leur, au travers des projets d’échanges et de coopérations transnationales qu’ils portent.

Ce travail nécessite une première déconstruction pour s’extraire des interprétations qui ont encore trop souvent cours sur les ‘projets de solidarité internationale’ ou ‘projets humanitaires’ d’aujourd’hui comme simple continuation de ceux ayant pris leur essor de la fin des années 50 au début des années 90, sous la double impulsion d’une solidarité internationale à fonction éminemment politique et partisane, puis du courant tiers-mondiste.

La recherche qu’on se propose de conduire à ce sujet s’effectuera à partir d’une expérience et d’un lieu, d’une posture professionnelle aussi, qui permettent d’interroger les pratiques, les idées, les mots de jeunes de Seine-Saint-Denis, le plus souvent âgés de 17 à 26 ans, qui se trouvent être à l’initiative de projets internationaux.

Cette démarche de recherche croise une autre problématique et d’autres enjeux de connaissance au moment où se révèle une conflictualité d’un nouveau type entre ces jeunes des quartiers populaires et l’ensemble des Institutions… Justement parce que la recherche en question intègre une relation initiale établie entre ces jeunes et une institution, même si – à leurs yeux – elle n’en a guère les apparences : la structure publique Via le monde, mise en place en 2001 par le Conseil général de la Seine-Saint-Denis.

Quels sont donc cette expérience et ce lieu particuliers ?

La structure Via le monde, lieu de ressources et d’appuis pour les porteurs de projets à l’international.

A côté des partenariats institutionnalisés par le Département dans le cadre de la coopération décentralisée[1] (relations internationales établies de collectivité à collectivité), se développent en Seine-Saint-Denis de nombreuses et très diverses initiatives venues du terrain. Beaucoup d’entre-elles débordent de fait le cadre institutionnel. Via le monde a pour objectif de donner à ces initiatives un outil et une impulsion, mettant ainsi l’engagement des pouvoirs publics au service de ce qui se passe dans la société, favorisant des synergies capables de multiplier l’efficacité des actions et impulsant partout où c’est possible, ce que l’exécutif départemental a nommé une citoyenneté internationale et le développement d’une culture de la paix.

Via le monde est un lieu ressource et de rencontre conçu pour aider à expérimenter le monde dans sa complexité et sa richesse en réunissant de façon structurante les expériences, les savoir-faire et les envies d’agir[2].

Via le monde offre des outils pour construire des projets (centre de ressources, aide méthodologique au montage de projets et à la recherche de financements, soutien logistique, formations, mise en réseau) mais invite aussi les acteurs à se placer dans une dynamique plus large permettant de muscler les initiatives, de leur donner davantage de pertinence, de les relier à tout ce qui va dans le même sens, de les connecter aux réseaux qui traitent des thématiques ou zones d’intervention qui les intéressent.

En terme de services mis à disposition, Via le monde accorde la priorité à tout projet à l’international qui est effectivement – et non par simple pétition de principe – réciproquement fructueux, c’est-à-dire qui apporte quelque chose de concret aux jeunes et aux habitants de la Seine-Saint-Denis.

Lieu ouvert à tous les publics, Via le monde permet à tout un chacun d’articuler son expérience et ses moyens avec les initiatives prises depuis les milieux, structures ou groupes les plus divers : associations, structures de création artistique, lieux plus informels ou alternatifs de production culturelle[3], centres de recherche, syndicats, établissements publics, etc. Via le monde offre ainsi un fonctionnement en réseau mettant à disposition des outils mais non des directives et cherche à donner aux actions de terrain de la force, du sens, de la visibilité mais ne s’y substitue jamais.

Via le Monde se trouve donc être un outil public au service de la grande diversité d’acteurs et de projets de coopérations issus de la société séquano dionysienne, qu’ils soient associatifs, individuels ou qu’ils émanent d’établissements parapublics tels qu’un Institut de formation en soins infirmiers (IFSI), une école d’architecture, etc. Via le Monde traduit ainsi la prise de responsabilité du Département dans ce domaine, son rôle d’entraînement et de relais de ce qui s’entreprend sur l’ensemble du territoire départemental.

Via le Monde prend les initiatives nécessaires dans ce sens et répond aux sollicitations qui lui sont adressées en tant qu’outil, ‘facilitateur’- média. En résumé, Via le Monde fonctionne sur le mode d’un service public, gratuit et accessible à tous, mais pour des missions et objectifs qui, ailleurs, ont le plus souvent été sortis de l’administration publique et délégués par la collectivité concernée à une ou plusieurs associations[4]. En ce sens, Via le monde est un outil original quasi unique dans le paysage institutionnel des collectivités territoriales. Dans sa dénomination officielle, Via le monde est une structure publique crée par le Département de la Seine-Saint-Denis au service de tous les porteurs de projets à l’international pour le développement, la solidarité, les échanges et la paix.[5]

Via le monde se trouve donc structurellement lié au Département, bénéficie d’un budget annexe et d’un statut équivalent à celui de service départemental. Mais c’est une structure publique spécifique, avec son logo fonctionnel, une identification et un fonctionnement propres que ses usagers apparentent souvent à la souplesse et à la qualité des liens relationnels que l’on rencontre dans les associations.

LES PUBLICS ET MODES OPERATOIRES DE VIA LE MONDE.

Ancré dans le tissu de la vie départementale, Via le Monde s’adresse à des publics divers de par leurs statuts et leurs modes d’engagements : principalement les associations ou groupes constitués pour mener un projet, leurs réseaux (du local à l’international) mais aussi les Ong de dimension régionale, nationale ou mondiale, des fédérations ou plates formes d’associations de migrants, des Centres de recherches…

S’il n’y a pas hiérarchisation entre ces différents acteurs, le principe d’une attention prioritaire prévaut pour tous les publics jeunes. Avec l’ensemble de ces publics, l’activité de Via le Monde se décline en deux axes complémentaires :

Une offre de service généraliste avec des personnes ressources et un lieu où l’on trouve conseils, orientation, expertise, contacts, documentation, formation. On y encourage toute action qui renforce les liens qui unissent la Seine-Saint-Denis au monde dans un rapport mutuellement bénéfique pour les populations concernées.

Via le monde tient chaque année plus de 160 rendez-vous avec des porteurs de projets. Ces rencontres s’organisent à partir d’une grille de lecture et d’évaluation critique pour optimiser les actions envisagées (acteurs, objectifs et voies de réalisations). Ce travail d’accompagnement se réalise sur la base de critères objectifs invariables que soutiennent les principes de développement durable, d’éducation au développement et de culture de la paix. La dimension de réciprocité dans l’échange (apport / restitution en Seine-Saint-Denis) est systématiquement requise.

Sans automatisme -Via le Monde n’est pas d’abord une bourse aux projets- et à condition qu’un projet associatif réponde à ces critères, [l’aide apportée visant à atteindre cet objectif], Via le Monde instruit les demandes de subvention des porteurs du projet auprès du Département (pour une quarantaine de projets associatifs par an et un financement moyen de 2.700 € par projet.)

Une impulsion volontaire avec des initiatives thématiques conduites par Via le Monde, en partenariat avec des acteurs intéressés. On y privilégie la réflexion collective pour une vision citoyenne et éducative sur les grands enjeux posés aujourd’hui à l’échelle planétaire.

Quatre thématiques sont retenues dans ce domaine pour la dimension emblématique qu’elles donnent aux actions de coopérations et de rencontres internationales :

  1. Sens et utilité des échanges / Education au développement ;
  2. Les enjeux sanitaires / Droit universel d’accès aux soins ;
  3. La culture de la paix / Gestion des conflits et éducation à la paix ;
  4. La création artistique / Reconnaissance et valorisation des cultures du monde.

Sur ces axes, qui mobilisent déjà de nombreux acteurs associatifs (et institutionnels) de la Seine-Saint-Denis, Via le Monde participe au montage de partenariats débouchant sur la co-élaboration d’événements significatifs bénéficiant aux habitants de la Seine-Saint-Denis, singulièrement les jeunes.

Pour chacune de ces initiatives la maîtrise ou co-maîtrise d’ouvrage est assurée par Via le Monde, la maîtrise d’œuvre par les différents partenaires impliqués.

Via le monde, opérateur du Département dans les forums et reseaux urbains mondiaux d’autorités locales.

Par ailleurs, Via le monde assure la collecte d’informations et les relations aux réseaux existants, utiles à la participation effective du Département de la Seine-Saint-Denis et de ses élus aux Forum Sociaux organisés à l’échelle mondiale et continentale et aux forums d’Autorités Locales pour l’inclusion sociale et la démocratie participative (FAL) qui y sont liés, ainsi qu’aux événements tels que le Sommet mondial pour le développement durable (Johannesburg 2002) ou le Forum Urbain Mondial d’UN-HABITAT (Barcelone, avril 2004 – Vancouver, juin 2006).

C’est à ce titre que Via le monde était en charge de piloter, pour le Conseil général, la co-organisation avec la Ville de Saint-Denis du Forum européen des Autorités Locales de novembre 2003. Conjointement, Via le monde conduisait le travail partenarial avec le Comité français d’initiative pour le Forum Social Européen (FSE) concernant une grande partie de la logistique d’accueil du forum sur Bobigny et Saint-Denis (qui avec Paris et Ivry-sur-Seine étaient les sites d’accueil de l’événement)[6].

Via le monde, principalement dédiée à la relation aux associations et aux initiatives non institutionnelles -voire informelles- dans le champs des coopérations internationales, se trouve donc aussi logiquement dans le rôle d’aiguillon concernant le travail des Autorités locales engagées dans la recherche de nouvelles formes de gouvernance démocratique articulées à la société civile organisée.

Se trouver à cette jonction et être dans cette position amène à vérifier quotidiennement l’écart persistant entre la volonté et parfois la réalité d’innovations politiques du côté des institutions et des élus locaux et la grande nouveauté politique, qu’accompagne souvent le divorce d’avec les institutions, qui s’exprime du côté des porteurs de projets rencontrés.

LES CONNAISSANCES ET ENSEIGNEMENTS TIRES DES INITIATIVES DE LA SOCIETE SEQUANO- DIONYSIENNE EN MATIERE D’ACTIONS À L’INTERNATIONAL.

De façon plus comptable, après presque cinq années d’existence, Via le monde c’est : entre 160 et 200 rendez-vous avec des acteurs de projets internationaux et 90 projets accompagnés par an (dont près de la moitié bénéficieront, avec l’appui de Via le monde, d’un financement du Conseil général) ; un centre de ressources, relais du réseau RITIMO, qui avec plus de 7.500 références documentaires en matière de coopération et de solidarité, sur les enjeux de la mondialisation, les relations Nord-Sud et le développement durable, l’histoire et l’actualité du mouvement alter mondialiste, l’économie sociale et solidaire, le commerce équitable… est devenu le plus complet et l’un des plus usités (un millier d’utilisateurs annuels) d’Ile-de-France ; un « réseau villes » de 80 personnes ressources ; des partenariats avec plusieurs centres de ressources (CEDIDELP, Rhinocéros), de recherches (IRD, IDRP) et autres plates formes associatives (GRDR, Panamako) ou organismes et agence spécialisées (Coop’Dec Conseil) et services déconcentrés de l’Etat (DDJS) ; des forums d’échanges appelés « rendez-vous de Via le monde », qui réunissent trois à quatre fois par an, 90 à 150 participant sur un thème donné[7].

De ce volume d’activités et de relations nous avons pu tirer une première connaissance de notre sujet et terrain d’études. Mais cette connaissance relève encore pour l’essentiel d’un savoir statistique ou sociologique basique et de toutes premières analyses qui ne permettent pas de saisir l’épaisseur et la nature de la subjectivité politique qui se construit, ni d’en avoir ou comprendre les mots, les ressorts, les dynamiques, ni non plus les traits caractéristiques.

Pour autant, nous disposons d’une somme d’éléments qui nous parlent de cette réalité et dont il convient de « tirer ce que l’on sait » pour mieux discerner ce que l’on ne sait décidément pas de cette subjectivité particulière au sein des quartiers de banlieues, de cette structuration subjective d’une pensée du monde chez ces jeunes urbains qui prennent l’initiative de réaliser des projets internationaux.

Sur plusieurs thèmes, nous avançons donc des éléments de connaissance, acquis dans l’exercice de la responsabilité de la structure Via le monde en Seine-Saint-Denis, éléments assez généraux mais qui bout à bout forment le contexte, le panorama dans lesquels nous aborderons ensuite, ce qui relève davantage de la construction subjective d’une représentation du monde chez les jeunes urbains de ce département.

AUTOUR DE L’AIDE ECONOMIQUE AU DEVELOPPEMENT

L’aide économique au développement n’est pas une attribution classique des collectivités locales. Néanmoins, des projets de coopération décentralisée se sont développés dans nombre d’entre elles. Ces projets s’inscrivent généralement dans un cadre institutionnel qui autorise les partenariats entre collectivités françaises et étrangères sur des projets entrant dans leurs domaines de compétence.

Sa forme la plus répandue est le jumelage /coopération : deux collectivités locales décident d’établir un partenariat autour de projets de développement.

Cette nouvelle forme de coopération a souvent donné un coup de fouet à l’activité traditionnelle de jumelage, dont de nombreux témoignages montrent qu’elle s’est essoufflée ou est devenue caduque, d’autant plus que pour des raisons historiques, beaucoup de communes de la Seine-Saint-Denis étaient jumelées avec des collectivités locales d’anciens pays « communistes » et que bien souvent, les affinités politiques se sont délitées.

Dans la coopération décentralisée développée par le Département, seul le partenariat avec Setubal, au Portugal, établit une relation Nord/Nord entre deux collectivités de niveau de développement plus ou moins équilibré. Tous les autres concernent des collectivités de pays du Sud (Palestine, Mozambique, Gabon, Maroc, Vietnam) parfois en prise avec des difficultés majeures, comme la guerre (Palestine) ou les catastrophes naturelles (Mozambique). Dans les villes, les nouvelles coopérations, parfois sciemment en rupture avec les jumelages jusqu’alors en cours, sont souvent liées aux préoccupations du développement et provoquent autour de ces questions un intérêt certain, qui dépasse le cadre institutionnel.

Ces jumelages /coopération se traduisent par des opérations de développement économique et social dans des domaines correspondant aux compétences des collectivités. Ces opérations dont l’impact est loin d’être négligeable, restent néanmoins forcément marginales par rapport aux besoins en développement économique et social.

Les plus prometteurs de ces protocoles de coopération sont donc ceux qui agissent comme des catalyseurs et polarisent les actions d’autres acteurs économiques ou sociaux. Pour exemple, les possibilités d’intervention de la Direction départementale de l’eau et de l’assainissement (DEA) dans une collectivité du Sud sont quantitativement négligeables face aux poids lourds de la distribution en eau ou du BTP. Néanmoins, elles peuvent contribuer à renforcer à un niveau international les prises de conscience et les réseaux (celui des collectivités hors AGCS, par exemple) qui, face aux intérêts privés, assoient les exigences du service public.

Notons aussi que certaines villes, comme Montreuil, mobilisent les acteurs économiques disposés à entreprendre au Sud en s’appuyant sur une dynamique locale impulsée par les pouvoirs publics.

Il serait sans doute possible d’aller beaucoup plus loin dans cette mise en cohérence, notamment en créant des synergies entre l’action publique et les initiatives qui naissent de la société. Dans ce cadre, une place toute particulière doit être faite aux flux importants d’argent investis dans le développement de leurs régions d’origine par les familles immigrées. On constate très souvent, chez les acteurs institutionnels, la méconnaissance du fourmillement associatif existant dans l’immigration, voire une méfiance déclarée, souvent liée au caractère religieux de certaines associations ou à la nature cultuelle d’investissements faits au pays (construction de mosquées).

De plus, ce mouvement associatif est très largement informel, familial, de structuration villageoise, parfois méfiant vis à vis d’interventions extérieures, notamment du fait de la pression répressive sur les sans papiers. Les circuits développés par l’immigration pour améliorer les conditions économiques et sociales des pays d’origine ont pourtant des aspects très positifs et les sommes en jeu sont globalement très importantes[8].

Les frais généraux sont réduits au minimum et la quasi-totalité des fonds recueillis sont directement investis dans les projets retenus : construction d’équipements socio sanitaires (maternités, dispensaires), culturels (centres, écoles), irrigation, creusement de puits, moulins, aide alimentaire, etc.

Par contre, il y a souvent des carences en formation, un manque de coordination des projets, avec parfois comme résultat un surinvestissement en équipements sociaux tandis que manque le personnel technique nécessaire à leur fonctionnement. L’implantation en Seine-Saint-Denis d’une association comme le GRDR (à l’origine, Groupe de recherche et de réalisation pour le développement rural), qui travaille aujourd’hui sur le triptyque Migrants – citoyenneté – développement, est de ce point de vue très significative.

Cette importante ONG développe depuis trente ans des actions de rationalisation, d’organisation et de formation autour des projets de développement initiés par les immigrés, qu’il s’agisse d’initiatives individuelles ou associatives, et ce notamment dans la vallée du fleuve Sénégal (Mali, Mauritanie, Sénégal) d’où viennent l’essentiel des immigrés d’Afrique sub-saharienne.

AUTOUR DE L’IMMIGRATION

La population de la Seine-Saint-Denis est marquée par une forte immigration d’origine européenne (Portugal, Europe de l’Est), africaine (Maghreb, pays du Sahel), asiatique (Turquie, Pakistan, Asie du Sud-est…), américaine (Antilles, ancienne émigration politique d’Amérique latine). Après l’arrêt officiel de l’immigration, en 1974, les familles se sont durablement installées. La jeunesse qui en est issue, de culture, de perspective et de nationalité françaises, mais souvent identifiée par le reste de la population aux pays d’origine des parents, marque fortement l’identité séquano dionysienne.

Cette caractéristique est renforcée par des phénomènes de ghetto qui provoquent des « illusions d’optique » et des effets grossissants. Elle est particulièrement sensible pour les enfants d’origine africaine (Maghreb, Sahel) et antillaise, dont les parents sont issus d’anciennes possessions coloniales et dont l’identité provoque toujours des effets subtils ou brutaux de dévalorisation.

La perception de cette situation est assez contrastée. Les immigrés, souvent premières victimes de la crise sociale et économique, habités par le sentiment d’être mal acceptés, bâtissent des réseaux à partir desquels se développent des pratiques solidaires de survie. Dans cette optique, le « communautarisme », si souvent décrié, alimente l’entraide en puisant aux meilleures valeurs de la solidarité et du partage. Mais les mêmes peuvent aussi avoir tendance à se replier sur une image idéalisée et figée des traditions religieuses, familiales ou autres.

Quand ce deuxième cas de figure est très dominant, il peut s’ensuivre une coupure dramatique entre les adultes et les jeunes, vivants les uns et les autres dans des perspectives et un monde de représentation profondément différents. Les jeunes de ces familles ont de ce fait beaucoup de difficultés à cerner les mots justes pour s’identifier positivement et se reconnaître. Ce flou est aggravé par le fait que globalement, la reconnaissance de leur francité reste problématique pour le reste de la société.

Dans de très larges secteurs de l’opinion séquano dionysienne, l’immigration et les enfants nés dans ces familles font l’objet d’une curiosité bienveillante.

Mais cette bienveillance est souvent marquée par l’idéologie de la différence et un « humanitarisme » diffus, qui ne constituent pas la vraie reconnaissance d’une communauté de destin. L’institution scolaire donne toujours un enseignement très européocentriste et réserve souvent l’approche des « cultures africaines » à des animations centrées autour des élèves dont les parents viennent de ce continent. Cette approche est d’ailleurs généralement pauvre, à l’image de l’inculture générale de l’Europe sur les civilisations qui lui sont extérieures. Le couscous, le zouc et le djembé d’un côté, Corneille, Beethoven et Léonard de Vinci de l’autre !

Il y a aussi le racisme et la persistance d’une frange non négligeable de la population franchement hostile aux ‘Noirs’ et aux ‘Arabes’, racisme que beaucoup de jeunes disent ressentir aussi dans leurs relations aux institutions en général et aux forces de l’ordre, en particulier.

Au cours de presque toutes les rencontres qui alimentent cette analyse, ces questions (de l’immigration) sont apparues chez des acteurs de la coopération internationale comme un élément central de l’intérêt pour « l’international », presque une urgence. Les uns et les autres les abordent de façon très différente : efficacité des procédures de prévention sanitaire ou problèmes quotidiens posés par les problèmes de droit au séjour pour les services sociaux, désir ou refus du monde étranger des parents pour les enfants et les jeunes, rejet viscéral de l’héritage de hiérarchisation des identités issu de la période coloniale, connaissance des civilisations lointaines, solidarité, voyages, etc.

La situation est problématique, certes, mais très meuble et très motivante. Elle est certainement un des leviers à partir duquel, chez les plus jeunes, un sentiment d’appartenance au monde, un nouveau rapport à celui-ci et une subjectivité nouvelle en la matière, se cultivent.

A PROPOS DES ESPACES DE RENCONTRE ET DU « VOYAGE ».

Existe en Seine-Saint-Denis un nombre important d’initiatives ou de réalités ouvertes sur l’international, qu’on pourrait thématiser autour de la notion d’espaces de rencontre. Voyages, accueil de jeunes, vie culturelle et sportive, animations diverses. Ces initiatives sont d’origines très variées, très diffuses. Elle vont du voyage individuel à l’accueil d’une chorale anglaise dans le cadre d’un jumelage, de la « soirée africaine » organisée par une association de quartier à l’accueil de prestigieux metteurs en scène américains par la Maison de la Culture, de la Coupe du Monde (de football en 1998, de rugby en 2007) à l’échange épistolaire organisé entre deux classes de collège.

Concernant les voyages. C’est une activité devenue presque naturelle, un horizon proche et souhaité pour beaucoup de séquano dionysiens, les jeunes bien entendu, mais pas seulement. Délégations et voyages de découverte sont développés par les collectivités territoriales, souvent dans le cadre de jumelages. A partir de l’école ou du monde associatif se montent des projets de voyages à destination de pays en voie de développement, qui allient le plaisir de partir avec un projet de développement.

Il arrive également que ces voyages soient conçus par la municipalité pour aider à « l’insertion de jeunes en difficulté », cette conception ‘utilitariste’ de l’international ouvrant à elle seule un vaste débat qu’il ne s’agit pas de traiter ici. Disons, à ce stade, que ce champ des échanges et du voyage est traversé d’interrogations.

Les initiatives individuelles ou associatives, notamment dans le cadre de voyages pour le développement, mobilisent une belle énergie mais sont aussi marquées par les faux-semblants inévitables dans les relations entre pays aux réalités si différentes.

Construire une école, un barrage, apporter des livres ou des médicaments, c’est bien, mais pour qui, avec quelle efficacité économique et sociale, quel suivi et quelle évaluation possibles ? Via le monde s’applique à montrer, dans ses relations aux porteurs de projets, que ne pas se poser ces questions est souvent source d’illusions… et de désillusions ! Dès lors et pour autant, nombre de projets internationaux de jeunes sont vécus comme extrêmement positifs à la fois par les jeunes de Seine-Saint-Denis et leurs partenaires des pays de destination.

A titre individuel ou de manière associative, les familles immigrées organisent des voyages pour que leurs enfants connaissent le pays d’origine. Ces expériences sont très ambivalentes. Il arrive couramment que le désir des enfants soit faible et le voyage vécu comme une obligation. Les différences d’habitudes de vie, parfois sourdement refusées, sont souvent mal vécues. La culture du pays des parents est pour eux, de fait et en dépit d’éventuelles dénégations, une « culture étrangère ». Le chemin vers elle n’est pas plus spontané que pour n’importe quel autre jeune de France, parfois plus difficile, car les enjeux sont plus lourds.

L’image dévalorisée de l’Afrique, que la plupart de ces jeunes partagent ici avec leurs copains de classe, du quartier, du club de sport est d’autant plus pénible à vivre qu’on est dans la nécessité de l’endosser pour une part. Des menaces accompagnent parfois de tels voyages : pour les filles une demande en mariage non souhaitée, pour les garçons la « punition » de rester au bled… Des exemples montrent pourtant que le voyage en Afrique, intéressant pour tous, peut avoir pour ces jeunes et de ce fait pour la société qui les entoure des effets constructeurs extraordinairement positifs.

AUTOUR DE LA VIE ARTISTIQUE ET CULTURELLE.

La vie artistique en Seine-Saint-Denis, notamment dans le domaine du spectacle vivant, offre des occasions presque quotidiennes de rencontre avec ce que les civilisations et les pays étrangers proposent de plus élevé en matière de créations de l’esprit. La simple mise en évidence de cette offre artistique est à elle seule une formidable illustration de l’inclusion/ouverture de la Seine-Saint-Denis au monde.

Il existe par ailleurs de nombreux dispositifs mis en place par les collectivités locales et les structures artistiques pour tisser des liens avec les publics. C’est le cas par exemple des parcours éducatifs développés par l’association Citoyenneté jeunesse ou la Fondation 93, des résidences de compagnies théâtrales, de chorégraphes ou d’écrivains, des animations qui souvent entourent la diffusion des concerts ou des spectacles, de publications spécialisées comme Zébrock pour les musiques urbaines amplifiées, des festivals, etc.

De grands événements culturels comme le Salon du Livre de Jeunesse, attachent une importance particulière à la sensibilisation de son public à la rencontre des civilisations et, presque chaque année, la thématisation de l’événement est liée à ces questions. C’est d’ailleurs dans le cadre et en partenariat avec ce salon que Via le monde a organisé un multiplex conférence vidéo entre élèves de Palestine, du Portugal, du Sénégal et de Seine-Saint-Denis autour d’Ahmadou Kourouma et de son roman Allah n’est pas obligé (dont le narrateur est un ‘enfant-soldat’).

D’autres manifestations sont intégralement dédiées à des cultures étrangères, comme le festival Africolor, dont le succès, tant du point de vue du public que de celui des retombées médiatiques, est lié à l’intelligence avec laquelle a été réalisée la synthèse entre les goûts de la communauté africaine de la Seine-Saint-Denis, les curiosités artistiques des autres publics et la qualité de la programmation.

Adossé à un label discographique – Cobalt -, ce festival tient toute la chaîne d’une coopération artistique internationale se traduisant par une production durable, mutuellement profitable non dans les mots, mais dans les faits.

Moov’n aktion, association travaillant au développement du hip hop, est également fondé sur les relations internationales, d’abord franco-allemande, puis euro-africaines, avec notamment un travail de création et d’échanges avec le hip hop de Côte d’Ivoire.

Le partenariat qui s’est établi entre la compagnie malienne de théâtre L’Atelier de Bamako, le Forum culturel du Blanc-Mesnil et le Département mérite aussi d’être mentionné. Ce partenariat déjà ancien s’est traduit par des interventions dans des dizaines de classes du département, une opération très réussie de jumelage des publics entre élèves bamakois et séquano dionysiens, des coopérations diverses avec différentes structures : Théâtre de la Commune, Métafort, Citoyenneté jeunesse, Centre de Promotion du Livre de Jeunesse, Africolor… Une expérience qui montre à quel point les tissus associatifs et culturels constituent des réseaux particulièrement efficaces et opérationnels en matière de coopération internationale.

Dans un registre assez différent, on aura aussi noté l’existence dans la plaine Saint-Denis, des salles Europe (ex LSC) où les meilleurs artistes de la musique africaine viennent se produire chaque semaine, souvent entre minuit et six heures du matin, devant des salles combles presque exclusivement composés d’Africains. Ces salles, installées dans d’anciens entrepôts, proposent des concerts simultanés s’adressant à des communautés spécifiques : Maliens, Sénégalais, Congolais… Eclairage au néon, sonorisation approximative, accueil minimum du public n’empêchent ni l’affluence qui peut atteindre des milliers de personnes les samedis soirs, ni le prix élevé des entrées (15 à 20 €), ni la participation d’artistes de premier plan, pourtant souvent engagés par ailleurs dans des salles très connues de la capitale.

Cette réalité, très multiple, très solide, riche, concrète et positive dans le vécu de milliers et milliers de jeunes, constitue certainement une ‘entrée’ significative dans la façon qu’ont ces derniers d’être unis au monde, d’en faire partie et d’y agir.

UNE CULTURE INTERNATIONALISTE « TRADITIONNELLE » EN GRANDE DIFFICULTE.

Parallèlement, d’autres formes d’engagement internationaliste ou pacifiste, implantées depuis longtemps en Seine-Saint-Denis et bien intégrées au paysage institutionnel (Mouvement de la paix, Secours populaire, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples – MRAP, Associations d’amitié entre les peuples et même Club Unesco ou SOS Racisme…) se trouvent en difficulté ou périclitent.

Beaucoup d’entre elles, pensées et structurées à partir du monde inter étatique et divisé en deux blocs militaires, politiques et idéologiques, qui dominait à leur création, traversent une crise profonde et oscillent entre déclin et tentatives de mutation.

Le Mouvement de la paix, par exemple, a beaucoup réorienté son action à partir du concept de culture de la paix, initié et porté par l’Unesco et son ancien Secrétaire général, Fédérico Mayor, à la fin des années 90 et au début des années 2000. Sur cette base, le Mouvement en question cherche à contrecarrer son vieillissement croissant en constituant des « groupes jeunes »… Rien de trait probant encore n’annonce le succès de cette réorientation, les cadres et méthodes n’ayant, elles, que trop peu changé. Le Secours populaire s’applique quant à lui (et médiatiquement) à être mieux identifié comme acteur de l’aide et l’intervention humanitaires, efficace dans la réponse rapide aux grandes catastrophes. Paradoxalement, c’est peut-être pour ses actions en direction des plus déshérités en France qu’il apparaît plus attractif aux yeux de beaucoup de jeunes rencontrés à Via le monde.

La jonction entre ces organisations qui ont longtemps symbolisé ‘la tradition d’un engagement internationaliste en Seine-Saint-Denis’ (sans se limiter aux deux exemples évoqués ci-dessus) et la façon de penser le monde, l’envie et la disponibilité des jeunes à agir sur -ou dans- le monde, paraît de plus en plus compromise.

PARADOXES ET SOUFRANCES NES DE LA FRONTIERE.

L’aéroport de Roissy- Charles de Gaulle situé à cheval sur la limite Nord-Est du département, mais aussi les nombreuses liaisons rapides (route, rail) avec l’Europe du Nord font de la Seine-Saint-Denis un département frontière. Depuis des années, cette situation particulière polarise de sérieux problèmes humains, dus notamment aux flux d’immigration non régulière en provenance des pays d’Afrique ou d’Europe de l’Est.

Les services sociaux notent en particulier un afflux croissant de jeunes mineurs arrivant dans des conditions parfois mystérieuses, toujours révoltantes, de Sierra Leone, de Roumanie, d’autres pays connaissant des situations difficiles. Il s’agit souvent de cas très problématiques, avec des destinées chancelantes et impliquant -le cas échéant- des réseaux délictueux (drogue, prostitution).

De façon plus générale, la Seine-Saint-Denis est fortement concernée par la présence de personnes sans papiers dont le nombre est par la force des choses difficile à déterminer, mais certainement non négligeable. Ces personnes sont souvent placées par la réglementation dans des situations inextricables : parents étrangers d’enfants français, personnes légalement « inexpulsables » à qui on refuse la régularisation, etc. Des mouvements récurrents, parfois relayés par des collectivités locales, se sont depuis plusieurs années engagés dans la défense de ces sans papiers. Ils prennent un nouveau relief ces dernières semaines avec les mouvements de solidarité qui entourent les enfants scolarisés menacés d’expulsion par les lois Sarkozy.

La proximité de l’aéroport international de Roissy et les tensions consécutives à des expulsions fréquentes mais réglementairement malaisées donnent une acuité particulière au phénomène. Les collectivités locales, singulièrement le Département (compétent en matière de protection de l’enfance) sont directement concernées, notamment à travers leurs services sociaux, démunis devant des situations qui n’entrent dans aucun cadre réglementaire.

Les mouvements qui se sont développés autour de ces questions, souvent très politisés, réinterrogent la façon dont ces questions sont [mal] traitées par la société française et l’incapacité des partis politiques de gauche et des Autorités publiques en général, à les prendre au niveau requis et pour apporter des réponses humaines aux drames humains qu’elles révèlent.

CONCERNANT L’ACTION INTERNATIONALE DES COLLECTIVITES.

Depuis plusieurs années, des collectivités territoriales, en France et dans le monde (avec une dominante d’Europe du Sud et d’Amérique Latine), ont trouvé, à partir des relations qu’elles établissaient entre-elles et en réseau, une source de renouvellement de leur réflexion et de leur action en matière de gouvernance locale, notamment par des expériences dites de démocratie participative.

En 2001 à Porto Alegre (Brésil) et à l’occasion -non fortuite- du 1er Forum social mondial (FSM), elles se sont constituées en Forum des Autorités Locales pour l’inclusion sociale et la démocratie participative (FAL). D’autres déclinaisons, thématiques, également en réseau, ont vu le jour, conjointement, ou dans la foulée :

La Charte des Droits de l’Homme dans la ville ou le Forum des Autorités Locales de Périphérie (FALP). Ce mouvement s’est en partie traduit et retrouvé unifié avec la constitution d’une organisation mondiale unique des pouvoirs locaux – Cités et Gouvernements Locaux Unis, CGLU. Cette dernière s’applique à faire vivre et reconnaître auprès des Institutions internationales ce que les premiers sommets Habitat des Nations Unies avaient avancés, à savoir, le rôle grandissant des métropoles urbaines et collectivités locales dans la nouvelle gouvernance mondiale.

Dans ce mouvement d’ensemble, plutôt récent, une collectivité française a joué un rôle moteur (Saint-Denis). D’autres s’y trouvent aujourd’hui impliquées de façon active (la ville de Nanterre qui a initié le FALP, Aubagne, le Département de la Seine-Saint-Denis et dans une autre mesure, Paris ou Bobigny, Morsang-sur-Orge, le Val de Marne ou la Région Rhône-Alpes et quelques autres).

Ce nouveau champ d’implication à l’international de collectivités qui posent la question de leur alliance stratégique avec ce qu’il est souvent convenu d’appeler la société civile, société civile qu’incarne, dans ce contexte, le mouvement alter mondialiste, mériterait à lui seul un long développement. Nous ne nous y livrerons pas ici. Il convient par contre de souligner que ce travail en réseau est un des éléments émergents des plus importants dans ce que l’on peut retenir de l’action internationale des collectivités et qu’il est certainement un des plus explicites témoignages de ce que produit le monde urbain du 21ème siècle.

On traitera pour le reste, des actions plus classiques de coopération décentralisée ou encore, des jumelages, souvent marqués par cette époque qui s’achève… et qui tombent logiquement en désuétude.

Dans le cadre de son travail courant, Via le monde rencontre de nombreux responsables administratifs ou élus de collectivités territoriales. Ces rencontres – entretiens, conversations téléphoniques, envois de documentation – permettent de mieux cerner leurs engagements internationaux.

Au niveau du Conseil général, les Directions départementales développent des actions liées à des commandes du Service de la Coopération décentralisée, dans le cadre des partenariats établis. D’autres se sont engagées à la suite de propositions faites par les Directions, mais toujours dans le cadre de ces partenariats. Il s’agit de la part la plus « institutionnelle » de l’action internationale du Département, répondant directement aux choix politiques effectués par le Conseil général et l’exécutif.

La présence d’une forte population immigrée est une autre source d’actions de caractère international. Certaines sont directement liées aux missions des services, quand ces derniers rencontrent des difficultés spécifiques liées à l’origine des usagers. C’est notamment le cas dans les services à vocation sanitaire ou sociale.

Mais on constate que ces questions mobilisent l’initiative au-delà des strictes obligations légales. Des actions peuvent être directement décidées par les responsables des services ou des Directions

Dans les villes aussi, la situation est assez contrastée. Il est rare que les questions internationale, néanmoins beaucoup d’entre elles, et de très diverses, émanent du terrain : personnels des crèches, des PMI, des foyers socio-éducatifs…

Elles essaiment assez largement à l’extérieur de l’action propre de la collectivité, du fait de l’implication des individus dans la cité.

Enfin, la nature même de certaines activités développées par l’administration départementale a des implications internationales fortes. C’est notamment le cas pour la Direction de la culture, de la jeunesse et des sports (DCJS), qui a engagé des partenariats institutionnels venant en point d’appui à ces réalités, et notamment une convention avec l’Association française d’action artistique (AFAA), organisme de coopération artistique internationale dépendant du Ministère français des Affaires étrangères.

s soient, ne serait-ce que « présentées » comme une priorité (les villes où c’est le cas, avec des orientations par ailleurs fort différentes, sont moins d’une dizaine sur les 40 que compte le département). Quand un service leur est consacré, il dispose généralement de moyens plutôt faibles. L’implication internationale des municipalités s’effectue généralement à travers deux vecteurs : le jumelage et le soutien aux associations concernées. L’un et l’autre sont à géométrie variable. Beaucoup de jumelages déclinent inexorablement. Le soutien aux associations s’effectue couramment sous forme d’une subvention annuelle, généralement modique, mais aussi à travers l’organisation de manifestations dédiées à ‘la solidarité internationale’ et à la connaissance des peuples où le mouvement associatif est largement invité. Il y a enfin une méconnaissance -ou une défiance- assez forte du tissu associatif jeune et de celui de l’immigration.

Concernant les Institutions publiques intervenant dans le domaine de l’international, il existe dans l’Académie de Créteil une Mission académique aux relations internationales et à la coopération (et un délégué –le DARIC, qui en à la charge), mais ses actions s’inscrivent dans des cadres administratifs rigides et dépourvus de moyens.

Enfin, la présence de pôles universitaires et de recherche importants participe des liens qui unissent la Seine-Saint-Denis au monde, de part les étudiants étrangers qui les fréquentent et certains des enseignements dispensés. A cela s’ajoute le siège de l’IRD (institut de recherche sur le développement, ex-Orstom) qui accueille également de jeunes chercheurs de différents pays du Sud.

Cette rapide exploration de ce qui fait de la Seine-Saint-Denis un territoire monde met en évidence ce qu’est l’environnement des jeunes urbains qui y vivent et entreprennent des projets internationaux. C’est par une succincte typologie des plus de 150 projets accompagnés par Via le monde que nous conclurons ces premiers éléments sur ce que nous connaissons du terrain et des acteurs concernés.

LES PROJETS INTERNATIONAUX DE JEUNES : OBJETS, ACTEURS, DESTINATIONS…

Sur l’ensemble des projets accompagnés par la structure Via le monde, on retient qu’entre 50 et 60% émanent de jeunes (âgés de 15-16 ans à moins de 30), issus de vingt-neuf villes de Seine-Saint-Denis, donc, pour un certain nombre, de collectivités qui en tant que telles sont totalement inactives dans le champ international (Le Pré Saint-Gervais, Neuilly Plaisance…) Pour autant, ce sont des villes les plus engagées à l’international et aux réseaux associatifs les plus denses que viennent le plus grand nombre de jeunes porteurs de projets internationaux (Saint-Denis, Aubervilliers, Montreuil, Saint-Ouen, Pantin).

Les autres projets accompagnés relèvent pour 35% de l’action d’Associations, organisations, ONG spécialisées à l’international, pour 7% d’associations de migrants et pour 2 à 3% d’acteurs parapublics (établissements de formation).

Ces jeunes porteurs de projets se répartissent, grossièrement, en trois sous-groupes :

Les plus jeunes, qui s’engagent souvent grâce à l’appui d’un animateur de quartier, d’un encadrant de SMJ ou d’un jeune adulte responsable associatif. Ces derniers vont assurer tout un travail de médiation et d’accompagnement, y compris dans la réalisation du projet lui-même. On assiste alors à une autonomisation progressive des acteurs du projet dont les effets les plus visibles se révèlent dans la phase post-projet.

Les jeunes, bacheliers ou non mais issus de cette tranche d’âge supérieure et avec le bagage de ce premier niveau de fin d’études, pas nécessairement expérimentés dans l’action associative (l’aide consiste parfois par commencer à leur donner les moyens de se constituer en association) ni dans la conduite de projet, mais très sûrs d’eux à propos de ce qu’ils veulent -et ne veulent pas- faire, le pays ou la région, le thème et le sens de leur intervention. C’est cette assurance et un sens aigu du monde dans lequel ils vivent qui arment leur détermination et leur envie d’agir.

Les jeunes adultes (plutôt post-baccalauréat, étudiants ou non) qui arrivent en ayant une culture de l’action associative, du travail en réseau, du montage de projet et -souvent- des idées sur l’articulation entre leur action à l’international, la situation du monde, le rapport au local et leur projets de vie. Dans ce troisième groupe, on retrouve pour partie ceux qui encadrent les acteurs les plus jeunes du premier.

Répartition géographique des projets internationaux accompagnés :

Afrique Noire

70 projets

(dont 16 au Mali)

44,40 %

(10,10 % au Mali)

France[9]

39 projets

24,50 %

Amérique Latine

16 projets

10,10 %

Maghreb

10 projets

06,30 %

Asie

9 projets

05,70 %

Moyen-Orient

8 projets

(dont 4 en Palestine)

05,30 %

(02,60 % en Palestine)

Europe

5 projets

03,10 %

Amérique du Nord

1 projet

00,60 %

Total

158 projets

100,00 %

 

· Les objectifs – thématiques mis en avant par les acteurs des projets :

Réponses multiples ; on retient donc le pourcentage de fois où les énoncés proposés ont été cités :

L’échange, se connaître, partager

98 %

Construire, rénover, participer au développement local

74 %

S’inscrire dans une logique de développement durable

60 %

S’inscrire dans une démarche d’éducation au développement

57 %

Pour l’éducation, l’animation, la formation

56 %

Pour la santé, améliorer les conditions sanitaires

48 %

Pour la paix

34 %

Quand « échange, se connaître, partager » inclus une dimension culturelle

55 %

· Quand l’échange est à dimension culturelle, cela concerne :

La culture en général

40 %

Le théâtre

22 %

La danse

16 %

La musique

08 %

Autres (cinéma, Arts plastiques, etc.)

14 %

· A propos des « bénéficiaires » ou « publics ciblés » par les projets, selon leurs initiateurs :

Ce sont les jeunes

58 %

Ce sont les enfants

22 %

Ce sont les gens concernés par le double espace (ici et là-bas)

20 %

Ou plus spécifiquement les migrants

17 %

Ce sont les femmes

6 %

Ces données d’ordre statistique sont difficiles à exploiter et donnent davantage des indications, des tendances que des certitudes, d’une part et disent peu de choses sur la façon dont se structure subjectivement une pensée du monde chez ces jeunes, d’autre part. Dans les informations dont nous disposons, les seules qui ne peuvent souffrir discussion sont celles qui traitent de la répartition géographique des projets internationaux… Mais elles n’en disent pas non plus « le pourquoi » ! Ce qui apparaît à ce stade c’est une nette domination de destinations africaines (44%), avec une forte proportion vers le Mali, qui compte un grand nombre d’émigrés en Seine-Saint-Denis, et le nombre très restreint de projets (3%) en Europe.

Deuxième point marquant et peut-être surprenant aussi, c’est la proportion de projets (presque 25%), qui, sous une forme ou une autre, recouvrent une dimension internationale déclinée exclusivement en France, dans des relations de proximité et qui semblent indiquer que le monde ne commence pas ailleurs qu’ici ! Pour reprendre l’expression du comédien Jamel Debbouze, venu à Clichy-sous-bois participer à une initiative invitant les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales suite aux émeutes de novembre 2005, « nous sommes tous des icissiens ». La façon d’être et de vivre dans ce monde sans plus laisser réduire son identité et ses droits à une nationalité, fut-elle double, ne tient-elle pas non plus dans cette affirmation ?

Nous soulignerons deux autres aspects, qui resteront à vérifier et surtout à comprendre : la dimension omniprésente de l’échange interpersonnel et le fait que ‘la paix’, dans les objectifs affichés, si elle concerne un tiers des projets, ne s’en trouve pas moins comme la dernière des motivations citées.

Ces éléments rassemblés, depuis les enseignements généraux sur les initiatives de ‘solidarité internationale’ en Seine-Saint-Denis jusqu’à cette brève typologie des projets internationaux des jeunes de ce territoire urbain, constituent le socle à partir duquel s’est construit l’orientation de recherche qui conclut cette présentation.

REFLEXIONS ET ELEMENTS QUI FONDENT NOS HYPOTHESES DE TRAVAIL ET LES QUESTIONNEMENTS RETENUS A PROPOS DE LA CONSTITUTION SUBJECTIVE D’UNE PENSEE DU MONDE CHEZ LES JEUNES DE SEINE-SAINT-DENIS.

Les hypothèses de travail avancées ici, intimement liées aux enseignements et séminaires qui ont ponctué une première année de Master recherche à l’IEE de Paris 8 et au terrain d’enquête sur lequel elles ont commencé à se fonder et l’expérience, le vécu ‘professionnel’ de celui-ci, sont les suivantes ;

Plus les institutions locales (ou départementales) pensent et organisent le territoire comme un espace clos et/ou devant répondre, pour se ‘requalifier’, aux critères de développement de l’ère fordiste -ou solide[10]– de la modernité, plus ce territoire « officiel » se trouve en contradiction/opposition avec la ville réelle et ce qui la constitue en actes : ceux qui y vivent et y conduisent leurs projets de vie.

Plus cet exercice « d’autojustification/régulation institutionnelle » domine et structure l’organisation urbaine, la vie sociale et culturelle [la politique de la ville], plus l’illusion de créer un territoire « protégé » peut également déboucher sur un territoire moribond, automutilé des traits et pratiques les plus manifestes de la modernité post-fordiste -liquide [11]– de notre époque.

A l’extrême : les ‘résidences de haut standing’ et autres juxtaposition de ‘beaux quartiers’, surveillés à grand renfort de caméras et gardiennages privés, sont-ils, pratiquement, parties prenantes du monde ?… Dès lors qu’ils cherchent si clairement à s’en couper ?

Inversement, ce qu’une lecture instituée et dominante tend à présenter -avec ses mots- comme des lieux de déshérence, sans avenir, villes pauvres, quartiers « sensibles », « difficiles », pourraient bien se révéler comme les creusets de la (post-)modernité à l’œuvre. Etre « sensible » ne révèle-t-il pas d’ailleurs une capacité, une disposition (une vertu) à saisir, dans tout ce qui nous entoure, la complexité et la richesse des choses susceptibles d’apporter à notre humanité[12] ?

Le « 9-3 », territoire de la Seine-Saint-Denis, un département « sensible », n’est-il pas en partie l’un de ces creusets où « se produit (…) l’autodestruction créatrice de l’ordre mondial ‘légitime’, dominé par les Etats-nations »[13] ? N’est-il pas par excellence, l’un de ces territoires où « des mouvances culturelles chargées de contradictions se rencontrent sur un espace [donné] ». Et pareillement, « le bilinguisme, c’est-à-dire la capacité à s’extraire d’une fixation sur le monde qui nous est familier, les existences nomades, la mobilité permanente, l’augmentation des doubles nationalités, les vies qui se jouent des frontières », ne constituent-ils pas autant de traits identitaires de ce département ? Des traits caractéristiques qui ensemble forment « un tissu complexe de loyalismes partagés sans entraîner pour autant un abandon [des identités d’origine], ou en tout cas vécues comme telles.

Avoir des racines et des ailes, associer [l’ancrage d’origines] avec les multiples expériences que l’on peut concrètement vivre en tant que citoyen du monde, voilà qui pourrait devenir le dénominateur culturel commun des sociétés hétérogènes de la planète et, partant, répondre à la question fondamentale qui partout se pose avec virulence : quel est l’ordre dont le monde a besoin ? »[14].

Dès lors, l’enjeu effectivement posé et rapporté à notre première hypothèse tient à la façon dont les institutions -échelon territorial bien compris- peuvent à long terme s’ouvrir, d’en bas et de l’intérieur, aux défis de l’ère de la mondialisation.

L’actualité est venue alimenter et élargir cette réflexion : par l’expérience et des échanges avec un groupe d’une dizaine de jeunes[15], sur la ‘révolte urbaine’, les émeutes que des quartiers de la Seine-Saint-Denis ont vécu, comme 300 autres de France, en novembre 2005 et à propos du mouvement anti-CPE qui a suivi, en mars/avril 2006…

Vivent en Seine-Saint-Denis, un nombre croissant d’habitants, singulièrement de jeunes, démis – par le croisement de situations contraintes et de parcours choisis- des relations sociales contractuelles qui prévalaient avec le statut longtemps dominant de ‘travailleur-salarié’. Dès lors, ne sont-ils pas amenés à penser leur mode d’être dans le monde et leur pouvoir d’intervention sur celui-ci, leurs projets, de façon déconnectée, on serait aussi tenté de dire libérée, des interactions spatio-temporelles qu’accompagnaient ces relations contractuelles antérieures ?

Quelle incidence sur le rapport à l’action de contestation, à l’expression de la révolte (contestation dont il est souvent convenu de dire qu’en Seine-Saint-Denis, elle relève « d’une longue tradition »), quand le risque de ‘perdre son travail’ ou ‘remettre en cause son parcours d’études’ (l’échec étant entériné) n’existe plus ? Si le ‘registre de la lutte’ reste celui édicté dans le cadre de ces relations contractuelles [individu/société/institutions], par quel biais, lorsque l’individu est démis de ces liens contractuels, et sous quelles formes trouve-t-il les moyens d’exprimer sa créativité, son existence, ses révoltes ? Et si le délitement de ces relations contractuelles est la résultante d’un mouvement de la société globale, appelé à s’élargir encore, la manière de voir et d’être acteur du monde qui advient n’est-elle pas davantage dans l’expérience de « celles et ceux des banlieues » (mis au ban) et le sens et l’efficacité de nouveaux modes d’engagements, à chercher de « leur côté », de « leur point de vue » ?… (pour résister à ce délitement ou plus exactement pour construire ce qui pourrait remplacer ces relations contractuelles, la façon de faire, dans le respect de l’altérité de chacun, société ensemble)

Autre questionnement qui en découle ; si ce cadre contractuel édicte et discerne la contestation recevable de celle qui ne le serait pas, reconnaît ainsi la légitimité d’un contre-pouvoir et considère d’emblée et par nature illégitime la ‘révolte urbaine’ de novembre ou les « casseurs » de mars/avril, ne nie-t-on pas aux acteurs concernés jusqu’au statut même « d’acteur », a fortiori d’acteur politique ? Dès lors, n’est-il pas extrêmement lucide et pragmatique de leur part de considérer que la force de leur contre-pouvoir réside justement dans le fait de se placer hors du cadre contractuel de la reconnaissance instituée pouvoir/ contre-pouvoir, des modes d’actions qui y correspondent, de la ‘mise en scène’ et du langage de la lutte ‘traditionnelle’ et finalement de tout discours en la matière ? (« Nos actes parlent d’eux-mêmes »)[16].

En définitive, comme s’interroge pertinemment Denis Merklen, le problème n’est-il pas que les Institutions et les partis politiques du XXème siècle ne sont pas capables de ‘dire’ les nouvelles classes populaires et donc, de produire le discours des nouvelles classes populaires et les actes pour qu’émerge ce nouvel acteur collectif, celui de toutes les indignités, relégations, précarisations, celui du chômage massif, des quartiers ségrégués, de tous les « sans », celui de nos villes ? Cet acteur dont la ‘jeunesse des quartiers’ est une des figures emblématiques.

Ces questionnements (notamment concernant le rapport des jeunes aux institutions), rendus brûlants par l’actualité, éclaireront certainement aussi ce que nous cherchons à apprendre de la relation très régulière avec des jeunes porteurs de projets à l’international, issus d’un territoire réputé enclavé et appauvri : le département de la Seine-Saint-Denis.

Un ‘territoire monde’ où les concepts fondamentaux à partir desquels la « société moderne » a été pensée (foyer, famille, classe, démocratie, domination, Etat, nation[alité], économie, politique…) semblent bouleversés mais aussi s’échapper des cadres, se redéfinir, muter…

RETOUR AU TERRAIN ET SUJET D’ENQUETE.

De ce terrain d’enquête, j’ai l’expérience d’un formidable foisonnement de projets individuels pour se connecter au monde, (lui) être utile, foisonnement adossé à une culture associative en constant renouvellement, à une solide aptitude à la coopération, l’entraide, au travail en réseau et à une multitude de liens intimes qui relient la Seine-Saint-Denis au monde.[17]

La Seine-Saint-Denis, (40 villes et 1,4 million d’habitants) est le deuxième département le plus jeune de France – après le Nord, avec lequel elle partage une histoire de forte et violente désindustrialisation dans les années 70/80. On y compte aujourd’hui plus de 90.000 demandeurs d’emploi (juin 2005) et 53.472 allocataires du RMI. Plus d’un foyer fiscal sur deux s’y trouve non imposable et presque un tiers des salariés (29%) touche moins que le SMIC.

Habitée par une population à la fois jeune, d’origines très diverses[18] et, en moyenne, fortement précarisée et peu diplômée (un habitant sur cinq n’a aucun diplôme), traversée par des voies stratégiques de liaison avec l’Europe du Nord, ouverte à l’essor d’activités nouvelles (relevant souvent de la production ‘immatérielle’- services, communication, etc.), dotée de l’un des plus beaux équipements sportifs au monde (dans l’enceinte duquel, fait inédit dans ce genre de ‘temple de la fierté nationale’, l’hymne français a été hué lors d’un France/Algérie de football, le 6 octobre 2001), abritant deux aéroports internationaux, deux universités et de nombreux centres de recherches, des scènes prestigieuses où se produisent des artistes du monde entier, mais aussi -et peut-être surtout- espace de très nombreuses créations, musicales, chorégraphiques, picturales…trop souvent réduites au vocable de ‘cultures urbaines’, la Seine-Saint-Denis offre en quelque sorte comme un résumé de la mondialisation à l’œuvre, dans sa brutalité comme dans les possibilités qu’elle recèle.

En Seine-Saint-Denis comme ailleurs, cette mondialisation échappe en grande partie aux pouvoirs politiques et se trouve, essentiellement, façonnée par les pouvoirs économiques transnationaux : elle est mesurable en chiffre d’import-export, en entreprises délocalisées, en flux de capitaux, de marchandises, de main d’œuvre, d’échanges de richesses, de savoirs et d’informations extraterritorialisés et dématérialisés.

Si en masse et calculées de manière marchande, à côté de cela, les actions individuelles et associatives de coopération internationale peuvent paraître dérisoires, encore que certaines atteignent tout de même des niveaux significatifs en termes de flux financiers, elles représentent en Seine-Saint-Denis un réseau de réseaux de milliers d’individus, d’associations, de fédérations, d’initiatives, sans doute à même de peser sur la nature et la configuration des ‘relations internationales’.

En s’en tenant aux acteurs jeunes de ces projets solidaires (ils représentent 56% du public reçu à Via le monde en 2005, structure départementale d’appui et de ressources en la matière), on découvre que dans et parfois contre cette mondialisation conduite par les pouvoirs et mécanismes de l’économie, les projets de ces jeunes de Seine-Saint-Denis établissent des liens transnationaux incroyablement féconds, souvent pérennes et économiquement viables, soucieux du développement local et du respect de l’altérité, porteurs d’une autre conception du développement humain…

Mais ces projets constituent-ils autant d’idées et de pratiques de transformation de ‘la politique mondiale’ ? Traduisent-ils en actes une ‘citoyenneté cosmopolitique’ liée à la modernité de notre monde global, modernité dont les jeunes de Seine-Saint-Denis seraient, si ce n’est autant, peut-être plus qu’ailleurs, les enfants et les acteurs ?

Ce sont ces actes et leurs auteurs qui constitueraient l’objet et les « sujets participants » de ma recherche : jeunes et projets internationaux en Seine-Saint-Denis.

Si de fait, le terrain se trouve relativement ‘balisé’ et les acteurs, issus de celui-ci, identifiés comme « les jeunes porteurs de projets à l’international », l’option retenue serait de travailler avec un groupe de huit à dix jeunes, rencontrés dans l’accompagnement des huit/dix projets solidaires qui sont les leurs.

L’interlocution serait collective, partagée par ce petit groupe. Elle ferait ainsi se croiser les questions/réponses individuelles et celles construites durant l’échange. Elle pourrait s’appuyer aussi bien sur ce qui fait disensus que sur ce qui peut faire consensus, notamment sur la façon de nommer, de dire les choses, le rapport au monde, les motivations, la relation aux institutions, etc.

Une contrainte/contradiction ou difficulté tient à initier puis à être de ce groupe en ayant auparavant (et encore sans doute) incarné une institution, celle rencontrée par ces jeunes pour monter leur projet. Ce qui amène à une seconde prévention à surmonter, ensemble : définir collectivement pourquoi et dans quel but « on » constitue ce groupe ?

De ce travail auquel se trouveraient associés ces jeunes, peut-il sortir quelque chose de commun qui légitime l’engagement de chacune et chacun dans cette recherche ? Une initiative (restitution) à réaliser ensemble ? Pour dire, porter, exprimer quoi, avec et en direction de qui ?

Résoudre cette interrogation conditionne l’engagement de la recherche et la méthodologie de celle-ci : le travail de et en groupe et le fait que ledit groupe fonctionne sur le principe de la ruche, chacune et chacun étant à même d’aller butiner où bon lui semble (ses contacts du quartier, de l’association, de l’entourage, etc.) pour alimenter la réflexion et élargir le nombre de ceux qui à leur tour seront interrogés. Et ils devraient l’être après que le groupe, chacun de ses membres, se soit lui-même livré à cet exercice à partir du guide d’entretien présenté en annexe de ce document de cadrage du contexte, des motivations, du terrain et du sujet de recherche que nous nous proposons de conduire : comment se construit subjectivement la pensée du monde chez les jeunes porteurs de projets internationaux de Seine-Saint-Denis ?


[1] En l’espèce, entre le Département de la Seine-Saint-Denis et les villes de la Province gabonaise de l’Ogooué Maritime ; la ville mozambicaine de Matola ; la ville marocaine de Figuig ; le District urbain de Setubal, au Portugal ; les villes palestiniennes de Djenin, Qualqilya et Tulkarem, au Nord de la Cisjordanie et la Province vietnamienne de Hai Duong.

[2] Voir les rubriques de présentation de cette structure sur son site www.vialemonde93.net

[3] Café La pêche à Montreuil, l’Espace Main d’œuvre à Saint-Ouen, etc.

[4] RESACOOP en Région Rhône-Alpes, Lianes coopération dans le Nord, l’Espace Nord-Sud dans l’Est de la France, La Maison du monde à Evry, dans l’Essonne…

[5] L’équipe (sept personnes) et le centre de ressources de Via le monde sont, depuis mars 2004, pour faciliter leur fréquentation, installés à proximité de la gare d’autobus, Tram et Métro Bobigny –Pablo Picasso, dans de nouveaux locaux conçus et adaptés à l’animation d’un véritable lieu ressource et à l’accueil du public.

[6] Voir à ce sujet, p.18 du présent document ainsi que le bilan des FAL et FSE 2003, réalisé par Via le monde pour l’Institution Départementale et joint en annexe.

[7] Pour exemple, Rendez-vous déjà tenus : « La responsabilité des entreprises transnationales en matière de Droits humains » accompagné de la représentation de la pièce ELF, la pompe Afrique ; « Le documentaire, des images pour forger les consciences ? » accompagné de la projection du document inédit et censuré à l’époque (1967) 1er Mai à Saint-Nazaire de Marcel Trillat ; Une session de Slam intitulée « Des mots de paix contre les maux de la guerre » ; « Tourisme et culture solidaires », accompagné d’un concert de musique philippine avec l’association Altamira, « Rroms, Tsiganes, Gitans, Manouches… Parcours, identité et réalités au quotidien ». Et à venir : « Langues et représentations du monde »…

[8] Les quelques 100.000 maliens installés en France sont à l’origine d’un transfert annuel de 180 millions d’Euros vers leur pays d’origine, ce qui équivaut à 15% du budget national malien. La Seine-Saint-Denis accueillerait plus de 20.000 de ces expatriés maliens.

[9] Il s’agit de projets qui traitent d’une question internationale, d’une problématique mondiale et souvent sollicitent des partenaires étrangers avec des contacts suivis mais qui se passent en Seine-Saint-Denis, sans déplacement à l’étranger. Dans le langage de l’Institution, la catégorie de « projet d’éducation au développement » est alors retenue pour qualifier ces cas.

[10] Voir La société assiégée [introduction], de Zygmunt Bauman – Le Rouergue/Chambon, 2005.

[11] Idem.

[12] Pour reprendre ici, si ce n’est dans les mots mais dans l’esprit, cette belle apostrophe de l’écrivain François Salvaing dans le cadre d’un débat organisé au Salon du livre et de la presse jeunesse en novembre 2005.

[13] Ulrich Beck, in Pouvoir et contre-pouvoir à l’heure de la mondialisation, p.16 – Flammarion, 2005

[14] Ulrich Beck, in Pouvoir et contre-pouvoir à l’heure de la mondialisation, p.18 – Flammarion, 2005

[15] Jeunes membres d’associations de quartiers et/ou médiateurs de quartier à Aubervilliers, Aulnay-sous-Bois, l’Ile Saint-Denis, Noisy-le-sec, Pantin et Saint-Denis.

[16] A ces sujets, on se reportera utilement à l’intervention d’Alain Bertho dans le cadre du séminaire Multitude et métropole (collège international de philosophie), prononcée le 15 mai 2006 à l’Université Paris 7 Denis Diderot. www.multitudes.samizdat.net , comme à l’ouvrage collectif Banlieue, lendemains de révolte, paru à La Dispute (mars 2006).

[17] Voir en ligne la présentation synthétique de cent cinquante projets accompagnés sur le site www.vialemonde93.net

[18] La population départementale est riche d’une immigration forte de plus de 100 origines : européenne (Europe du Sud et de l’Est), africaine (Maghreb, pays du Sahel), asiatique (Turquie, Pakistan, Asie du Sud-est), américaine (Antilles, ancienne émigration politique d’Amérique Latine).

~ par Alain Bertho sur 27 avril 2007.